Archives mensuelles : mars 2021

La soupe marocaine.

Alors voilà, vous vous souvenez de la gentille et adorable vieille patiente qui m’avait offert une djellaba bleue ?

(J’en avais parlé sur Instagram !)

ICI :

 

Je l’adore. Elle a 70 ans, est bavarde, affectueuse, musulmane, et très pieuse. Elle m’appelle tout le temps « mon fils ! », me ramène des dattes (je pense qu’elle a une plantation dans son petit appartement) etc.

Je l’aime beaucoup, je lui ai rendu service à un moment difficile de sa vie (ptdr en vrai je l’ai juste écoutée quand elle avait besoin que quelqu’un accueille sa peine, mais l’important c’est le résultat). 

Donc elle est revenue, et à la fin de la consultation elle me dit :

– Olala, docteur, je suis en train de coudre pour votre compagne une belle gandoura rose avec des perles qui reviennent sur les épaules, olala, vous verrez elle sera très belle avec !!!!

Gêne. Je dois lui dire. J’en ai marre de faire semblant et de hocher la tête à chaque fois qu’elle me demande des nouvelles de « ma compagne ». Mais j’ai peur qu’elle arrête de m’appeler « mon fils »… bref, que ça change quelque chose dans la jolie petite relation soignant/soignée que nous avons réussi à créer.

Je tapote son avant-bras avec la paume de ma main. Et je chuchote :

– Je dois vous dire, Khadijah… [Inspiration/Expiration] Je vis avec un garçon…

Silence. Elle a l’air tracassé et d’un seul coup ses yeux s’éclairent, comme si elle venait de trouver une solution à un épineux problème :

— Eh bien, il pourra quand même la porter à l’intérieur !

Mort de rire ! (une gandoura rose avec des perles sur les épaules ? C’est moi qui vais la porter, oui !) Je souris. Elle lève les mains au ciel, et elle enchaîne avec cette phrase magnifique :

– Un jour, mon fils, inshalla, vous venez avec lui au Maroc, chez ma sœur. Dans la rue vous serez des amis, à la maison vous serez des amants !

(cette phrase😭)

— La chambre d’amis est au premier étage ! D’ailleurs, j’ai mon neveu, un bon garçon, Mohammed, il vit avec Jean-Pascal, et ils sont beaux tous les deux, et un jour, j’avais fait de la Harira, vous connaissez la Harira ? C’est de la soupe marocaine avec des pois chiches et des boulettes et…

Tout à coup, comme piquée par une abeille, elle s’arrête et me demande :

— Docteur, vous chaussez du combien ? Du 48 ?

Moi :

— Du 42.

Elle :

— Inshallah la prochaine fois je vous rapporte des chaussures ! Et à votre amoureux aussi !

Voilà.

Je voudrais que Khadijah mette tous les êtres humains dans sa poche (ou dans sa soupe) et qu’ils en sortent meilleurs. 

Bref, soyons comme Khadijah. 

Ce sera BEAU !

Alors voilà, il est venu en consultation un vendredi soir, on avait le temps, j’ai parlé avec lui de sa vie, sa femme, ses enfants, son boulot, et là, tranquillement, il me raconte qu’il a quitté un super poste dans le plus grand groupe aéronautique Français parce qu’il n’éprouvait plus l’impression d’être utile à quelque chose, d’apporter sa petite pierre à l’édifice humain, alors il a rejoint quelques autres ingénieurs – aussi rêveurs que lui.

ils ont créé une petite start-Up française, qui a pour but de diminuer de 30% l’empreinte carbone de la marine marchande. Alors ça parait rien comme ça, mais la marine marchande est une des premières cause de pollution et de consommation des ressources fossiles au monde, et pour une bonne part responsable du réchauffement climatique.

On estime que les combustibles marins utilisés par le transport maritime sont responsables chaque année de 250 000 décès prématurés en moyenne et qu’elle est plus polluante que tous les avions du monde !

Alors comment mon patient, ingénieur dans l’aéronautique, et ses collègues, ingénieurs aussi, comptent s’y prendre ?

