Archives mensuelles : juin 2019

Lettre aux Francoise.

Ce texte est dédié à Nicole Metellus (orthophoniste et sauveur de petit garçon)

Alors voilà un an que je relaie des récits de patientes et patients sur cette antenne et je voulais terminer la saison par un témoignage qui me tient particulièrement à cœur, celui de Baptiste.

Baptiste est un petit garçon de sept ans qui zozote. Quand il parle tous les autres enfants se moquent. Alors il reste dans son coin et se tait.

Eh bien une femme va lui sauver la vie : elle s’appelle Françoise. Elle est orthophoniste (en vrai elle s’appelait Nicole mais si tu changes quelques lettres à Françoise, ça fait Nicole).

Je crois que l’enfance du petit Baptiste aurait été vraiment merdique sans les efforts de Françoise, la patience de Françoise, la bienveillance de Françoise, les appareils compliqués de Françoise, vous savez ces appareils pour apprendre à positionner correctement sa langue sur le palais.

Bref, le petit Baptiste a réussi à parler normalement, les autres enfants ont arrêté de se moquer (apparté : vous avez remarqué comme on dit « les enfants sont siiiiii méchants entre eux », comme si ça allait mieux ensuite, en grandissant, et que les adultes témoignaient plus de bienveillance les uns envers les autres. Total bullshit !).

Bref. Il y a des milliers, des Françoise en France.

Vous savez combien d’enfants sont concernés par les troubles du langage et de l’apprentissage ?

5% !

C’est l’une des premières causes de décrochage scolaire et d’isolement chez les jeunes.

Ça me paraissait important, pour ma dernière chronique de la saison, de rendre hommage à toutes les orthophonistes du monde et surtout, aussi, de prévenir les gens : grâce à ces soignantes, votre enfant peut mal tourner, et se retrouver à France Inter où il parlera de la vie des patients au micro tous les lundis, et finira la saison en remerciant le big boss Ali, la génialissime Alexia, les fantastiques Claire, Stephanie, Laura, Théo, Nicolas, etc . Et remercier les auditeurs qui ont permis au petit Baptiste qui avait 7 ans de régler ses comptes avec sa voix, et à enfin positionner la langue comme il faut, là, parfaitement sur le palais.

Alors merci à tous, merci à toutes, et merci aux Francoise.

Celui qui se posait des questions.

L’autre jour, un jeune interne, Alexandre, brillant mais inquiet, s’est confié : il avait peur d’être un mauvais soignant parce qu’il « n’aimait pas les gens ».

Il était gêné et un peu honteux de me confier ça, comme si j’allais lui jeter de petites fourchettes en fer dans les yeux pour l’obliger à aimer ses semblables.

J’ai pris le temps de la réflexion et je voudrais ici lui apporter un début de réponse :

– d’abord, je ne sais pas ce qu’est un bon médecin. Et je pense qu’on pourrait écrire des livres entiers qu’on n’obtiendrait pas le début d’une piste.

– ensuite, j’ai interrogé des patients et des patientes pour savoir ce qu’ils attendaient de leurs médecins. Eh bien : les patients ne demandent pas d’être aimés. J’aime mes parents mes sœurs mes amis, c’est déjà beaucoup. Ce que les patients demandent, en revanche, c’est d’être considérés et respectés en tant qu’individus. Ce qu’ils cherchent c’est une information délivrée dans des conditions de respect mutuel. Ce qu’ils demandent c’est que, une fois cette information délivrée, on les considère pour ce qu’ils sont : capables d’auto-détermination.

Il n’y a pas besoin d’aimer pour être en sympathie et bienveillant.

Il n’y a pas besoin d’aimer pour dire à une patiente :

« J’entends ce que vous dites »

Il n’y a pas besoin d’aimer pour dire à une patiente :

« Je vous crois quand vous dites “j’ai mal”»

Il n’y a pas besoin d’aimer pour demander à une patiente :

« Acceptez-vous que je vous examine ? »

Il n’y a pas besoin d’aimer pour demander à une patiente :

« Est-ce que vous avez peur ? Est-ce que vous avez des questions ? »

Il n’y a pas besoin d’aimer pour dire à une patiente :

« Je vais vous accompagner si vous voulez. Ce sera long, mais on fera ça ensemble »

Cependant, et je terminerai sur cela, Alexandre : pour exercer le métier de soignant c’est toi qui va avoir de beaucoup, beaucoup d’amour. Ce n’est pas vivable, sinon, toute cette souffrance. Et n’oublie pas, n’oublie jamais : la vie est belle.

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PS : je dédicacerai mes quatre romans samedi (à partir de 14h) et dimanche toute la journée au salon du livre de Saint Maur, à Paris.

Venez me taper la bise !

Le miroir.

(dernière photo de Jim Morisson avant sa mort. Je vous laisse deviner pourquoi cette photo perturbe tout le monde…)

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Alors voilà, Olga a 87 ans, et elle s’est cassé le col du fémur. L’opération est longue, dangereuse, et la convalescence… eh bien la convalescence est ce qu’elle est quand on a 87 ans.

Il lui faut réapprendre à se lever, faire quelques pas, et enfin marcher avec l’aide d’un déambulateur.

Emmanuelle, une collègue kinésithérapeute qui s’occupe d’Olga me raconte ses progrès, lents et incertains, les séances de renforcement musculaire et de reapprentissage à la verticalisation. Évidemment -ce serait trop facile, sinon- Olga souffre de troubles cognitifs sévères : les jours pairs, elle ne reconnaît pas sa fille, et les jours impairs elle pense qu’Emmanuelle est directrice d’école.

Emmanuelle m’explique qu’Olga est une battante:

« Elle a un sacré caractère, et même si elle oublie pourquoi elle ne peut plus marcher, elle se donne les moyens tous les jours d’y parvenir. Je fais tout pour qu’on y arrive. Et je vais au travail tous les matins en me disant que ça en vaut la peine. »

Évidemment, la vieille dame a été très diminuée par l’opération. L’objectif d’Emmanuelle est qu’elle arrive au bout de la pièce de rééducation avec le déambulateur, mais sans aide humaine.

Les séances de rééducation passent sans qu’elle n’arrive à faire plus de quelques mètres. Mais jour après jour, elle grignote des centimètres.

Finalement, au bout d’immenses efforts, vient un matin où Olga traverse d’un côté à l’autre la pièce de rééducation et arrive au bout, face à l’immense miroir qui orne le mur.

Elle l’a fait ! Elle a traversé – seule – la pièce de bout en bout ! Emmanuelle la kinésithérapeute est heureuse, mais la vieille dame se retourne vers sa soignante, l’air dubitatif.

« Qu’est-ce qui se passe, Olga ? » demande la jeune femme.

Et la vieille dame désigne son reflet dans le miroir, et dit :

« Non mais c’est à cette vieille de bouger ! Même si elle est âgée, moi, j’ai la priorité : j’étais là avant… »

Emmanuelle sourit : Olga qui ne sait plus reconnaître son reflet dans une glace a gagné une bataille, mais d’autres guerres l’attendent.

Comme pour la marche, Olga ne sait pas que c’est impossible, alors elle y arrivera peut-être. L’hôpital est un lieu où on se bat tout le temps, de 7 à 87 ans.

Et n’oublions pas : la vie est belle !