Les vieux, on s’en fout.

Photo prise cet été.

Ma mère.

Avec mon père, ils gardent les enfants de ma soeur.

Ma soeur est soignante.

Elle travaille.

Elle a dû se résoudre à laisser ses enfants à mes parents le temps du confinement (qui durera plus de 15 jours, on le sait maintenant).

Son cabinet étant à 100 mètres de la maison de mes parents, elle va pic-niquer, assise dans le jardin, et les enfants mangent assis dans le salon, de l’autre côté de la fenêtre.

Ils ont 9 et 5 ans.

Leurs grands-parents ont 69 ans.

Trois générations séparées par une vitre.

Faudra qu’on questionne la façon dont certains relativisent la maladie parce qu’elle touche « surtout les plus de 70 ans ».

Je parle du modèle productiviste bien merdique de notre société : t’es vieux, tu produis moins, tu vaux plus rien.

Ce sont nos parents, nos grands-parents. Les vôtres. Les miens.

Ils furent ce que nous sommes. Nous serons ce qu’ils sont.

En guerre et contre tout.

Alors voilà,

En Guerre, on donne des ordres.

En Crise, on donne des moyens.

Devinez quel champ lexical on a choisi d’utiliser ?

Avant-hier soir, allocution d’Angela Merckel à la télévision allemande.

« C’est notre plus grand défi depuis la seconde guerre mondiale ».

Darmanin, ministre, l’autre soir : « pas de polémique en temps de guerre ».

Pauvre choix de mots, certes.

Mais surtout : j’ai peur.

Peut-être suis-je démesurément cynique, mais si j’étais un gouvernement ultra-libéral préparant les peuples à réduire leurs droits sociaux au prétexte patriotique, obligatoire, inévitable, d’une « économie de guerre », eh bien je ne m’y prendrais pas autrement.

La baisse de productivité, ce sera aux travailleurs et travailleuses de la payer. Et la pilule passe mieux quand on use et abuse d’un langage symbolique patriotique, belliqueux, sacrificiel.

Voilà pourquoi je me méfie du champ lexical héroïque et guerrier pour désigner le travail des soignants (« ils partent au front », « ils sont en première ligne », « c’est la guerre » etc).

Je vous renvoie à cet article de Marianne (pas vraiment un journal de gauche pourtant) : le gouvernement pense déjà l’après confinement, un projet de loi prévoit la limitation des congés payés, la fin des 35h, des licenciements facilités, etc.

On dira que c’est de la « relance économique ». Et en ayant abusé du narratif guerrier, héroïque, toute personne qui se lèvera pour protéger des acquis sociaux durement gagnés par nos anciens passera automatiquement pour un lâche ou un traitre à la nation. Parce qu’on sortira « de la guerre ».

Pourtant… Un virus ne nous fait pas la guerre. Quelle idée absurde… Un virus vit sa vie de virus.

C’est le capitalisme, l’épuisement des ressources naturelles, le productivisme effréné, voilà ce qui a déclaré la guerre à l’humain.

Apprendrons-nous quelque chose de cette épreuve ?

Coronaviedemerde

Est-ce que je viens de me faire agresser par un patient parce que je ne pouvais pas lui fournir de Gel hydro-alcoolique ?

Il semblerait bien que oui.

Est-ce qu’on se retrouve obligés de préparer un sac de denrées alimentaires pour une copine urgentiste qui finit trop tard pour faire des courses et n’a plus rien quand elle trouve du temps pour se rendre en épicerie ?

Il semblerait bien que oui.

Pensez aux soignant.e.s, les gens.

Rien ne sert de faire des réserves. Les magasins de bouffe seront réapprovisionnés, pas le moral des soignants.

Une amie me dit qu’elle ne sait pas quoi faire pour nous aider. Qu’elle se sent inutile en restant chez elle.

Eh bien sachez-le : en restant chez elle, elle nous aide.

Beaucoup.

Le but étant d’étaler au maximum les arrivées de patients, pour ne pas surcharger les services déjà débordés.

Rester chez soi, c’est permettre cet étalement dans le temps.

On sait que beaucoup de gens vont tomber malade, mais on a besoin qu’ils le fassent dans beaucoup beaucoup de temps.

Rester chez soi, c’est nous aider.

‪L’héroïsation du personnel soignant est un narratif commode pour dépolitiser nos revendications et nous enfermer dans une posture intenable : un héros, ça ne demande pas du personnel supplémentaire, ni ce truc un peu sale qu’on appelle des sous.