Ils vont coller d’immenses cerfs-volants grands comme des AirBus A 380 à la proue des navires pour substituer au carburant la poussée du vent, une ressource naturelle présente en grande quantité sur les océans.

Alors mon métier de médecin est beau pour tout un tas de raisons, ça fait six ans maintenant que j’essaie de les raconter aux lecteurs dans mes romans, aux auditeurs sur France Inter, mais ce qui a rendu mon métier immensément génial ce jour-là, ce n’est pas qu’un jeune homme change de vie pour se consacrer au bien commun avec d’autres ingénieurs, non. Ce n’est pas non plus l’idée que le monde de demain soit meilleur grâce à des personnes comme lui.

Non, ce qui a rendu mon métier de médecin généraliste magnifique ce jour-là, c’est la dernière phrase de mon patient. Il était là, en train de m’expliquer leur projet, avec cette excitation propre aux inventeurs, quand il a conclu son plaidoyer scientifique par cette phrase :

« Et je vous promets une chose, Docteur : tous ces cerfs volants sur la mer qui tirent des bateaux, oui je vous le promets vraiment, Docteur, ce sera BEAU ! »

Voilà cher lecteur, chère lectrice, ce qui a rendu mon métier plus léger ce jour-là.

Stupeurs et soumission !

Alors voilà, l’autre jour, sur Instagram, j’ai publié un petit mode d’emploi sur la marche à suivre en cas de maltraitance médicale. Dedans, j’expliquais que je demandais systématiquement aux patients l’autorisation avant de les examiner. Et que je le faisais AUSSI pour les enfants.

C’est important car dans une situation inégalitaire comme celle qui existe entre un malade et celui qui a autorité à le soigner, demander au patient s’il accepte d’être examiné, c’est rééquilibrer ce rapport de force. Et il n’est jamais trop tôt, et les patients ne sont jamais trop jeunes, pour ne pas remettre un peu de symétrie entre eux et nous.

Je vous donne un exemple : à l’hôpital, les patients sont nus, sous une robe uniforme, commune à tous les autres patients, ils sont allongés, ils ne connaissent pas la médecine et sont souvent seuls. Les soignants, eux, sont habillés sous des blouses nominatives, ils portent des badges avec leurs prénoms, ils sont debout, ils connaissent tout du problème médical des patients, et ils débarquent souvent à plusieurs dans leurs chambres.

Comment voulez-vous que le consentement soit libre et éclairé dans ces conditions ?

Pas besoin d’avoir un doctorat en psychologie cognitive pour deviner qu’il est très difficile de dire « non » quand six personnes diplômées que vous ne connaissez pas mais, qui, elles, ont lu votre dossier, vous regardent et disent « on va faire ça sur vous ! ».

Quand je reçois des témoignages de lectrices, qui m’expliquent qu’un médecin leur a demandé de retirer leur soutien gorge alors qu’elles consultaient pour un acouphène, je suis en colère et je me dis que ces situations n’arriveraient pas si nous expliquions aux patients ce que nous allons faire, et pourquoi nous allons le faire. J’ai l’impression que beaucoup de patients ignorent ce simple fait : ils peuvent refuser un examen, une thérapeutique, un geste.

Atténuer la soumission à l’autorité que représente le corps médical c’est aussi respecter le serment d’Hippocrate qu’on a prêté. Réduire le sentiment de vulnérabilité de nos patients quels que soient leurs âges c’est du soin AUSSI. Remettre le tissu d’un chemisier sur le ventre d’une adolescente après examen, c’est du soin aussi, poser un drap sur des jambes en cas d’examens gynécologique, c’est du soin aussi.

Demander si on peut examiner c’est du soin aussi.

Et cette question si elle est importante à poser aux adultes, elle l’est aussi, sinon plus encore, à poser aux enfants.

« Est-ce que tu acceptes que je t’examine ? »

On bombarde les enfants d’injonctions à établir des contacts physiques avec les adultes qu’ils le veuillent ou non, sous prétexte de convention sociale,  « fais-moi un bisou », « va faire un câlin à mamie » etc, etc.

