Est-on jamais assez attentif dans la vie ?

Quand un patient nous dit qu’il va bien, mais que son regard fuit un peu, doit-on le lui faire remarquer ? Doit-on le laisser venir à nous avec sa vérité et sa souffrance ? Doit-on le pousser un peu ? et jusqu’où le pousser ? Est-on jamais assez attentif dans ce monde ?

Quand cette mère célibataire vient avec son fils trois/quatre fois par mois au cabinet médical, pour des motifs médicaux tous plus -en apparence- futiles les uns que les autres, comment rechercher ce qui cloche derrière cette demande de soin ? Le prétexte ?

Quand, finalement, au bout d’un an de consultations en tous genres, elle finit par confier en larmes qu’elle n’y arrive pas, qu’elle n’y arrive plus, qu’elle se sent démunie face à son ado, que le seul moment où il la respecte et lui parle correctement c’est quand un médecin est dans la pièce, n’aurait-on pas pu économiser du temps à cette famille ?

Est-on jamais assez attentif dans la vie ?

Et le sommes-nous toujours de la même façon ? Avec la même acuité ? Quand une journée est longue, quand les patients succèdent aux patients, que le soignant n’a pas eu le temps de manger à midi, qu’il n’a pas eu une minute de pause pour penser à autre chose que la maladie, penser à autre chose que les autres, quelle part d’attention reste-t-il de disponible en lui pour les autres ?

Nous ne sommes pas le même soignant le matin à 8h30 quand on ouvre le cabinet médical que le soir, à 20 h quand on accueille le dernier patient.

Et oui, les patients ont le droit de ne rien dire de leurs troubles, ils ont aussi le droit d’espérer que le médecin soit assez attentif pour libérer leurs paroles, leurs mots.

Est-on jamais assez attentif dans le vie ?

Il y a un rythme biologique, chez l’être humain. Eh bien il y a ce rythme diurne, nycthéméral, chez le soignant.

Qu’est-ce qu’il essaie de me confier, là, ce patient ? me dis-je parfois.

Va-t-elle enfin parler de pourquoi elle se cache et se fait vomir ? Va-t-elle enfin laisser sortir les larmes à cause de la violence de son patron ? Va-t-il enfin se confier sur les violences qu’il a subies, petit garçon ?

Les patients ont le droit d’espérer des soignants attentifs. Et le système de santé, système « du toujours plus », plus de rendement, plus de places, plus d’économies, et la demande de soin toujours plus importante, tout cela ne va-t-il pas en tout premier lieu sacrifier l’attention ?

Les patients et patientes ont le droit d’espérer en des soignants attentifs. Malheureusement, l’état actuel de saturation de notre système de santé ne pousse pas à l’optimisme : tout est prêt à craquer. Alors mon conseil, le seul, que je me permettrais de donner à vous, patient et patiente : allez si possible consulter le matin, et préférez toujours les lundis matins plutôt que les vendredis soir.

Parce que si vous avez envie/besoin (et c’est votre droit le plus strict, et c’est le sel de notre métier) de dire sans dire, ne comptez pas sur le système qui vient.

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10 réflexions sur « Est-on jamais assez attentif dans la vie ? »

  1. Babou

    Cela fait un moment que je vous lis régulièrement Baptiste, vous êtes très jeune encore ; on ressent à vous lire beaucoup de désillusions sur votre métier.
    Puisque l’on ne cesse de nous rabâcher à longueur de journée qu’il faut se former tout au long de la vie, et envisager des changements, pourquoi continuer votre métier ? Il semble ne pas vous rendre heureux, et je trouve que c’est dommage.
    Un diplômé en médecine a des bonnes connaissances, est il condamné à souffrir de son métier de soignant toute sa vie ?
    Ne peut il pas s’orienter alors vers la recherche par exemple, dans une voie où l’humain et ses problématiques ne serait plus aussi présent ?

  2. catdesmontagnes

    Triste vérité Baptiste, merci de nous la rappeler, même si nous ne sommes pas tous des soignants. L’attention à l’autre peut rendre la vie plus belle, à celui qui est attentif et à celui qui reçoit cette attention sans oser la demander. Ne baissons pas les bras.

