50 nuances d’amour

Histoire partagée par @tamimi2213, jeune doctoresse que vous retrouvez sur Twitter à cette même adresse.

« Un papa avec ses deux enfants, Ethan, 4 ans et Mia, 15 mois. C’est la première fois que je les vois.

L’homme est calme et directif, la petite de 15 mois remuante et braillarde, le 4 ans est aveugle. De naissance. Atrophie optique congénitale bilatérale. Il n’a jamais vu.

J’examine d’abord la braillarde. Elle crie, se débat, n’a pas envie qu’on la touche. Une 15 mois classique. Des fossettes aux joues en plus.

Le grand frère sommé par son père de rester sur une chaise et de ne pas poser trop de questions ne peut s’empêcher d’en laisser échapper quelques unes “qu’est-ce qu’elle fait à Mia, la docteur ?”, “elle regarde ses oreilles?”, “pourquoi elle crie plus ?”, “elle lui touche le ventre?” ….

Le père répond d’une voix égale, donne des détails, ne semble jamais excédé. Je l’aime déjà.

Je retourne à mon bureau, mets un mot dans le dossier, un autre dans le carnet de santé, passe la carte vitale.

C’est au tour d’Ethan. Je l’aide à monter sur la table d’examen en lui expliquant chaque détail , je le déshabille en énumérant chaque étape, j’explique chacun de mes gestes. Il est vif, a un vocabulaire étonnamment riche, des questions précises, parfois adressées à moi, parfois à son père, des remarques drôles.

L’examen se passe, entre explications, papouilles et sourires.

Puis c’est fini.

Retour au bureau, mot dans le dossier, mot dans le carnet, carte vitale etc ….

À ce moment, parmi le flot de questions d’Ethan auxquelles son père continue de répondre avec patience, justesse et détails, tombe celle qui fera de cet homme un souvenir inoubliable pour moi.

Dans son exploration tactile du cabinet, Ethan découvre la balance pour bébé et demande ce que c’est. Le père répond.

Puis le petit demande de quelle couleur elle est.

Le père regarde, répond “blanc”, s’occupe de la petite 10 secondes puis regarde à nouveau et rectifie “blanc et crème en dessous”

Blanc et crème en dessous !!!!

Vous imaginez la générosité, l’implication, l’honnêteté, l’humanité, la bonté, l’amour, l’incommensurable amour qu’il faut pour offrir à un enfant qui n’a jamais vu une seule couleur une réponse d’une telle nuance !

Blanc et crème en dessous.

Quand il aurait pu répondre n’importe quoi d’imprécis, de vague, d’approximatif. De faux.

Mais non, il lui a répondu la stricte réalité. Y compris avec une nuance à peine perceptible, même pour un voyant (je n’avais jamais remarqué que ma balance pour bébé était blanc et crème en dessous)

J’ai trouvé cet homme extraordinaire.

Et cet enfant très chanceux. Malgré son absence d’yeux. »

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39 réflexions sur « 50 nuances d’amour »

  1. Jolimie

    C’est vrai ! Tout enfant à qui on parle et qu’on laisse parler aura la chance de pouvoir s’exprimer, de partager ses émotions, de créer, d’aimer de vivre quoi !

  2. Rofine

    Merveilleux Papa qui parle avec son cœur !
    Patient, à l’écoute de son enfant, lui répondant avec le maximum d’informations. C’est ça l’intégration pour ce petit qui grâce aux yeux de son Papa peut découvrir le Monde qui l’entoure. C’est un beau moment de grâce vécu par la doctoresse. Je comprends très bien qu’elle ait eu envie de le partager dans ton blog, Baptiste.
    Merci ! Je t’embrasse et te dis à bientôt le plaisir de te revoir au salon du livre de Paris.

  3. Mimie

    Ah! Merci pour ce bon moment, ce détail si léger et tellement essentiel, l’amour à l’état pur, la bonté, c’est absolument super! Bravo à la doctoresse et à vous Baptiste, je découvre plein de belles choses sur votre blog!

  4. Rodjeur69

    Et la dose d’humanité, de compassion, d’implication dans son métier qu’il faut pour réaliser ça ? Quelqu’un l’a noté ?
    Ce n’est pas donné à tout le monde de voir le beau, le vrai, l’honnête, là où ils se cachent. C’est aussi à noter car il ne suffit pas de réussir le numerus clausus pour devenir un bon médecin !
    Je pense que la jeune docteure en question est très bien partie pour devenir une excellente praticienne.

  5. Florence

    Bonjour et merci pour cette belle humanité partagée. Patience, générosité, pertinence …. whoua je suis contente pour ce petit garçon d’avoir un Papa aussi attentif. Merci. Florence

  6. Anthony B

    Ca fait du bien, de jolies histoires comme celle-ci. En fait ça aurait été plus joli si le petit voyait.
    C’est l’amour du père pour son fils qui est beau. Et le père qui joue le rôle d’yeux pour son fils.
    Je pense que c’est ça, être parent, guider ses enfants, les aider à se repérer dans ce monde, qu’ils voient ou non.

