Archives mensuelles : mars 2017

Ôde au pus.


Alors voilà, ami lecteur, je dois t’avouer un truc : j’adore sortir des trucs du corps humain. Sortir une écharde, vider un furoncle, évacuer un bouchon du conduit auditif constituent même LA RAISON pour laquelle je continue à soigner tous les jours ! Rien que ça !Évacuer.

Déloger.

Nettoyer.

Sortir.

Désobstruer. 

Et pour quoi ?

Pour regarder le corps revenir à la normale.

Pour le sentir sous mes mains retrouver son intégrité initiale.

Pour entendre : “Docteur ! C’est fantastique ! Je réentends !”  

C’est très exactement ce que nous sommes incapables de faire le reste du temps, nous, les soignants. Une dépression, ça ne se videra jamais comme un abcès. J’aimerais prononcer les mots suivants : “je vais appuyer très fort ici, Madame, le pus va sortir, puis il emportera avec lui votre tristesse, votre désespoir, et votre envie d’en finir”. 

Une polyarthrite, une fibromyalgie, un viol, même, ça ne se vidange pas, ça ne se pousse pas hors d’un conduit quelconque du corps, afin de pouvoir le montrer au patient, “Regardez, madame ! On l’a eue, votre boulimie !” Et, sous le regard dégoûté mais soulagé du patient, flanquer tout ça à la poubelle, enfermé dans un mouchoir, enfermé pour toujours. 

Mais on ne peut pas mettre la schizophrènie à la poubelle. On ne peut pas rabattre le couvercle sur les troubles du comportement alimentaire. 

Non, on ne peut pas.

Oh, comme j’aime les furoncles ! Et comme j’aime le bouchon de cérumen ! Et les échardes ! Et la constipation ! Et tous les corps étrangers ! Oh, comme je les aime ! Je les aime parce qu’ils procurent chez le patient une satisfaction immédiate, visible, palpable. Matérielle.

Je me sens soignant (et non plus un vil imposteur) quand je vide du pus, et quand j’évacue un bouchon de selles, ou vide un globe vésical. Ce dont je vous parle, c’est de cet instant précis, là, oui, quand la personne soupire de soulagement.
Alors, à cet instant précis, il m’est enfin permis d’espérer. 

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Dates de signatures (MISES À JOUR !) + une bonne nouvelle !

Vendredi 17 : 

Le 24 mars à Elancourt, à 17h Co-dédicace avec la génialissime Valérie Tuong Cong à la Librairie Le Pavé dans la mare.

Dimanche 26 : Salon du Livre de Paris à 11 heures 30 jusqu’à 13 heures. 

Lundi 27 : je serai ravi, dans le cadre de la super association « Lire pour en sortir », de rencontrer des détenu.e.s au centre pénitentiaire de Châlons. J’écris donc ça là, mais je ne suis pas sûr de vous y voir, sauf si vous êtes incarcéré.e.s d’ici là (François Fillon si tu me lis !).

ÉDIT : signature à la librairie du Mau, à Châlons, à 17h !!!!

Avril.

Samedi 8 et dimanche 9 : Printemps du livre de Montaigu.

D’autres dates arrivent, je vous tiendrai au courant !

PS : c’est une blague pour Fillon, hein. Parce que tout le monde sait qu’il n’ira jamais en prison (ne venez pas m’insulter en commentaires, messages privés ou par mails, s’il-vous-plaît…) Mais je serai vraiment au centre pénitenciaire de Chalons pour soutenir le projet de cette super association.

Enfin, je suis très honoré d’être président du Jury du concours littéraire organisé par le prestigieux mensuel “Psychologies”. Voilà. Je voulais vous le dire parce que tout ce qui arrive d’un peu fou dans ma vie depuis quatre ans c’est un peu grâce à vous, et que c’est parfois difficile d’expliquer (même après trois romans, et trois prix littéraires) qu’on peut être blogueur ET romancier, et qu’on a quelque chose à dire de different dans le costume de l’un COMME dans le costume de l’autre.

(((( je vous aime )))). 

Étretat, un 28 septembre.