“Selon les statistiques du ministère de la Santé, l’hôpital a perdu 5,3 % de ses lits depuis 2013. À eux seuls, les établissements publics en ont perdu 13 631.”

Article du Parisien, ici.

Moi, je n’oublie pas.

Je n’oublie pas qu’il y a encore quelques semaines le gouvernement d’Edouard Philippe aspergeait de lacrymo les soignants qui manifestaient pour une meilleure prise en charge de leurs patients… et aujourd’hui ça joue du Hans Zimmer sur un piano chaque fois qu’on pète…

L’héroïsation est toujours un piège, car c’est une dépolitisation.

Quand la crise sera passée, on voudra du personnel supplémentaire et des sous, pas des monuments aux morts, pas des statues.

Courage et soutien à toutes et tous !🙏🏻💪♥️

Mea Culpa

Alors voilà,

Réunion de discussion collégiale hier après-midi au cabinet médical avec mes associés.

On a pris les mesures les plus adaptées possibles compte tenu du foutoir total où nous sommes abandonnés (les patients en seront les premières victimes).

Je dois faire mon mea-culpa. Je m’en veux d’avoir traité cette pandémie avec légèreté.

Les premiers spécialistes qui en parlaient étaient vraiment rassurants.

A J15, pourtant, les chiffres qui viennent d’Italie sont alarmants.

Les hôpitaux là-bas sont débordés.

Éric Caumes, chef du service d’infectiologie à la Pitié Salpêtrière fait état de décisions terribles prises par les services de réanimation là-bas, notamment à Milan (pas besoin de vous faire un dessin).

Ici, les gens continuent pourtant à sortir dans les rues.

Cette liberté que nous réclamons, par bravade et bêtise, elle tuera le grand-père ou la grand-mère de quelqu’un.

Sortons peu, voir pas du tout.

Si vous allez bien, considérez-vous automatiquement comme porteur sain, et considérez automatiquement toutes les personnes que vous croisez comme personnes à risque.

Courage et soutien à toutes et tous !🙏🏻💪♥️

« il y a des cas où il faut mettre, pour un moment, un voile sur la liberté, comme l’on cache les statues des dieux. »

Montesquieu.

PS : Je sens trop les mecs qui vont passer les 3 prochaines semaines à vivre comme d’habitude et qui, la crise passée, nous diront :

« vous voyez, vous vous inquiétiez pour rien ! »

Alors que c’est la discipline des autres qui aura permis à ces gens-là d’aller bronzer au Parc Monceau.

PS 2 : ‪Ne sortez pas.‬

‪Faites comme moi : prenez de belles photos d’homme tout nu dans votre cuisine, toutes lumières éteintes, frigo entrouvert, puis prétendez être un photographe de génie, spécialiste du clair-obscur.‬

‪#lesbonsconseilsdetontonbaptiste

Un peu de chaleur humaine.

Alors voilà, il y a ce patient de 84 ans que j’ai connu il y a longtemps, je veux vous en parler comme s’il était avec nous là maintenant.

Il est veuf, mange seul, fait ses courses seul, réveillonne seul à Noël, bref bref bref c’est pas trop trop trop la joie, son dos lui fait mal, il marche un peu courbé. Ses interactions sociales sont assez limitées.

Parfois il envie son voisin de palier car « lui n’a pas bien pris soin de son cerveau alors il ne se souvient de rien. Moi j’ai pris soin de mes neurones alors je me souviens de tout ! ».

Il s’applique chaque jour à bien manger, bien entraîner ses souvenirs, mots fléchés, mots-mêlés, mots-croisés, et sudoku, huile de foie de morue.

Il a tout fait bien comme il faut pour préserver sa mémoire et ne rien oublier.

D’ailleurs, chaque fois que je le vois il me parle de ses parents, me décrit des scènes de son enfance comme si elles étaient survenues avant-hier, et il lui arrive de pleurer quand il parle de son père ou de sa mère « vous devez trouver cela bête que je les appelle encore papa et maman, à mon âge ! ».

Il me dit qu’il n’arrive pas à se faire à l’idée de leurs départs, qu’il aimerait juste les prendre dans ses bras encore une fois c’est tout, que c’est étrange cette vie où on vient au monde et on aime, et je comprends que sa question, grande grande grande question, eh bien sa question est celle-ci :

pourquoi faut-il qu’on naisse, aime tant certaines personnes, puis qu’on les perde ?