  7. isabelle

    Fille d’un papa aveugle, je l’ai toujours écouté me raconter des paysages de vacances qu’il n’a jamais vu qu’au travers du regard descriptif de ma mère “ah ce coucher de soleil flamboyant sur une mer d’huile, les pins se découpant sur le rivage mordoré”, et nous faire commenter avec force détails nos dessins puis nos cours, puis nos coloc et amis, puis nos propres enfants. Il sait tout de nos couleurs d’yeux, de notre déco d’appartement, de la qualité d’image de telle photo prise entre chien et loup.
    Le vocabulaire des autres alimente son regard intérieur, son imagination et sa mémoire exceptionnelle.
    Et ses plus gros fou-rires (parfois jaunes) ont eu lieu lors de contacts avec des… soignants, souvent très peu sensibilisés au handicap sensoriel et pourtant informés de sa cécité complète : “si vous voulez bien me suivre Monsieur en salle de soins” = “J’veux bien, Docteur, si vous me guidez quelque peu…”, ou bien “Comment faites-vous pour manger, Monsieur ?” = “eh bien comme vous avec une fourchette !”
    Alors, bravo à ce médecin qui parle directement à l’enfant et décrit généreusement l’intégralité détaillée de ce qu’elle entreprend, le pourquoi du comment. Et encouragement à ce Papa qui offre une vie de voyant à son enfant lourdement handicapé, car oui, ce handicap est lourd du poids de deux globes. Longue et belle vie colorée de l’intérieur à Ethan et à sa famille que j’aime sincèrement.

    1. Bertrand

      c’est si vrai, isabelle, je me souviens du ressenti de ma fille adulte après un accident de scooter, elle immobilisée dans ces minerves que posent les premiers secours et les soignants qui lui parlaient sans qu’elle ne les voie, ou qu’elle puisse leur répondre parce qu’ils montraient un objet qu’elle ne pouvait voir…. elle avait été très touchée par cette expérience, j’admire beaucoup les personnes dont l’empathie leur permet d’aller aussi loin et aussi naturellement à la rencontre des limites de l’autre.

  8. Tanguy

    Bonsoir,
    Un papa naturel qui donne le meilleur pour ses enfants et une justesse incroyable.
    Comme cela l’enfant voit au travers du regard de son papa
    C’est ça l’amour avec un grand A

  9. Ferrer

    Au contact de personnes ayant une déficience et qu’elle que elle soit nous apprenons à repenser à voire, entendre, parler, écouter, percevoir, autrement ..C’est est ce qui crée la relation avec les autres. .Mais ce sont aussi elles/ils qui nous apprennent à nous reapprroprier notre environnement .. Les accompagner. .Est un pur bonheur ..Merci à eux

  10. faribole

    Chouette moment. Merci. Je n’peux, toutefois, m’empêcher de dire une (semi) connerie : n’oubliez pas qu’on peut être différent en consult’ et chez soi. Moi par exemple, je suis la mère idéale, chez le toubib. Mais à la maison je gueule comme n’importe qui 😉

  11. Hervé CRUCHANT

    L’amour est aveugle. Ce genre d’apophtegme fat et snob peut devenir une réalité bien humaine, chaleureuse et tendre. A force d’être voyants nous avons muté : nous avons déprécié le message contenu dans l’image, nous sommes devenus voyeurs. Et puis, faussement naïfs, nous avons exigé que toute information soit accompagnée d’une image; même fausse, qu’importe. L’icône présentée comme peut l’être une carte de membre, paumée entre poche et vite vue, seul le geste va faire sens. Il reste de cette présentation à mari un objet, conventionnel comme un os de seiche sur le sable, qui prétendrait à lui seul représenter les océans du monde tout entier. L’imaginaire devant obligatoirement pallier aux rudesses d’une communication absconse.
    Ce papa dont il est question, reconstruit l’image à laquelle son enfant n’a pas accès. Les nuances de la parole sont remises au goût de la vie. Les mots, le ton, la chanson exceptionnelle que produit le père au-delà même du sens du mot et du phonème. J’aime citer ce livre de Régis Debray dont le titre est, approximativement “vie et mort de l’image”. Régis est devenu médiologue à partir de l’époque à laquelle il a écrit ce texte. C’est un peu ancien. Linguistique et sémiologie, philosophie et innovation s’y mêlent. La réponse à la question ‘pourquoi l’islam et le judaïsme proscrivent-elles les illustrations?’. La communication de ce papa est extraordinaire -ou, plutôt, réhabilite l’ordinaire du devoir faire- en mixant amour tendresse information éducation efficacité, tout ce que nous essayons de faire passer à nos enfants.

  12. Caroll'N Rock

    votre sensibilité cher Docteur vous a fait remarquer ce qu’une personne travaillant mécaniquement n’aurait pas remarqué. Merci pour cette sensibilité et toute ma sympathie à ce Papa extraordinaire qui ne doit pas savoir qu’il l’ai.

  13. 40

    N’importe quoi, je ne connaissais pas ce chanteur, il a le teint clair comme toi et c’est tout. Ta , non, pardon, votre Maman exagère.

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