Quand je ne suis pas au cabinet médical, je vais écrire mes romans dans une grande bibliothèque parisienne. Avec le temps, j’ai beaucoup sympathisé avec les employées. Aline, Véro, Marie-Pierre, Marie-Jo’ et Martine. Elles travaillent dans cette immense usine depuis vingt ans, déambulent le long d’immenses couloirs et d’interminables sous-sols couverts de livres, où elles ne voient jamais la lumière du jour.
Heureusement, y a les pauses cigarettes, à 10 heures et 16 heures. Elles ont pris l’habitude de m’emmener avec elles et on y rit très fort, ça gêne même parfois leurs collègues. Je les écoute parler de la vie, du temps, de sexe, de l’amour, des petits. Elles disent des bêtises, font des prouts avec la bouche, se fichent de ce que les autres entendent. Le rire de ces quatre femmes, ça rebondit sur les parois que la suie a recouvertes. Ça détache le gris des murs, ça lotionne les âmes.
Elles sont dans la vie, ces femmes ! Elles sont dans la vie !
Il y a Martine : la joie de vivre envers et contre tout. Pétulante, toujours joyeuse, et positive. Une sensibilité à fleur de peau et une bienveillance infinie même envers des gens qui ne le méritent pas. Le secret de Martine est le plus douloureux secret du monde : son fils a 17 ans pour toujours, mais elle n’en parle jamais. Alors je n’en dirai pas plus.


Il y a Véro : la cow-boy du groupe, un peu boxeuse, beaucoup rieuse, toujours un peu amusée par la situation. Une énergie folle. Je l’aime d’amour, cette femme. 

Sa blessure à elle, c’est son père. Elle n’arrive pas à oublier son père. Personne, dans la famille, d’ailleurs. Suffit qu’on évoque le patriarche et les larmes coulent. 

Un jour, pendant une pause clope, je l’ai entendue murmurer : “Pourquoi faut-il qu’on aime tant certaines personnes ? “. Elle a dit ça, puis a sorti une nouvelle cigarette et mi-riant, mi pleurant, elle a raconté une blague sur les pénis, ceux qui sont petits et ceux qui sont trop gros.


Il y a Aline. Elle, c’est son poids. Elle en rit tout le temps, et si vous n’en riez pas avec elle, la voilà qui vous attrape et vous serre contre son énorme poitrine. Elle est généreuse de partout, Aline. Peur de rien. Ni des remarques maladroites, ni des médisances. Enfin, c’est ce qu’elle prétend. Personne ne sait. Elle est belle, Aline. Elle babille, Aline. Elle bouscule les gens et les idées reçues. Elle emmerde les regards des gens et de la société sur son corps. Elle est libre. 

<< Tu sais ce que c’est “quelque chose” ? Non ? Tu empoignes un pénis dans une main, tu empoignes avec ton autre main ce qui dépasse. Eh bien tout ce qui dépasse ENCORE, crois-moi, ça, C’EST QUELQUE CHOSE !!!!!>>.


Il y a Marie-Pierre, le petit oiseau. Toujours un peu en retrait, le corps noyé dans ses tuniques informes. Si frêle, si mince… quand elle marche, on croirait voir un cintre. Elle parle pas trop, Marie-Pierre. Elle écoute. Mais du coup, on ne sait pas trop où elle a mal. Les autres du groupe, ça oui, on le sait. Mais pas Marie-Pierre. Il n’empêche, elle est là, à chaque pause clope. Muette. Taiseuse. Elle hoche la tête, fume, et c’est tout. On a l’impression qu’elle se cache de tout, qu’elle a peur de tout sauf quand elle est avec ses copines. Elle n’a plus parlé à sa famille depuis des années et personne ne sait pourquoi.

Enfin, il y a Marie-Jo’. Brune, la bonté faite femme. Incapable de voir le côté négatif des gens. Incapable d’a priori. Et solide avec ça. Un roc avec un coeur immense. Elle rit aux blagues, mais elle en fait peu. Elle n’a pas de secret. Elle est en vie et heureuse de l’être. Elle est aussi un peu cassée, mais on ne saura pas. Elle rit, c’est tout.


Voilà bien un truc que je retiens de ces femmes : à leurs côtés, en cinq ans, il ne me semble pas – jamais même – avoir effleuré de près ou de loin les côtés sombres de l’être humain. Pas de calcul. Pas de tricherie. Pas de jugement.
[…]
Un jour, Marie-Pierre ouvre la bouche et laisse échapper un murmure : elle a un cancer. Un cancer de la mâchoire. Trop de cigarettes. Trop de silences, peut-être. 

