Archives mensuelles : avril 2015

L’homme qui voulait être aimé.

Alors voilà, y a deux ou trois semaines, juste avant Noël, j’ai vu un flic. Un vrai de vrai. Un poulet, comme on dit. Disons les choses franchement, il est venu chercher son traitement antidépresseur et sa prolongation d’arrêt de travail. Il était triste. Vraiment très triste.

Les gens qu’on arrête ne nous aiment pas, les gens qu’on protège non plus.

Il est là, avec sa tête toute désabusée. J’écoute. C’est le genre de consultation qui ne demande pas beaucoup d’efforts intellectuels, mais qui engage beaucoup émotionnellement. On écoute et c’est tout.

“J’ai jamais eu la prétention d’être un héros, mais je voulais aider les autres. Pas être détesté.”

Il me dit qu’il s’en tire pas trop mal. L’an dernier, un de ses collègues a sorti son arme de service pour se tuer.

“Une fois, on nous a traité d’enculés dans la rue. Avec le collègue, on a baissé la tête. On a fait semblant de ne pas entendre. On s’est senti tellement mal après, on n’osait même plus se regarder. Chaque fois que je croisais ses yeux, je savais qu’il pensait à ce moment là… Alors la fois d’après, quand on s’est à nouveau fait insulter, on a ramené nos gueules, ça a viré au lynchage et ça nous a valu un procès. Et maintenant j’ai mon poignet pété. Et j’ai mal un peu partout. Et j’arrive plus à me motiver pour me lever le matin.”

Il dit qu’il en a aussi marre de travailler la nuit.

“Je suis fatigué de dormir toute la journée, et de me lever le soir. Vous savez pourquoi la nuit c’est bleu blanc rouge ? Bleu, c’est la police. Blanc, c’est vous, les soignants. Et rouge, les pompiers.”

Ils baisse encore la tête. Il ne fait que ça. Monter et descendre la tête, en manière de commisération lasse. Je l’examine. Quand il sort sa carte, je lui dis que je ne fais jamais payer les forces de police. C’est un mensonge, mais aujourd’hui je décide de mentir à un de mes patients. Ça m’arrive souvent. Je m’en fous. Je mens.

Il me demande pourquoi. Je dis que c’est parce que j’ai eu un problème, une fois, au cabinet, et qu’ils ont été là. Soyons clairs : je ne dis pas que je suis un être profondément irrationnel, guidé par ses instincts et une trop grande sensibilité/sensiblerie ? Impressionnable ? Je suis impressionnable.

L’inspecteur Colombo me regarde, les yeux ronds comme des soucoupes. Ses prunelles disent : je suis flic et vous m’aimez bien. Vous n’allez pas me traiter d’enculé, de connard, ou de fils de pute.

Il était authentiquement heureux et surpris.

Le lendemain, il laissait une boîte de chocolats au secrétariat.

J’ai trouvé qu’on vivait quand même dans une société vraiment bizarre et je me suis souvenu que si on change quelques lettres à “poulet” ça fait “gardien de la Paix”.

 

Le festival de la nouille, PARTIE II

Photographie d’un carnet de santé (conseil général des Bouches-du-Rhône), où vous remarquerez que le petit garçon grandit fièrement, pendant que la petite fille, elle, doit se préoccuper de son poids… 

(SUITE) 

J’appelle l’hôpital mère-enfant le plus proche. Je tombe sur une infirmière qui ne sait pas et que je dérange, je tombe sur une sage- femme qui ne sait pas et que je dérange, (la prochaine fois, j’appelle ma copine Agnès Ledig, super écrivain, et humainement c’est un peu une Royce-rolls de femme). Finalement, je tombe sur un interne qui ne sait pas et que je fais carrément chier : <<Ça m’emmerde.>>. En inhumain dans le texte. 

<< Ah oui, mon gars, mais moi j’ai une gamine sous le nez qui pleure toutes les larmes de son corps et qui se souviendra toute sa vie de ton refus, espèce de sale crevure, raclure de fond de bidet… >>

J’ai pas vraiment pensé à ça : devoir de confraternité, bla-bla-bla, etc. J’ai envie de hurler, j’ai envie de taper contre un mur, j’ai envie de tuer Kim Jong-Un et Christine B. (ou de chopper la deuxième pour taper sur l’autre, histoire de ne pas me salir).

Finalement, ça m’a pris presque une heure, et les patients se sont accumulés dans la salle d’attente comme des dominos.

Elle est repartie, Nana, avec la marche à suivre. Juste avant son départ, je sais pas ce qui m’a pris, je lui ai demandé : <<Les médecins que vous aviez vu, c’était des hommes ?>>

Elle a dit oui, a séché ses larmes et elle s’en est allée.

Patient suivant : mycose du gland ! Alleluia, il était temps ! Le festival de la nouille en feu reprend !

Et moi, j’ai toujours pas eu le temps de faire ma sieste. 

J’ai envie d’un câlin. 

Je vais prendre un Xanax. 

Le festival de la nouille, PARTIE I.