(((La politesse c’est dire bonjour, et au revoir. Je suis dubitatif sur le fait de forcer un enfant par convention sociale.)))

Je n’ai aucune idée sur la manière dont ces injonctions aux contacts physiques chez les enfants peut avoir, plus tard, un impact sur les adultes qu’ils deviendront et leur appréciation de ce qu’est un consentement libre et éclairé, mais je sais qu’un cabinet médical peut et doit être un sanctuaire ET une bonne occasion à saisir pour faire prendre conscience ou pour rappeler aux enfants que : « Ton corps, c’est ton corps, et ce n’est pas celui des autres, et le médecin qui t’examine n’échappe pas à cette règle ».

Pour des raisons évidentes il est toujours bon de rappeler aux enfants -même par ce moyen détourné qu’est une simple question posée au cabinet médical- que son corps lui appartient et que nul n’en est dépositaire, encore moins les adultes, fussent-ils médecins.

Le fardeau

Il y a une chose dont on parle peu avec les maladies chroniques, c’est la fatigue.

Que ce soit le diabète, les polyarthrites rhumatoïdes, les spondylarthrites, ces maladies chroniques sont… chroniques ! On peine souvent, pour les personnes non concernées, à bien réaliser ce que ce mot signifie en terme de coût cognitif quotidien. 

Le coût cognitif est une expression qu’on pourrait rapprocher du terme de charge mentale.

Un malade chronique doit gérer sa douleur, les incapacités entrainées par sa maladie (ne plus pouvoir se déplacer aussi facilement qu’avant, prévoir ses déplacements en fonction de la maladie, etc, etc), il doit gérer également ses traitements, ses rendez-vous médicaux avec les spécialistes, les rendez-vous para-médicaux (par exemple la kinésithérapie) autant de « petits » détails qui exigent de mobiliser des ressources considérables : du temps de cerveau disponible, mais aussi du temps tout court.

A cela s’ajoute une autre donnée, celle de la pensée permanente que nous renvoie notre corps de notre propre finalité.

Si la santé c’est le silence des organes, la maladie chronique est un brouhaha permanent. C’est vrai, nous avons finalement assez peu conscience d’être un corps. Quand nous avons faim nous mangeons, quand nous avons soif, nous buvons, quand nous avons mal nous frottons un peu l’endroit coupable, prenons un paracétamol et voilà. Le malade chronique ne peut pas faire l’économie de cette absence de pensée-là : la douleur lui rappelle tout le temps et partout qu’il EST un corps, que ce corps souffre, qu’il s’y déroule donc des phénomènes « anormaux » au sens de pathologiques, et qui sont autant de rappels de notre mortalité sur cette terre. Il faut savoir qu’une bonne part de nos ressources cognitives sont dévolues en permanence à évacuer de notre esprit l’idée que nous sommes mortels et que nous sommes toutes et tous destinés à mourir. La maladie chronique est comme un petit chien noir qui non seulement vous mord les talons à chaque seconde, sans vous laisser de répit, mais dont il vous faut en plus vous occuper une bonne partie de votre temps libre. Maintenant imaginez que ce petit chien porte sur lui un collier où serait écrit « rappelle-toi que tu vas mourir ». Chaque fois que le petit chien vous mord, vous êtes obligé de lire à haute voix l’inscription sur ce collier. Voilà, maintenant, on a peut-être une vague idée du fameux coût cognitif dont je parlais.

Alors, tout cela pour dire quoi ?

Tout cela pour dire : ne soyons pas une charge mentale supplémentaire pour ces patients-là. Ils ont le droit d’être fatigués, en colère, ils ne nous doivent pas d’explication, et ils sont légitimes à ne pas vouloir nous raconter leur vie alors qu’ils l’ont déjà racontée à 60 personnes avant nous.

La maladie chronique est un fardeau en soi, n’ajoutons pas de poids sur leurs épaules déjà bien chargées.