La mauvaise étagère.

(Pour M., qui sait écouter même ce que je n’arrive pas à dire : “Tomber trois fois, se relever toujours.”)

Alors voilà Mlle T., 27 ans, douleurs articulaires chroniques.

Les examens étant négatifs et Mlle T. ayant eu plus que son comptant de bleus à l’âme, le docteur l’a rangée sur l’étagère du BAS, celle marquée : “Hystérique qui s’ennuie dans la vie et va consulter plutôt que de rester sagement chez elle pleurer dans des pots de Häagën Dazs en jouant au Scrabble après avoir rempli toutes les grilles du Sudoku”.

Mais voilà : que ce soit dans la tête ou dans les genoux, Mlle T. boite !
Elle insiste : psy/pas psy, une souffrance est une souffrance, et nous, les médecins, sommes outillés pour fixer ça. Non ? C’est SA vie qui dérape ! Et qui relève la vie des gens quand celle-ci trébuche ?

Après huit ans d’errance médicale et psychothérapie :

Nouveau bilan + IRM = ça concorde : Mlle T. a une spondylarthrite ankylosante.

Mlle T. est presque rassurée : elle peut ENFIN nommer cette partie de son corps qui lui échappe. Quant à nous, les mécanos du corps qui aimons que tout soit bien à sa place, nous pouvons déplacer Mlle T. sur l’étagère du HAUT : “Maladie rhumatismale au nom qui fait peur, qu’on sait pas trop ce que c’est, ni comment la traiter, mais qui fait quand même très mal et très chier”. Cette étagère rassure : le corps, ça se voit, se trifouille, s’ausculte, se sonde etc…
L’esprit… Lui… voilà une autre paire de manches…

Alors je pose juste une question, libre à vous d’y répondre :

Et si nous mettions ces deux étagères sur le même niveau ? Je veux dire : et si nous mettions VRAIMENT ces deux étagères sur le même niveau ?

Parce que Hippocrate était médecin, pas garagiste.

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16 réflexions sur « La mauvaise étagère. »

  1. Marie

    Farpaitement. Absolument. Merci de le dire. Les deux étagères au même niveau, et très proches l’une de l’autre. Je veux dire VRAIMENT très proches.

  2. Séverine

    Moi aussi j’ai une spondylarthrite ankylosante ( axiale et périphérique pour les connaisseurs…), et je confirme, ça fait VRAIMENT très mal et VRAIMENT très chier…… Merci Baptiste de le reconnaître officiellement sur ton site en tant que médecin, ça fait VRAIMENT du bien à lire…..

  3. BelleIsa

    Oui, il faut vraiment mettre ces 2 étagères au même niveau: le corps est le moyen d’expression de l’âme lorsque les mots pour ses maux ne sont pas entendus.
    Merci de l’avoir vu, et de prendre garde de ne pas l’oublier.

  4. Alaska

    Je suis tout à fait d’accord, ces deux étagères doivent être au même niveau. Aider le corps et l’esprit, l’esprit et le corps. Réparer les rouages cassés, physique ou psychologique et aider l’autre à se relever. Beau métier que docteur, B !

  5. Mona

    merci, merci, merci 🙂 ! c’est vrai, que, bêtement (oui, c’est “bêtement”, parce que c’est vraiment dommage, ces étagères), on est enfin rassuré(e)s quand enfin, un nom qui vient soudainement enrichir notre vocabulaire est mis sur notre douleur : je me souviens d’avoir eu une très grosse boule dans la gorge pour prononcer “si je n’ai rien, c’est que je suis folle” (et ça n’arrange pas en plus vraiment le moral, ce genre de doute) (donc, ça aide à se faire placer sur l’étagère “chieur” ou “hystérique”, parce qu’en plus, ya une étiquette différente) (et je n’avais pas rien)

