Archives mensuelles : mars 2018

La promenade

Alors voilà, ce couple au cabinet médical.

Ils sont en face de moi.

Ils parlent.

Même si je ne les connaissais pas bien, je devinerais aisément qu’ils ne s’aiment plus.

La fin de leur amour est manifeste.

Ça tient à rien, mais ça se voit.

Oh, pourtant, ils font merveilleusement semblant. Souvent, ils se forcent à rire aux blagues de l’autre, qu’on devine mille fois éculées.

Ils me font penser à cette histoire du vieux et de son chien (c’est dans un vieux comic-strip que j’ai lu, enfant). Le vieux aux cheveux blancs aime son chien. Le chien aime le vieillard.

Le pékinois frétille au pied du fauteuil du vieux. « Tu veux sortir, petit garnement ! » dit le vieil homme. Le chien jappe. « Allez, je t’accroche la laisse et nous partons ! ».

Le vieux attache la laisse au cou de son chien, enfile son manteau, attrape son chapeau. À peine a-t-il terminé son geste que le chien, sans crier gare, meurt. POF ! Comme ça ! Raide.

Et, là, le dessinateur met dans la bouche du vieillard cette phrase inoubliable :

« Tant pis, je te sors quand même ! »

Et le vieil homme de traîner derrière lui la dépouille du chien mort, le long de la promenade promise…

Ce couple qui ne s’aime plus me donne l’impression de faire exactement la même chose l’un avec l’autre. L’un avec l’amour de l’autre. Ils le trainent, en souvenir du bon vieux temps, d’une promesse peut-être, d’une certaine nostalgie qui ne manque pas de les hanter.

Combien d’hommes et de femmes sont ainsi ? Comme ce couple ? A trainer leur amour mort par terre et par habitude ?

Combien de ceux qui me lisent actuellement ?

Et moi, un jour, est-ce que je traînerai mes promesses ?

Vaut mieux être impudique et vivant, que pudique et mort.

« Je me promenais au bord du canal du Midi, l’eau était calme, et sombre, donnant d’ailleurs une fausse idée de sa profondeur.

J’avais 26 ans et des cailloux très lourds dans mon sac. Je n’arrêtais pas de me répéter : “Si quelqu’un tombe là-dedans, avec un poids pareil sur le dos, il se noiera direct, c’est sûr !”, et l’eau coulait, coulait, coulait. Ça s’arrête jamais de couler quand on a cette envie de mourir, qui vous pousse sur l’épaule un matin, comme un petit renard au pelage gris qui vous susurre de vilaines choses sur le sens de l’existence… »

Mon dernier papier dans l’Obs est ICI.

Lisez-le s’il-vous-plaît.

Il est totalement impudique, comme tout ce qui est vrai et politique.

Partages appréciés.

Des bisous sur ta tête, toi qui me lis.

Samedi ET dimanche prochain (après-demain donc) au @Salondulivre de Paris, je dédicacerai mes trois premiers romans parus chez Fayard/Mazarine puis au Livre de Poche et mon roman graphique paru chez Rue de Sevre. Le tout en excellente compagnie !

Venez !

Ensuite…

Rencontre à Gibert Joseph le 29 Mars à Toulouse entre le tenace, l’infatigable, l’inspirant botteur de culs, l’extraordinaire écrivain Martin Winckler et moi-même…

Venez, c’est à 18 h !

Bonne et douce soirée à toutes et tous !

(Et désolé pour le temps interminable que je mets avant de répondre à vos mails…)

Journal

Lundi

Une copine romancière :

— Dis-moi, Baptiste, en tant que médecin, ce serait quoi pour toi ta meilleure définition du mot « maladie » ?

Moi, d’un air pénétré et mystérieux :

— La maladie, c’est ce qui brise le silence des organes…

Elle :

— Comme un prout ?

Mardi

Vu le jeune Romain pour fatigue. THE motif.

Cette fatigue, j’ai senti qu’elle n’était pas normale (peux pas dire pourquoi)

Du coup : bilan.

On vient de m’appeler : leucémie aiguë.

Et dire que j’ai rassuré sa mère ce matin

La vie = de la merde

Du coup, là, j’ai commencé à me suicider avec des chokobons

Mercredi

Ai reçu ce message :

« Ça m’a fait du bien de pouvoir parler avec vous. …heureusement qu’il existe encore des personnes comme vous, et comme Docteur F.

Vous ne jugez pas, vous essayez simplement d’aider et ça fait du bien.

Merci à vous Merci d’être qui vous êtes. ..

Et, en aparté, le polo était super bien choisi ! »

Il faudrait rappeler aux gens combien on a besoin d’entendre ça de temps en temps. Qu’on nous le rappelle. Qu’on ne se bat pas contre des moulins à vent.

PS : je portais un polo horrible, mais alors vraiment horrible

Jeudi

— Tu es toujours aussi mal habillé ?

— Pourquoi es-tu toujours aussi critique ?

— Je ne suis pas critique ! Si je voyais quelqu’un de blessé je lui dirais d’aller à l’hôpital !!

(Bref, j’ai vu ma patiente préférée aujourd’hui… Bisous, maman)

Vendredi

— Le prenez pas mal Docteur, mais on vous a déjà dit que vous ressembliez au chanteur JUL ?

Moi :

— Je… je vois pas qui c’est.

— Mais si, vous savez, là, le chanteur qui …

— MAIS PUISQUE JE VOUS DIS QUE JE NE VOIS PAS DE QUI VOUS PARLEZ !!!

Samedi

Aujourd’hui, un patient très malade (et depuis très longtemps) est enfin en paix.

Que c’est dur d’accompagner nos patients jusqu’au bout… À chaque fois, tu te dis «je vais pas faire comme la dernière fois, je vais rester beaucoup plus distant» et à chaque fois tu tombes dans le panneau, et tu souffres pour des inconnus.

Heureusement que l’écriture existe : mes romans sont des refuges, et ils consolent de tout.

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(Le chanteur JUL, tout content d’être enfin arrivé à compter jusqu’à 5)