Je n’ai pas la réponse mais j’aime bien ce patient alors on parle de tout et de rien, il vient juste renouveler son traitement rien de trop compliqué alors on a du temps. On papote.

La dernière fois, il entre, il prend ma main, il la garde plus longtemps que d’habitude dans la sienne (mais pas d’une étrange façon) puis il ferme les yeux (mais pas d’une étrange façon) inspire et expire longtemps, puissamment (mais pas d’une étrange façon) puis il me dit qu’il aime bien ma main parce qu’elle est chaude et que son papa avait la même chaleur dans la paume, il me dit ça à moi alors que j’ai 34 ans et lui 84, et c’est vrai qu’il a les mains froides, je m’en rends compte maintenant.

Le cerveau sait toujours trouver un moyen pour convoquer le passé, le raviver un instant, en vue (qui sait?) d’apaiser un peu la mélancolie d’être la même personne qui pense dans le vieux corps qu’on est devenu.

C’est peut-être même à ça que cela sert, la chaleur humaine : aider les souvenirs à trouver leur chemin.

(vous pouvez aussi retrouver ces chroniques sur le site de France Inter ICI).

N’aie pas peur, jamais.

Alors voilà, il y a de cela un an, j’envoyais anonymement un recueil de poèmes à l’éditeur, auteur et critique littéraire Eric Poindron.

Il n’avait aucun moyen de savoir qui l’avait rédigé.

Avais-je besoin de (re)faire mes preuves ? De me persuader que je n’étais pas un imposteur ? Après les romans, le théâtre, les nouvelles ?

Deux mois plus tard, alors que je m’imaginais ledit recueil achevant lamentablement sa vie au fond d’une broyeuse, je recevais ce message : « Je ne sais pas qui vous êtes, mais vous êtes un poète. Rencontrons-nous ». Signé : Éric.

Voilà comment, dix mois et une neuve amitié plus tard, je suis immensément fier de vous annoncer la sortie prochaine de mon premier recueil de poèmes, illustré par le fantastique et talentueux peintre Joséphin Bastière.

Le recueil s’appelle « N’aie Pas Peur, Jamais ».

Il sera disponible en avant-première au salon du Livre de Paris (on inaugure la collection le samedi 21 mars à 17heures ! En compagnie de Dominique Tourte qui a rendu l’aventure possible), puis dans toutes les librairies début avril.

Je vous en parlerai encore et encore…

Il est, à mes yeux, bien plus qu’un recueil de mots, la preuve que je n’ai volé la place de personne.

PS : Je suis infiniment désolé : à priori un Bug fait publier plusieurs fois l’article et vous inonde de mails. Je déteste être spammé. Toutes mes excuses pour ce cafard dans la machine…

Madame Oiseau

Quand je parle ici de mon expérience je n’évoque jamais un patient particulier mais des ensembles de patients, que j’agglomère sous un visage individuel.

Et en usant du même procédé je voulais vous parler de madame Oiseau.

Elle boit. Elle a hésité à m’en parler la première fois que nous nous sommes vus en consultation. Parce que c’est honteux. Pour une femme. D’ailleurs, elle parle peu, ses mots sont des événements. Elle m’explique. Elle va perdre son permis de voiture. Peut-être la garde de ses enfants.

Elle tremble, parait sur le point de s’effondrer.

Comme l’écrit l’excellente romancière Cathy Galiegue dans son roman sur l’alcoolisme féminin « et boire ma vie jusqu’à l’oubli » :

« Autant nommer les choses pour ce qu’elles sont. On ne boit pas. Boire, c’est pour se désaltérer. Un boulimique ne mange pas, il bouffe. Quand on se fait glisser de l’alcool dans le gosier, tous les jours, en quantité massive, alors on ne boit plus, on se livre une lutte armée dans laquelle l’assaillant est aussi l’assailli. »

Eh bien quand je fais sa connaissance, Madame Oiseau est l’assaillante assaillie.

On parle ensemble. Longtemps. De son histoire, de ses peurs, de ses regrets, des endroits où elle cache l’alcool dans la maison, « entre les plis du linge puisque de toutes façons personne hormis elle ne s’occupe du linge ».

Je ne dis rien mais cette histoire de linge, c’est peut-être une part du problème. Je ne sais pas.