Alors voilà, les patients entrent et sortent à toute vitesse. J’ai pas eu le temps de manger, j’ai pas fait passer la douane à mon café et pire que ça, j’ai même pas eu le temps de faire ma sieste : mon petit péché mignon, ma came, c’est me mettre entre 13 heures et 14 heures environ 15 minutes sur la table d’examen. Là, je prends mon téléphone, puis je pionce. J’ai une application, un truc tordu qui reproduit les bruits utérins et est sensée vous endormir en deux secondes (Freud aurait froncé les sourcils…). Chez moi, ça marche mieux qu’un Xanax. D’ailleurs, si le paradis existe, il doit ressembler à ça : 28 degrés Celsius, une table d’examen entre 13 heures et 14 heures, puis le bruit monotone d’un coeur maternel en train de battre.

Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est festival. “Festival de la nouille” pour être exact : problème de gonocoques, problème de miction, mycose, etc., bref, Festival de la nouille en feu. 

Soudain, une jeune fille en larmes entre dans mon bureau. Je ferme la porte, elle me bégaie dessus en restant debout, toute prête à repartir, l’air de dire “Ne me secouez pas, je suis pleine de larmes” et vous savez quoi ? Elle EST pleine de larmeS. 

– B-bonjour j-je voudrais savoir si v-vous faites d-des in-interruptions mé-médicamenteuses de gr-grossesse. [reniflement / larmes / reniflement]. J’ai déjà vu deux médecins, qui ont refusé. Je ne sais plus quoi faire, ni à qui m’adresser.

Moi : tête de caribou. Je viens d’apprendre – avec Stupéfaction (cherchez pas, c’est une copine qui m’accompagne depuis ce début d’année pourri) – que des médecins refusent d’aider les patientes à procéder aux interruptions médicamenteuses de grossesse. Clause de conscience. A priori, c’est comme “ça” qu’on appelle “ça”. Clause, pas close (je sais, mais pourrait y avoir confusion sémantique…). Je n’ai pas d’avis sur la clause de conscience (autorisée), mais j’ai un avis sur le refus de soin et d’orientation d’une patiente…

Je regarde la jeune fille :

– Venez, je ne l’ai jamais fait, mais on va apprendre la marche à suivre ensemble. Je ne vous laisserai pas tomber.

Je prends mon téléphone, j’appelle le planning familial pour avoir des renseignements. Fermé. Nous sommes en plein pendant les fêtes.

J’appelle l’hôpital mère-enfant le plus proche. Je tombe sur une infirmière qui 

La suite, DEMAIN !

Des bises,

Baptiste Beaulieu

(PS: grève des transports en Belgique oblige, me venue au Petit Filigrane est décalée ! Je vous en dis plus quand j’en saurais plus…)

Le pas de côté.

Alors voilà, on m’avait prévenu : “tu sais en France les deuxièmes livres sont toujours plus durs que les premiers, les gens pensent que tu publies un deuxième parce que le premier a marché, bla-bla-bla…” et c’est vrai que c’est dur… Mais j’aurais pu faire un “Alors voilà 2”, j’aurais pu “servir la soupe“, mais j’avais pas envie de raconter la même chose, j’ai envie de parler de TOUTES les choses. Rien n’est plus risqué dans le milieu éditorial que de changer de “niche éditoriale” pour une autre : risque de perdre les critiques, risque de perdre les lecteurs, etc… 

Vous savez quoi ? Je m’en moque ! Je suis médecin, je suis pas écrivain ! J’ai même pas de patron ! Je raconte donc ce que je veux quand je veux comme je veux ! Et dans quelques années, je vous écrirai même un roman porno !.. (riez pas, j’ai commencé un truc, c’est très chaud, y a des ours et des patrons du FMI…) J’ai la faiblesse de croire que, quand on affectionne un auteur, c’est à cause de son univers, de sa façon particulière de faire un pas de côté et de vous parler de ce qui fait l’humanité en l’homme. Je veux passer ma vie à faire des pas de côté. Je veux pas marcher sur les routes, je veux des ornières et des fossés !

Un jour je vous le promets, je vous écrirai un roman porno. Parce que j’aurai fait ce pas de côté et que je vous emmènerai avec moi dans une histoire. En attendant, je vous ai écrit un livre qui s’appelle “Alors vous ne serez plus jamais triste” et le Figaro Littéraire (je sais, j’en reviens toujours pas) en est tombé amoureux.

Pleine page et critique élogieuse.

Le Figaro Littéraire, quoi… Pfff ! 

Je vous raconte ça parce que certains d’entre vous me suivent depuis le tout début, quand j’étais encore un petit étudiant d’une petite ville du sud-ouest de la France. C’est notre victoire à nous…

Je vous embrasse mille fois, et je vous donne rendez-vous demain pour une nouvelle anecdote. 

Baptiste Beaulieu

PS : le manteau que je porte sur la photo s’appelle “Augustin Le Manteau”. Retenez bien ce prénom et ce manteau. Un jour, je vous raconterai son histoire. Elle est belle. 

