Archives mensuelles : mai 2018

« La routine »

(Photo : Baptiste Beaulieu)

Alors voilà, elle me confie la douleur, et la douceur.

La douleur de subir une interruption médicale de grossesse, à 2 mois du terme, parce que Bébé présente un handicap sévère qui ne lui aurait pas permis de vivre.

Elle me parle de ce moment, quand elle entre au bloc pour que des inconnus « endorment » son bébé, et qu’ELLE, l’infirmière qu’elle n’oubliera jamais, la prend en charge avec une douceur incroyable, l’aide à libérer ses larmes, lui ménage un espace tendre dans ce lieu d’épreuve insurmontable. Elle me parle longuement de l’extraordinaire exemplarité du personnel féminin, qui l’enveloppe de gentillesse et de bienveillance.

Puis elle me parle de LUI, l’anesthésiste, elle me dit qu’elle comprend que pour lui tout cela soit affaire de routine, mais il est entré sans dire bonjour, en ne s’adressant qu’à l’infirmière.

Elle n’oublie pas -et n’oubliera jamais- qu’il a préparé la péridurale en sifflotant.

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Nota : En février j’étais auditionné par la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme avec d’autres personnes militantes pour penser un système de santé moins discriminant.

Voilà les 35 recommandations proposées par la Commission à l’issue de ces auditions.

Soignantes, soignées, continuons le combat !

🙏🏻♥️💪

L’autre chorale.

Photo : auteur inconnu

« Alors voilà, je me souviens, j’étais enfant, quatre ou cinq ans peut-être, et nous avions un médecin de famille. Un vrai. Il soignait mes grands parents, ma mère, etc. Il avait accompagné mon arrière grand-mère jusqu’au dernier instant…

Un jour, sa femme est tombée malade. Pour pouvoir se rapprocher des spécialistes les plus à même d’aider cette dernière, ils durent déménager.

Lors de son dernier jour au village, nous l’avons appelé en lui disant que ma petite soeur semblait malade. Bien entendu elle allait bien, et en passant la porte de la maison il a découvert toute la famille, mon arrière grand-père, ma grand-mère, ma mère, des oncles et tantes, etc, tous réunis pour lui souhaiter bon courage dans son épreuve, lui dire au revoir, et surtout lui dire MERCI.

Merci pour mamie Gigi qui nous a laissé un grand vide, mais également MERCI pour tous les petits bobos…

Pendant plusieurs années nous lui avons envoyé des cartes pour les fêtes, et nous avons pris de ses nouvelles. Lui aussi, nous en a envoyé longtemps.

C’était mon médecin de famille. »

(Texte de X., merci à elle)

La chorale improvisée.

(Photo : Picasa)

Ils sont une dizaine quand j’arrive devant la porte du cabinet où je fais de temps en temps de petits remplacements.

— Bonjour, le docteur Ranchan n’est pas là, elle s’est blessée et s’est fait mal, dis-je en farfouillant dans mon sac pour sortir les clefs.

Je ne sais pas à quoi je m’attendais. Mais j’aurais préféré quelque chose de plus humain qu’un banal :

— Ah mais y a quand même un doc ?

C’est cool d’essayer d’être un soignant bienveillant, mais le coup de ne MÊME pas demander des nouvelles, ça me reste en travers de la gorge.

Le docteur Ranchan est géniale. Douce, présente, concernée.

Clairement, ils s’en battaient la raie de son état.

— Avant tout, on va ensemble souhaiter un bon rétablissement au docteur. À 3, on chante ensemble. Allez : 1,2,3 !

Ils ont chanté « Bon rétablissement docteur Ranchan !!! ». Sur le trottoir.

Je n’oublierai jamais. Parfois, tu te dis : « je peux soigner trente ans au même endroit, accompagner des familles, tenir dans mes bras les bébés de femmes que j’ai moi-même tenues bébé dans les bras trente ans plus tôt, si je meurs demain, ils reprendront deux fois des moules en cherchant sur l’annuaire un médecin dans le coin ».

Parfois, t’essaies de faire bonne figure, tu te drapes dans ta vocation, mais ta blouse ressemble de plus en plus à ça :

Merci…

Alors voilà,

Dans le classement de L’EXPRESS des 100 Français et Françaises inspirants au titre de mon travail à vouloir mettre, « des visages sur des vécus et des situations trop souvent réduites à de seules statistiques »

Merci aux lecteurs, lectrices, et à cette nouvelle génération de médecins qui brisera les vieux schémas.

Je vous aime et vous remercie de votre soutien,

Baptiste

PS : désolé de ne pas répondre à vos mails… je n’arrive pas à suivre le travail au cabinet médical et le prochain roman que je suis en train d’écrire (et mes divers engagements dans associations dont je ne parle pas ici)

Nos cartes postales.

Alors voilà. J’ai tellement envie de vous parler de ça, aujourd’hui…

Comment dire ?

Mes consultations sont des rencontres et quelle que soit la dureté de mes semaines je sais que je peux compter sur eux.

Les bébés.

Ils sont toujours un moment particulier de mes rencontres.

Les petits pieds qui n’ont rien parcouru du monde.

Les petites mains qui ne savent pas encore ce que frapper veut dire.

Les petites bouches qui ne connaissent encore aucune insulte.

Y a-t-il mécanique plus simple et franche qu’un bébé : ils ont froid, faim, soif ? Ils pleurent.

Voilà. Tout est facile avec eux.

Rien n’est payant. Rien n’est pensé.

Ils sont en eux mêmes une carte postale envoyée du passé qui dit :

« Rappelle toi : tout homme et toute femme a été innocent »

C’est important, dans ce monde parfois si méchant, et souvent si méchant pour rien. Oui, pour rien.

Il faudrait dire merci aux bébés, parfois.

Merci d’être. Tout simplement.

Ne pensez-vous pas ?

Le corps, l’âme, et entre les deux.

L’histoire c’est N., assistante sociale.

(Si vous voulez raconter vous pouvez me joindre sur Facebook)

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Alors voilà, c’est un vendredi, veille de vacances scolaires. Je suis jeune assistante sociale et je passe dans le service de chirurgie, comme tous les matins.

Une infirmière m’interpelle : « Tiens, au fait, on t’a dit que la jeune fille poignardée par son frère sort cet après-midi ? »

Je me décompose… quoi ? Comment ? Non, personne n’a prévenu le service social, ni la police non plus d’ailleurs…

Je m’active… mais il me faut plus de temps pour pouvoir mettre en place des mesures de protection. J’explique au chirurgien, tente de le convaincre de post-poser la sortie… il restera intraitable : il a fait son travail, il a réparé le corps, a recousu les muscles, la peau.

« Ma cicatrice est belle. Elle sort à 13 heures » dit-il. Point final.

Je m’affole… je cherche un appui, un relais, une solution temporaire… j’obtiens finalement un nom, un espoir, bientôt, dans quelques jours…

Mais entre-temps la famille a pris le large : ce sont les vacances, on en profite pour renter au pays, sans retour pour Elle. Qui pourrait bien l’en empêcher ? Et puis, son frère lui a offert une rose. C’est dire s’il regrette, non ?!

Le chirurgien a certainement pensé fièrement qu’il a « sauvé » une vie en réparant un corps.

Vraiment ? il a VRAIMENT sauvé une vie ?