“Je vais être un peu absente, les filles” dit-elle, et c’est peut-être la première vraie phrase qu’on lui entend en vingt ans. 

[…]

Martine, Marie-Jo’, Aline et Véro sont parties en voiture. Véro tenait un pot à café, qu’elle serrait fort sur les genoux.

C’était en septembre, le 28. Un grand week-end à Étretat. Elles ont ri comme des bossues, dans la caisse. Elles ont mis la musique, et ont roulé jusqu’à la mer en racontant des bêtises sur les hommes. Les gros, les grands, les fainéants, les taiseux, les dociles, les connards tatoués, les connards pas tatoués, les rugbymen et les pas-rugbymen. 

[…]

Véro m’écrit :

<< Marie-Pierre est morte chez elle toute seule. On l’a emmenée parce que nous lui avions promis. Elle n’avait pas de famille Marie-Pierre. Enfin, si, c’était nous, sa famille… On a mis ses cendres dans un pot à café. Elle adorait le café. C’est moi qui ai jeté les cendres sur les falaises. Martine ne pouvait pas le faire, Marie-Jo a peur du vide et Aline, pour certaines choses, n’est pas très courageuse. Seulement comme je ne suis pas très douée, je n’ai pas pensé au vent et les cendres me sont toutes revenues sur le pantalon. Nous nous sommes plu à penser qu’elle voulait rester un peu avec nous. Et puis, Marie-Pierre ne savait pas nager, alors la jeter dans la mer… Ensuite on a mangé des moules-frites au resto parce que ça aussi on lui avait promis. On a pleuré, mais on a aussi beaucoup ri. Elle aurait aimé cela. Il faisait beau, y avait du soleil et Marie-Pierre aurait aussi adoré cela. >>


———-

Un texte à partager, écrit pour Marie-Pierre, à la demande de ses/mes copines,

Baptiste. 

C’est comme ça.

Alors voilà l’autre soir je suis sorti du cabinet et j’ai enfourché mon vélo. Sur la route, une voiture m’a frôlé, j’étais en colère alors j’ai crié au conducteur « Vas-y fais comme si t’étais tout seul, raclure ! ».

Je pédalais, oui, et vite en plus ! J’avais tellement envie de rentrer chez moi ! Un bus a klaxonné : j’étais sur sa voie, oui. J’étais sur sa voie ET j’étais en colère, alors j’ai brandi un doigt, un majeur, j’y peux rien c’est le doigt du milieu, le plus facile à tendre, c’est parti comme ça, et j’ai crié « Va chier ! » 

Je me sentais comme ça :

Plus loin une nana a klaxonné une mamie parce qu’elle ne traversait pas assez vite à son gout.
« Et tu vas faire quoi, imbécile, tu vas l’écraser ?!?!? » j’ai hurlé ça, oui, parce que j’étais en colère, c’est comme ça.

Je suis arrivé chez moi, enfin.
Là, j’ai gueulé sur l’adolescente stupide aux yeux bovins, celle du premier, celle qui fume ses joints dans les parties communes, celle qui laisse les mégots se consumer sur les escaliers en bois de l’immeuble et nous fera tous cramer un jour dans notre sommeil.

J’étais en colère, ce jour-là, je pensais à mon dernier patient. Un type rondouillard, aux joues épaisses et roses, et à l’air gentil, un type qui tenait une petite valise à roulettes et qui sanglotait dans mon bureau. Je pensais à lui et à ce que j’avais noté dans son dossier médical, parce que j’avais résumé « l’irrésumable » dans une seule phrase, parce qu’il y avait tout un roman dans cette phrase, un roman triste, dur, humain, parce que dans un monde juste on ne devrait jamais écrire ça, parce que dans un monde juste les aidants sont aidés, parce que ce soir-là j’ai écrit, oui, j’ai écrit sur un putain d’écran d’ordinateur froid et insensible :

« A quitté le domicile conjugal car ne supporte plus le cancer de sa femme. »


Et la seule chose qui reste, ces soirs-là, ces soirs où l’Amour est défait, où l’espoir fait défaut, la seule chose qui reste c’est rentrer vite chez soi.

Rentrer vite et essayer de faire rire les gens avec mon absence totale de talent graphique.

On n’y peut rien, c’est comme ça.