PS 2 : je serai le Mardi 21 avril à la Librairie Kléber à Strasbourg, et le Mercredi 22 avril à 16h30 à… Bruxelles ! Vive la BELGIQUE !!! au Petit Filigrane ! Juste après, Jeudi 23 avril à 18h, je serai à la Librairie L’Armitière à Rouen … Les autres dates c’est ICI ! 
  

Éloge du cuisinier.

L’histoire c’est T. comme Tim, l’écriture c’est moi. Merci T. !

Si vous voulez raconter, c’est ICI !

Alors te voilà, toi, Tim, tu m’écris, tu me lances un “SALUT!” jovial et spontané, (j’apprécie beaucoup), tu me dis que tu aimes mes histoires parce que là “tout de suite”, t’as pas mal besoin de te réconcilier avec ton toubib, alors “lire ton blog, m’sieur Beaulieu ça me rappelle que derriere le bureau, sous la blouse blanche y’a toujours un bonhomme et que c’est déjà pas mal.”

Tu me dis que je ne posterai pas ce message, tu le sais bien, c’est pas intéressant, mais tu veux profiter de mes oreilles virtuelles parce que tu pourras au moins faire semblant que quelqu’un t’écoute, alors qu’un arbre, le vent, Dieu, ils sont bien connus pour leur “rien à foutre, démerde-toi”…

Ensuite tu écris des mots tout simples : “Alors voilà, j’ai mal au bras”, c’est ça que tu dis : tu as mal et c’est au bras, point. Même qu’il y a des jours où il s’endort et pour le réveiller tu dois faire le chimpanzé, l’agiter à tout berzingue au-dessus de ta tête, et que finalement, peut-être que t’as pas si mal au bras, puisque que quand il déconne, il te suffit de ne rien faire, à part le chimpanzé, de temps en temps, quand il est tellement endormi qu’il pourrait être mort… Et puis ça t’arrange peut-être aussi de penser ça, parce que le truc c’est que t’es comme tout le monde, t’as mieux à faire que d’être malade, t’es cuisinier et la cuisine c’est un peu de la médecine préventive : ça te prend tout ton temps, y a des fois où tu te flinguerais vu l’ingratitude du taff, mais t’as 10% du temps où la satisfaction procurée te rappelle que jamais au grand jamais tu voudrais d’un autre boulot, parce que non seulement tu nourris les gens, et nourrir les gens c’est basiquement les aider à pas mourir (oui, oui, c’est exactement à ça que ça sert, manger), mais en plus tu te tues à la tâche en essayant qu’ils y prennent leurs pieds, tu veux les rendre heureux aux moins 10-15 minutes dans leur journée, sur 24 heures c’est pas grand-chose, mais c’est ce que tu fais, tu les aides à vivre. Même que pour leurs trente petites secondes de soupirs satisfaits, tu te donnes quinze heures dans la journée, tu te fais mal au bras, et eux ils oublient, retournent au travail, à leurs vies et aux choses vraiment importantes. Et toi tu restes derrière tes fours, tu vis pour qu’ils puissent souffler au moins pendant ces trente MINUSCULES secondes, ça marche pas toujours, tu le sais, mais quand ça marche ton vrai salaire se trouve là.

Alors oui, t’as mal au bras, Tim, mais t’as mieux à faire et BASTA!..

Seulement t’en as parlé à une amie infirmière, elle t’a fait peur, un peu, elle a parlé caillot, leucémie, “t’inquiète c’est surement rien, mais va consulter, mieux vaut prévenir que guérir, bla-bla-bla…”

Hem, merde, ça fait un peu flipper quand même, alors tu prends un rendez-vous chez ton médecin que t’adores parce qu’il ne t’a jamais prescrit autre chose que du repos et du jus d’orange le matin, médecin que tu vois une fois tous les ans surtout pour ta “tendinite” (y a rien à faire, m’sieur, désolé, ça vous fera 23€) et de la bobologie.

Mais là tu as un peu peur quand même, seulement tu dois repousser le rendez-vous “because boulot” que tu ne peux pas refuser, parce que sinon factures-pas-payées et la rue pour ta pomme, et ton toubib qui devait pas passer une très bonne journée t’engueule et te refuse un autre rendez-vous.

En fait, tu te dis que c’est ta faute, mais du coup tu te dis que tu te soigneras quand t’auras le temps, jamais en fait, jamais, jamais, alors tu fais l’autruche, tu bosses et tu fais le chimpanzé.

Et, tu sais quoi, Tim ? Ton docteur sait peut-être pas que t’es derrière tes fours et que t’essaies de rendre la vie des gens un peu moins grise (c’est pas cinquante nuances de gris en moins, mais juste une ou deux ça te suffit, tu me dis que ça te rend heureux…), ton doc. le sait peut-être pas, mais nous, ici, on le sait, maintenant, oui, oui, on le sait.

Merci Docteur Tim.

Vraiment. 

PS : Arrrrgh! Je sais que je n’ai pas publié la semaine dernière mais j’ai perdu mon carnet avec les anecdotes. Il est petit, marque Clairefontaine, couleur bleue, avec des histoires d’êtres humains dedans.