Vol au dessus d’un nid de coucou.

Alors me v’la appelé à la rescousse de l’interne en psychiatrie qui doit faire un sondage urinaire mais : “je sais pas comment faire” me dit-il.
Il m’accueille : à la main un trousseau de clefs gros comme celui de Passe-Partout dans Fort-Boyard (là, j’aurais dû flairer l’embrouille), il ouvre une porte, la referme, long couloir, ouvre une porte, la referme (je commence à paniquer : pourquoi toutes ces portes, pourquoi toutes ces clefs ?).
Chambre 7 : les murs sont maculés de taches noires, ça sent mauvais, le patient est attaché sur le lit. Il gémit (ou grogne, bref : il “gromit”). Ça fait mal, un globe urinaire !

[Je dois vous dire : à l’époque je suis en stage de gériatrie, j’ai pris la mauvaise habitude (parce que ça les rassure) de poser la main sur l’épaule des vieux patients avant de faire un geste invasif et douloureux.

Vous sentez venir le truc là ?]

Moi, enthousiaste :
– Bonjour ! Je m’appelle B., je vais introduire ce minuscule —en fait pour ceux qui n’en ont jamais vu, c’est énorme !— tube en caoutchouc dans votre urètre afin d’évacuer l’urine qui distend votre vessie et vous fait si mal !
Lui, regard fixe du psychotique sous neuroleptiques :
– Ne retouche plus JAMAIS mon épaule. JA-MAIS.
Là, plusieurs idées se bousculent chronologiquement dans ma tête :
1- “Od€2@48€€131416jasdaaaarrrhhhh”
2- Jésus, Bouddha, Moïse, Ghandi, Krishna, Superman, Maman…
3 – Ça alors ! Les tâches noires sur le mur sont en fait des morceaux d’excréments écrasés.
4 – Si ça le gêne que je touche son épaule, c’est qu’il n’a pas dû comprendre ce que j’allais faire à son urètre.
5 – J’ai pas oublié d’éteindre la lumière de la cuisine en partant ce matin ?
6 – C’est dingue toutes ces clefs et toutes ces portes !
8 – C’est où, déjà, l’urètre ?
7 – Maaaaamaaaan !

Parfois mon métier me fait un peu peur, je veux dire : parfois mon métier me fait VRAIMENT un peu peur.

“Il y a toujours du bon dans la folie humaine”
Villiers de l’Isle-Adam.

“Not today.”
Syrio Forel, Game of Thrones.

A ce propos, j’ai eu la chance de voir le spectacle musical ci-dessous qui parle de la maladie psychiatrique et de l’hôpital psy de façon humaine et touchante, je vous le conseille : http://www.lesinstantsvoles.fr/

3 réflexions sur « Vol au dessus d’un nid de coucou. »

  1. marie

    là c’est pas cool… j’ai ri…j’ai ri d’imaginer la tête du Bibi après le JA-MAIS! et mon Dieu le questionnement tout azimut après mdr mdr et au final l’examen invasif a-t-il eu lieu…that the question?
    Quant à Vol au dessus d’un nid de coucou “c’ est l’un des plus grands films de tous les temps, je peux le voir le revoir le rerevoir j’ai toujours le même tsunami émotionnel. Un truc de dingue…of course

  2. Save Our Souls

    Même si sa réaction n’était malheureusement pas celle espérée, merci d’avoir, malgré ce contexte difficile, par ce geste et cette intention, restitué à cet homme que l’on a attaché comme un chien, un peu de sa nature d’être humain. Ne vous découragez surtout JAMAIS de faire ça c’est si beau, grand, et bon… Si seulement plus de vos confrères avaient votre grandeur d’ÂME!
    Aujourd’hui, QUATRE DÉCENNIES déjà après ce film, on EMPRISONNE encore des gens dans les hôpitaux psychiatriques, combien d’innocents ayant juste le tort d’avoir des bleus à l’âme -sans même avoir intenté à leurs jours- pour combien de psychotiques dangereux?
    Je ne sais plus le titre de la belle histoire à la fin de laquelle vous interpelliez sur le fait de soigner le corps ET l’âme, mais DIEU COMME VOUS AVEZ RAISON!
    beaucoup, beaucoup, tant de choses à dire d’autre

  3. emi

    J’imagine comment tu as du te sentir ! Moi aussi, en ehpad ( je suis infirmière) j’avais l’habitude de toucher les gens. Maintenant que je suis revenue en psy, beaucoup moins. Ce rapport au corps est tellement difficile…
    Juste un petit mot pour répondre à Save Our Soul,, la contention ne veut pas dire ” attaché comme un chien”, c’est un soin, avec une surveillance accrue. Les gens ne sont pas ” emprisonnés” dans les hopitaux psychiatriques, il y a une loi qui protège des internements abusifs pratiqués il y a 40 ou 50 ans. Et surtout, les psychotiques ne sont pas ( tous) dangereux. Il faut se méfier des reportages dans les médias !

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