Elle me parle aussi de cette fois où des policiers l’ont arrêtée et ont pris en se marrant des photos d’elle en train de tituber au poste. Du lendemain matin, aussi, où un policier a profité d’avoir son numéro de téléphone pour lui proposer un rendez-vous et « d’aller boire un verre ».

Quand on boit on est vulnérable. Quand on boit et qu’on est femme on est vulnérable au carré.

Eh bien je veux le dire : cette patiente s’en sort. Elle s’en sort toute seule. Elle est entourée, mais elle s’en sort. Et je voudrais vous parler de la façon dont j’ai vu, jour après jour, ses cheveux se faire moins gras, sa mise moins dépenaillée, son teint moins gris, et peu à peu, lentement, comme au printemps éclosent les bourgeons, revenir sur son visage un sourire, et du rose sur ses joues, et la vie reprendre ses droits.

Elle s’en est sortie. Elle s’est libérée. Elle est libre. Je ne dis pas qu’elle ne rechutera pas. Personne ne le sait, ça. L’alcool est un fil à la patte.

Mais elle a réussi.

Alors à toutes les madames oiseaux qui nous lisent je voudrais dire : ne perdez pas espoir.

Vous pouvez réussir, vous pouvez y arriver. Je le sais, je l’ai vu.

Parlez-en si vous vous en sentez la force. À un ami, un médecin, un parent, une collègue, une personne de confiance. Quelqu’un qui écoute sans juger. Parlez-en. Parlez-lui. Vous n’êtes pas seule.

(La suite de ces chroniques est disponible sur le site de France Inter, ICI)

(Je suis infiniment désolé : à priori un Bug fait publier plusieurs fois l’article et vous inonde de mails. Je déteste être spammé. Toutes mes excuses pour ce cafard dans la machine…)

Sortie !

Mon dernier roman sort aujourd’hui en format Livre De Poche, et il est sélectionné pour le Grand Prix des Lecteurs.

J’ai pas de mots assez forts pour vous exprimer toute ma gratitude : vous l’avez accueilli avec de tels jolis mots…

Merci à vous du fond du coeur : vous faites vivre cette petite bouteille à la mer…

Bonne journée !

B

Madame Soledad

Chère Madame Soledad,

Tu es peut-être dans ta voiture en train d’écouter ça et j’avais envie de te parler de toi. Comment tu vas ? C’est que, tu vois, je m’inquiète un peu.

Je sais que tu as mal partout, et tout le temps.

Les os, le ventre, le coeur, et la tête.

Et le matin, se lever, « c’est horrible, horrible docteur… »

Tu viens deux / trois fois pas mois.

Tu prends de la levure de bière pour tes cheveux, de la spiruline pour la fatigue, du magnésium pour tes tremblements, des extraits de vignes rouges pour te fouetter les sangs, de la valériane pour lisser ton sommeil.

Moi je sais bien que n’es pas condamnée, que tu as juste mal partout partout partout. D’ailleurs tu me le dis ouvertement, toi, que c’est dans ta tête. Mais moi, madame Soledad, je pense que c’est dans le coeur, car tu as besoin qu’on te regarde parce que personne ne te regarde jamais et que tu as besoin qu’on t’écoute car personne ne t’écoute jamais. Ni ton mari ni tes enfants, et quand tu parles et quand tu sais quand tu te sens écoutée, je vois bien, moi, chère Madame Soledad, que tu reprends des couleurs : tu te redresses, bien droite, comme si parler et être écoutée était une eau versée sur la terre de ce bambou avachi qu’est devenu ton dos à force d’indifférence, de sacrifices pour les autres, de linge repassé sans un merci, de petites chaussettes sales ramassées, d’absence de tendresse, d’absence de caresses.

Tu prends des extraits de curcuma parce que tu ne veux pas mourir du cancer comme ta mère, du cartilage de requin en poudre pour ton arthrose, de la lutéine pour tes yeux, de la vitamine D commandée sur un site chinois pour les os.

