Archives mensuelles : janvier 2020

Madame Soledad

Chère Madame Soledad,

Tu es peut-être dans ta voiture en train d’écouter ça et j’avais envie de te parler de toi. Comment tu vas ? C’est que, tu vois, je m’inquiète un peu.

Je sais que tu as mal partout, et tout le temps.

Les os, le ventre, le coeur, et la tête.

Et le matin, se lever, « c’est horrible, horrible docteur… »

Tu viens deux / trois fois pas mois.

Tu prends de la levure de bière pour tes cheveux, de la spiruline pour la fatigue, du magnésium pour tes tremblements, des extraits de vignes rouges pour te fouetter les sangs, de la valériane pour lisser ton sommeil.

Moi je sais bien que n’es pas condamnée, que tu as juste mal partout partout partout. D’ailleurs tu me le dis ouvertement, toi, que c’est dans ta tête. Mais moi, madame Soledad, je pense que c’est dans le coeur, car tu as besoin qu’on te regarde parce que personne ne te regarde jamais et que tu as besoin qu’on t’écoute car personne ne t’écoute jamais. Ni ton mari ni tes enfants, et quand tu parles et quand tu sais quand tu te sens écoutée, je vois bien, moi, chère Madame Soledad, que tu reprends des couleurs : tu te redresses, bien droite, comme si parler et être écoutée était une eau versée sur la terre de ce bambou avachi qu’est devenu ton dos à force d’indifférence, de sacrifices pour les autres, de linge repassé sans un merci, de petites chaussettes sales ramassées, d’absence de tendresse, d’absence de caresses.

Tu prends des extraits de curcuma parce que tu ne veux pas mourir du cancer comme ta mère, du cartilage de requin en poudre pour ton arthrose, de la lutéine pour tes yeux, de la vitamine D commandée sur un site chinois pour les os.

Je t’aime bien, moi, madame Soledad. Je veux dire : on a tous en nous un petit quelque chose de madame Soledad. Tu as mal partout, au corps, au coeur et à l’univers tout entier. Tu as besoin de parler, juste parler. Tu as besoin d’être écoutée, juste écoutée. Tu as besoin que quelqu’un te regarde et te dise : « Vous existez, madame Soledad, vos peines existent, votre douleur existe, tout cela existe et vous avez le droit d’avoir mal, au corps, au coeur, et à l’univers tout entier, et à la vie qui va sans vous, la vie qui passe sans vous, la vie qui n’est pas celle que vous espériez quand vous aviez seize ans, avec cet homme qui a changé et qui ne ressemble plus vraiment au beau jeune homme qui vous attendait à la sortie des cours, la vie qui s’est mise peu à peu à vous ignorer, la vie qui vous a oubliée et nous les médecins on ne peut rien faire si ce n’est vous écouter parler de ces os, tous ces os qui vous font mal, de ce corps, ce corps qui vous fait mal, mal jusqu’au coeur, et cette existence qui pèse trop, pour rien, mais pour trop de monde. »

Je suis sûr que l’industrie vendrait beaucoup moins de valériane, de magnésium, d’extraits de curcuma, de lutéine et autres poudres à base de lait de pingouin si on savait être plus attentifs les uns aux autres, madame Soledad.

Parce que c’est dur de s’avouer qu’on n’aime pas, ou plus sa vie, de s’avouer que c’est pas comme ça que ça devait tourner, qu’on a vingt ans qu’une fois et que pour toi c’est déjà fait, déjà passé, eh bien que reste-il ? Aller chez son médecin. Parler. Être écoutée.

Alors vas-y, madame Soledad, je t’écoute, eh bien, eh bien, installe-toi, voilà… ce n’est pas moi qui parle, c’est moi qui t’écoute…

[la suite de cette chronique et des autres est disponible ICI]

Est-on jamais assez attentif dans la vie ?

Quand un patient nous dit qu’il va bien, mais que son regard fuit un peu, doit-on le lui faire remarquer ? Doit-on le laisser venir à nous avec sa vérité et sa souffrance ? Doit-on le pousser un peu ? et jusqu’où le pousser ? Est-on jamais assez attentif dans ce monde ?

Quand cette mère célibataire vient avec son fils trois/quatre fois par mois au cabinet médical, pour des motifs médicaux tous plus -en apparence- futiles les uns que les autres, comment rechercher ce qui cloche derrière cette demande de soin ? Le prétexte ?

Quand, finalement, au bout d’un an de consultations en tous genres, elle finit par confier en larmes qu’elle n’y arrive pas, qu’elle n’y arrive plus, qu’elle se sent démunie face à son ado, que le seul moment où il la respecte et lui parle correctement c’est quand un médecin est dans la pièce, n’aurait-on pas pu économiser du temps à cette famille ?

Est-on jamais assez attentif dans la vie ?

Et le sommes-nous toujours de la même façon ? Avec la même acuité ? Quand une journée est longue, quand les patients succèdent aux patients, que le soignant n’a pas eu le temps de manger à midi, qu’il n’a pas eu une minute de pause pour penser à autre chose que la maladie, penser à autre chose que les autres, quelle part d’attention reste-t-il de disponible en lui pour les autres ?

Nous ne sommes pas le même soignant le matin à 8h30 quand on ouvre le cabinet médical que le soir, à 20 h quand on accueille le dernier patient.

Et oui, les patients ont le droit de ne rien dire de leurs troubles, ils ont aussi le droit d’espérer que le médecin soit assez attentif pour libérer leurs paroles, leurs mots.

Est-on jamais assez attentif dans le vie ?

Il y a un rythme biologique, chez l’être humain. Eh bien il y a ce rythme diurne, nycthéméral, chez le soignant.