  3. Emmanuelle

    Le patient a des droits, le soignant en a aussi, il faut que nous y pensions. Comment prendre soin de l’Autre quand soi-même, on n’a plus le temps de prendre soin de Soi (je ne parle même pas d’aller faire du sport ou tout autre loisir, juste le temps de satisfaire ses besoins basiques).
    Baptiste, comment pouvons-nous, nous, patients, vous aider et vous soutenir dans le mouvement qui s’est enclenché ?

  4. Nathalie

    Il n’y a pas que le système, si ? Il y a l’humain, aussi, tout simplement… Pour ma part j’avoue que, même si j’ai eu le temps de manger à midi (ce qui est tout le temps le cas), je ne suis pas tous les jours d’humeur à me montrer suffisamment attentive à mes élèves…

  5. pivoine

    est-ce que ça veut dire qu’il y a des questions que vous n’osez pas poser ?
    ou reformuler ce qui se passe dans la consultation,
    quelle “fausse” pudeur”vous retient ?
    “là vous me consultez pour une “pécadille”, y a t il autre chose qui vous tracasse davantage ?”
    parole de vieille psychothérapeute
    ;-)*

  6. dsl

    Billet intéressant parce qu’il ouvre plusieurs perspectives.
    Les rythmes biologiques, attention car certains sont du matin et d’autres du soir.
    L’attention véritable que l’on peut porter aux autres, les voir tels qu’ils sont, et nous pas tels qu’ils paraissent.
    Les consultations somatiques répétées et fréquentes qui masquent presque toujours un mal être ou une souffrance cachée.
    Le système ou s’en fout, nous sommes avant tout des individus, des personnes distinctes, et c’est ce qui fait la valeur de la consultation de médecine. Aucun système ne peut nous obliger à ne pas être ce que nous sommes, des êtres humains.
    Bonne Année

  7. Souslalune

    Merci du conseil … je prends toujours mes rdz le matin, parce que moi aussi, je suis plus réceptive quand je suis en forme !
    Et , une fois encore, prends-soin de toi Baptiste, et prends le temps de manger, très belle soirée 🙂

  8. Giroflée

    Quand un système arrive à un tel stade de saturation, il y a bien un moment ou on ne pourra que faire marche arrière et retrouver un minimum de raison et d’équilibre…Enfin j’espère …Pour vous Baptiste et pour tous ceux qui travaillent à flux tendus…Prenez soin de vous Baptiste et Bonne année 2020 : )

  9. Raphael Grellet

    En tant qu’enseignants – en kiné, en l’occurrence – on essaye de donner des outils aux étudiants pour éviter cela… En parlant de la hiérarchie, en parlant du curriculum caché, de la diffusion des responsabilités, de la dimension profondément contextuelle des décisions humaines et des théories du raisonnement et leur lien avec la réflexivité et la métacognition… On essaie… Mais les habitus sur le terrain sont forts et j’espère qu’ils arriveront à porter un regard juste sur le milieu du soin, fortement hiérarchique et structurellement violent, tant pour les soignants que pour les patients.

    Malheureusement, en cours, je ne me permets pas de rentrer dans une critique sociale frontale parce que doute que les étudiants aient les notions d’économie et de sociologie pour les saisir ; mais le constat est là : on est tributaire d’un système politico-économique qui mine notre travail.

    1. Mi

      J’aurais aimé avoir un professeur qui me prépare davantage à ce genre de situations. J’aurais aimé savoir un peu plus quoi faire lorsqu’un patient revient, séance après séance, avec les mêmes tensions, avec ce même corps qui parle sans rien dire et moi qui ne sait pas comment l’aider, alors que visiblement, ce n’est pas de ma qualité de kiné dont il a besoin.
      J’aurais aimé plus que tout connaître des mots magiques qui les poussent à s’écouter et à demander de l’aide quand ils en ont besoin, tout bêtement…

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