Je t’aime bien, moi, madame Soledad. Je veux dire : on a tous en nous un petit quelque chose de madame Soledad. Tu as mal partout, au corps, au coeur et à l’univers tout entier. Tu as besoin de parler, juste parler. Tu as besoin d’être écoutée, juste écoutée. Tu as besoin que quelqu’un te regarde et te dise : « Vous existez, madame Soledad, vos peines existent, votre douleur existe, tout cela existe et vous avez le droit d’avoir mal, au corps, au coeur, et à l’univers tout entier, et à la vie qui va sans vous, la vie qui passe sans vous, la vie qui n’est pas celle que vous espériez quand vous aviez seize ans, avec cet homme qui a changé et qui ne ressemble plus vraiment au beau jeune homme qui vous attendait à la sortie des cours, la vie qui s’est mise peu à peu à vous ignorer, la vie qui vous a oubliée et nous les médecins on ne peut rien faire si ce n’est vous écouter parler de ces os, tous ces os qui vous font mal, de ce corps, ce corps qui vous fait mal, mal jusqu’au coeur, et cette existence qui pèse trop, pour rien, mais pour trop de monde. »

Je suis sûr que l’industrie vendrait beaucoup moins de valériane, de magnésium, d’extraits de curcuma, de lutéine et autres poudres à base de lait de pingouin si on savait être plus attentifs les uns aux autres, madame Soledad.

Parce que c’est dur de s’avouer qu’on n’aime pas, ou plus sa vie, de s’avouer que c’est pas comme ça que ça devait tourner, qu’on a vingt ans qu’une fois et que pour toi c’est déjà fait, déjà passé, eh bien que reste-il ? Aller chez son médecin. Parler. Être écoutée.

Alors vas-y, madame Soledad, je t’écoute, eh bien, eh bien, installe-toi, voilà… ce n’est pas moi qui parle, c’est moi qui t’écoute…

[la suite de cette chronique et des autres est disponible ICI]

Est-on jamais assez attentif dans la vie ?

Quand un patient nous dit qu’il va bien, mais que son regard fuit un peu, doit-on le lui faire remarquer ? Doit-on le laisser venir à nous avec sa vérité et sa souffrance ? Doit-on le pousser un peu ? et jusqu’où le pousser ? Est-on jamais assez attentif dans ce monde ?

Quand cette mère célibataire vient avec son fils trois/quatre fois par mois au cabinet médical, pour des motifs médicaux tous plus -en apparence- futiles les uns que les autres, comment rechercher ce qui cloche derrière cette demande de soin ? Le prétexte ?

Quand, finalement, au bout d’un an de consultations en tous genres, elle finit par confier en larmes qu’elle n’y arrive pas, qu’elle n’y arrive plus, qu’elle se sent démunie face à son ado, que le seul moment où il la respecte et lui parle correctement c’est quand un médecin est dans la pièce, n’aurait-on pas pu économiser du temps à cette famille ?

Est-on jamais assez attentif dans la vie ?

Et le sommes-nous toujours de la même façon ? Avec la même acuité ? Quand une journée est longue, quand les patients succèdent aux patients, que le soignant n’a pas eu le temps de manger à midi, qu’il n’a pas eu une minute de pause pour penser à autre chose que la maladie, penser à autre chose que les autres, quelle part d’attention reste-t-il de disponible en lui pour les autres ?

Nous ne sommes pas le même soignant le matin à 8h30 quand on ouvre le cabinet médical que le soir, à 20 h quand on accueille le dernier patient.

Et oui, les patients ont le droit de ne rien dire de leurs troubles, ils ont aussi le droit d’espérer que le médecin soit assez attentif pour libérer leurs paroles, leurs mots.

Est-on jamais assez attentif dans le vie ?

Il y a un rythme biologique, chez l’être humain. Eh bien il y a ce rythme diurne, nycthéméral, chez le soignant.

Qu’est-ce qu’il essaie de me confier, là, ce patient ? me dis-je parfois.

Va-t-elle enfin parler de pourquoi elle se cache et se fait vomir ? Va-t-elle enfin laisser sortir les larmes à cause de la violence de son patron ? Va-t-il enfin se confier sur les violences qu’il a subies, petit garçon ?

Les patients ont le droit d’espérer des soignants attentifs. Et le système de santé, système « du toujours plus », plus de rendement, plus de places, plus d’économies, et la demande de soin toujours plus importante, tout cela ne va-t-il pas en tout premier lieu sacrifier l’attention ?

Les patients et patientes ont le droit d’espérer en des soignants attentifs. Malheureusement, l’état actuel de saturation de notre système de santé ne pousse pas à l’optimisme : tout est prêt à craquer. Alors mon conseil, le seul, que je me permettrais de donner à vous, patient et patiente : allez si possible consulter le matin, et préférez toujours les lundis matins plutôt que les vendredis soir.

Parce que si vous avez envie/besoin (et c’est votre droit le plus strict, et c’est le sel de notre métier) de dire sans dire, ne comptez pas sur le système qui vient.

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