Qu’est-ce qu’il essaie de me confier, là, ce patient ? me dis-je parfois.

Va-t-elle enfin parler de pourquoi elle se cache et se fait vomir ? Va-t-elle enfin laisser sortir les larmes à cause de la violence de son patron ? Va-t-il enfin se confier sur les violences qu’il a subies, petit garçon ?

Les patients ont le droit d’espérer des soignants attentifs. Et le système de santé, système « du toujours plus », plus de rendement, plus de places, plus d’économies, et la demande de soin toujours plus importante, tout cela ne va-t-il pas en tout premier lieu sacrifier l’attention ?

Les patients et patientes ont le droit d’espérer en des soignants attentifs. Malheureusement, l’état actuel de saturation de notre système de santé ne pousse pas à l’optimisme : tout est prêt à craquer. Alors mon conseil, le seul, que je me permettrais de donner à vous, patient et patiente : allez si possible consulter le matin, et préférez toujours les lundis matins plutôt que les vendredis soir.

Parce que si vous avez envie/besoin (et c’est votre droit le plus strict, et c’est le sel de notre métier) de dire sans dire, ne comptez pas sur le système qui vient.

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Parlons peu, parlons fâcheux.

Hey toutes et tous !

Je suis moins présent, vous l’avez remarqué, et si j’ai au début camouflé ça sous le prétexte d’un agenda bien fourni, la vérité est un poil différente.

Je souffre.

Voilà.

Vous me suivez, certains depuis de longues années, alors je vais dire les choses. Simplement.

Internet me fait souffrir. Les gens.

Je veux parler du cyber-harcèlement, parce que c’est un phénomène humain et que ça me paraît pertinent de toucher du doigt cette partie-là de notre (in)humanité.

Avec un exemple concret.

Le 23 septembre 2019, je chronique sur France Inter un livre formidable de la romancière Catherine Dufour, Ada ou la beauté des Nombres, sur la mathématicienne et poétesse Ada Lovelace.

Ma chronique en direct, là-voici :

ICI

Notez que, en direct, je prononce bien le nom d’Ada, à savoir « Lovelaisse ».

Lorsque France Inter publie la vidéo de la captation studio de ladite chronique, je commence à recevoir un puis deux puis dix puis cent puis mille messages moqueurs sur les réseaux.

Pourquoi les gens se moquent-ils ?

Sur la vidéo, je prononce mal le nom d’Ada. Je le prononce “à l’italienne”

Je dis « Lovelatché » (sérieux, j’en rigole aujourd’hui avec mes potes mais sur le coup, j’ai fermé mes réseaux et suis allé pleurer, pas parce que je suis un garçon sensible, mais parce que les gens se lâchent tellement, m’agonisent de tellement de moqueries et d’injures, que n’importe quel être humain -sensible ou pas- se sentirait tétanisé devant la violence de la meute de hyènes hilares qui a décidé de se vider la poche à venin sur mon dos).

Trois mois après je reçois encore de temps en temps des moqueries à ce sujet.

Exemple ce tweet en photo d’une blogueuse qui prétendra plus tard que c’était “juste pour rire” 👇🏼

(Bon, on m’informe dans l’oreillette que Cécile n’aime pas mon combat contre les discriminations sexistes et homophobes. L’aubaine est trop bonne pour ne pas perdre l’occasion de se payer un “opposant politique”, hein Cécile ?)

Bref, vous allez vous dire : « mais où veut-il en venir ? »

D’abord, et si derrière la personne qu’on a décidé de dézinguer collectivement pour un mot/une phrase, il y avait une situation humaine. Simplement humaine. Ridiculement humaine. Bêtement humaine. Tragiquement humaine.

Expliquons.

La captation vidéo a lieu après le direct, et je prononce correctement durant le direct.

Que s’est-il passé entre le direct et la captation video ? Que s’est-il passé de bêtement humain entre le direct et la captation vidéo ?

Eh bien… J’ai reçu un texto concernant une patiente au patronyme italien qui était à l’hosto car battue par son conjoint.

Ça m’a émotionnellement remué. Je me suis emmêlé les pinceaux et oui, j’étais ailleurs durant la captation.

Devinez quoi : je suis humain. Je vis des trucs au boulot. Mon vrai boulot. Des trucs durs dont j’ai du mal à me remettre. J’ai pris dix kilos depuis mon installation. J’essaie de pas m’impliquer émotionnellement mais c’est impossible. Mon cabinet est spécialisé en addicto et on travaille avec deux foyers sociaux qui viennent en aide aux femmes victimes de violences conjugales.

La vraie vie, elle pleure dans mon bureau.

Et quand bien même j’aurais mal prononcé son nom SANS RAISON, quand bien même ce serait juste un mauvais anglais, ça justifierait pas de se moquer en meute. Jamais. Le faire revient juste à être humainement merdique. Non mais c’est vrai quoi ? Les gens ne peuvent-ils pas trouver des raisons plus importantes de s’indigner ?

Puis je suis intransigeant sur un point : les gens qui savent et usent de leur savoir pour moquer et mépriser d’autres gens ne disposant pas du même savoir, vous ne méritez pas ce savoir.

Voilà, je voulais conclure sur cette vérité générale :

Le cyber harceleur, c’est pas seulement UN type qui envoie mille tweets à une personne.

Ça peut être mille personnes qui envoient chacune UN tweet à la même personne.

(Désolé pour la référence à la Cité de la Peur, j’ai pas pu faire autrement)

On peut écrire juste un tweet dans son coin à une personne comme Cécile et être un cyber-harceleur.

Ne soyons pas comme Cécile.

PS : il y a des Cécile formidables. Lisez le dernier Cécile Coulon 👌🏼

(Aucun animal n’a été maltraité pour anonymiser cette photo)