  6. Gabrielle

    Merci, je suis entièrement d’accord avec Mona. Quand enfin un nom est mis sur une pathologie, on peut enfin vivre, enfin passer à la suite, car dejà mettre un nom, c’est un peu le bout du voyage. On n’est pas fou, le problème est réel et avec de la chance un traitement existe. Et même psy il existe des possibilités d’aide, donc OUI, les 2 étagères doivent être au même niveau. Merci d’avoir posé la question. Si seulement d’autres médecins le faisaient…

    1. marie

      Si seulement, des cours étaient donnés, en ce sens , aux futurs médecins. C’est peut-être déjà le cas enfin j’ose l’espérer; la prise en compte de l’état du moral et de l’écoute du malade sont fondamentales pour enclencher le processus de guérison. J’ai eu la chance de tomber sur des médecins (un peu croisés DocBibi) qui avaient de grandes oreilles, qui étaient curieux et ouverts , ils s’offraient aussi le luxe de prendre le temps nécessaire de m’expliquer ce qu’ils pouvaient envisager comme traitement, si j’étais d’accord ou pas, merci à eux.

  7. Chris

    J’ai été diagnostiqué il y a 1 un après 17 ans de symptômes. Pendant 17 ans comme Melle T. j’ai entendu que je simulais (bien sur, je réglais mon réveil sur 3h du mat’ en simulant des douleurs au dos), que je cherchais de l’attention et que le psoriasis c;est pas un vrai.
    Le top du top, mon doc qui m’a dit “que la force soit avec toi” apres des semaines d’exams non concluant. Je suis non-violent, mais j’ avoue avoir eu des pensees criminelles un instant.

    Diagnostic finalement pose par une (charmante, ce qui ne gache rien) interne en medecine interne (a qui j’ai fait livre une boite de chocolat!).

    Aujoud’hui je sais ce que j’ai, je peux le prendre en charge et surtout, je sais que je ne suis pas atteint de l’esprit (En tout cas.. pas pour ca ;)) et ca, putain, ca soulage!

  8. Pivoine

    Je sais que son procès n’est pas terminé, et que l’on demeure innocent tant que l’on n’a pas été reconnu coupable … mais cet homme est suspecté d’avoir abattu sa compagne de 4 balles et bien que le post soit ancien et peut-être plus beaucoup lu, je pense à cette jeune femme assassinée (par erreur ou pas) ….

    1. Marie-Eve

      Ce monsieur sera jugé et puni, certainement emprisonné longtemps par les hommes et encore plus longtemps par ses remords.

      La punition n’inclut pas la suppression de tout ce qui a été sa vie d’avant, ni même sa radiation de l’humanité.

      Penser avec émotion à cette jeune femme assassinée, en être très triste, n’empêche pas d’être juste et de voir la part d’humanité qui subsiste sous les actes monstrueux qui ont été commis.

  9. tatooide

    Je relis “au hasard’ aujourd’hui ce billet. Hier, sur ma table d’osteo, j’ai eu un monsieur. Qui a mal au dos, depuis des années. Et puis à l’épaule aussi. Là où son père aimait bien le taper. Et puis finalement, son père ne l’a jamais aimé. Sa mère non plus d’ailleurs. Et puis, il avait la haine contre ses parents. Vraiment la haine. Vraiment la colère. Quand je suis arrivée au viscéral, sur son foie, il s’est mis à pleurer, comme un gosse. J’ai passé 1h avec lui. A l’écouter me parler de ses parents qui ne l’aimait pas, de la boxe qu’il a apprise pour casser la gueule à son père, de l’aikido dont il est devenu expert pour en plus avoir peur et maitriser la force/colère des autres. De la parentalité différente qu’il a choisi pour ses enfants en faisait l’instruction à la maison, en faisant des formations en communication non violente. Et pendant qu’il parlait, j’ai juste laissé mes mains travailler, son corps se libérer tout seul sous elles. Si les DEUX étagères n’avaient pas été au même niveau, ça n’aurait jamais fonctionné.

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