Archives de l’auteur : Baptiste Beaulieu

GAGNER LA GUERRE

(Pour Mme B., compagnon de tranchée de l’hiver 2010, respectivement le pire hiver de nos vies. Je le savais pour elle, elle l’ignorait pour moi.)

Alors voilà Mme B., 56 ans, fine, cultivée, l’esprit acéré. Son frère a un cancer.
Au début, Mme B. doute : je suis interne / j’ai l’air jeune / elle aime son frère = équation fatale. À sa place, je me méfierais aussi…

Alors, pour elle, pour faire vieux, je laisse pousser ma barbe, mets des chemises et des lunettes à grosses montures.
Courageuse Mme B. : fossoyeuse de sa famille, elle a déjà accompagné son père et sa sœur.

Et elle est là, toujours solide, pour son petit frère de 53 ans.

De jours en jours, de problèmes en problèmes, d’aggravations en aggravations, on échange, on fait “au mieux”, rendant son frère moins “inconfortable” dans la perte de son corps et le regain des douleurs.
Puis, un matin, on se surprend à parler d’autres choses. Littérature, poésie, voyages. Son frère, bien sûr, mais autres choses aussi…

Trois longs mois d’hiver passent, elle a confiance : je garde la barbe (il neige !) mais quitte les lunettes de vieux et les chemises petit bourgeois.
Finalement, en paix, son frère s’en va faire du poney multicolore dans les nuages.

Elle m’envoie une immense déclaration d’Amitié. Je ne sais pas où j’ai rangé mon diplôme -et je m’en fous- mais la lettre de Mme B. trône sur mon bureau.
De mes neuf ans d’études, c’est d’elle dont je suis le plus fier. C’est mon plus beau CV.

“On a perdu la guerre, conclut-elle, mais je me sais moins malheureuse de l’avoir faite -et perdue- à vos côtés.”

Moi aussi, Mme B., je veux dire : moi aussi…

VRAIMENT.

“Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait”
Mark Twain

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De l’urgence d’interdire les mariages entre cousins.

Illustration : Banksy

(Pour les cinéphiles, le vrai titre de ce post est : La Colline a des Yeux Et elle Louche.)

Alors voilà le jeune Mr C., 17 ans. Surinfection d’une plaie de la main.
C’est rouge, chaud, luisant, ça renifle méchamment.
Mr C. est inquiétant, il me met très mal à l’aise. Sur le coup je pense : “BiBi, il est grand temps d’arrêter la saison 7 de Dexter…”
Mr C. a une petite coquetterie dans le regard. Comme dirait ma grand-mère : “Il a un œil qui surveille la bouilloire sur le feu et un autre qui semble dire “Attention le chien !” (jamais trop compris cette expression mais Mamie l’adore…).

Lui :
– Y avait un con de chat. Je l’ai un peu cherché, il m’a mordu, le con ! Du coup je l’ai buté.

Il a l’air mauvais en disant ça, mauvais mais bête : plus cortiqué, on sent qu’il serait du genre à apprendre la langue des signes juste pour dire aux sourds-muets combien c’est COOL d’entendre.

Moi, petit garçon au pays des Bisounours :
– TU AS TUÉ LE CHAT ?!?!?
– Ben ouais, ce con m’a déchiré la main ! Mais je lui ai explosé le crâne. Avec un caillou.

Mea maxima culpa : j’ai beau aimer mon prochain mais là, étant juste humain, j’ai prié le PDP (Petit Dieu de la Pasteurellose) pour que :
1- les antibiotiques prennent leurs temps,
2- le pharmacien confonde les antalgiques avec des placebos,
3- Mr C. soit réincarné en souris,
4- Christine Boutin n’ait pas d’autres enfants avec son cousin germain de mari.

(PS : la méchanceté de ce post n’est ni volontaire, ni totalement fortuite, elle est cathartique. Je veux dire, il m’a VRAIMENT dit avoir tué le chat.)

“Ce qui embellit le désert c’est qu’il cache un puits quelque part…”
Antoine de Saint Exupery.

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Une petite lacheté matinale.

Photo : Tunnel of Love, Kleven, Ukraine. Merci Alli !

Alors voilà Mr A., 18 ans, conducteur malheureux. A gagné l’EuroMillion des fractures.
Son corps est comme un sac à osselets qui fait “Drelin-Drelin” quand on le secoue.

Il sera opéré dans la matinée.

L’infirmière de nuit :

– Il veut son portable, pour appeler sa copine. Il est perdu. Il ne sait pas… Il me dit : “Heureusement, j’étais seul dans la voiture.” Tu te rends compte ?

Non, grande duduche, je ne me rends pas compte. Personne ne peut.

– Tu veux aller le voir ?
Moi, noyant le poisson :
– Il est stable ?
– Oui. On attend le feu vert du bloc. Tu veux le voir ?
Décidément celle-là, quand elle tient un morceau…
– Non. Pas ce matin.

Je ne veux pas aller voir Mr A., 18 ans, chambre 2, au fond de son lit, conducteur du véhicule.

Mr A. qui fait “Drelin-Drelin” quand on le secoue et qui répète au personnel : “Heureusement, j’étais seul dans la voiture. ”

L’amnésie des faits -commune chez le traumatisé crânien ou le syndrome post traumatique- n’empêchera jamais qu’à 18 ans il n’y a pas d’autre amour que le Grand Amour, même si celui-ci ne dure jamais très longtemps…

Sa copine, la passagère du véhicule, 17 ans, est morte sur le coup.

Je suis vraiment stupide de conduire au dessus des vitesses autorisées, je veux dire : je suis VRAIMENT stupide de conduire au dessus des vitesses autorisées.

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Sexuel Panda.

(Anecdote racontée par D., IMG s’essayant au Diplôme Universitaire de Sexologie : juste Merci.)

Alors voila Mme et Mr H., 28 ans, qui consultent pour des troubles de la procréation :
Mon ami D. :
– Bien, quelle est la fréquence de vos rapports sexuels ?
Mr. et Mme H. :
– Pardon ?
– Combien de fois faites-vous l’amour en moyenne par semaine ?
– Heuuuuu…
– Par mois ?
– Heuuuuu…
– Par an ?
Mr. et Mme H, soulagés :
– Environ une fois.
D., se retenant :
– Et vous n’arrivez pas à avoir d’enfants ?
– Ben non.
D., pince-sans-rire, très professionnel :
– Une fois par an… on va commencer par travailler ça…

J’aime bien les anecdotes de mon pote en sexologie, je veux dire : j’aime VRAIMENT les anecdotes de mon pote en sexologie.

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Comment je me suis fait un ami pour toute la Vie.

(Pour les Internes en Médecine Générale)

Alors voilà Mme T., 58 ans, cancer du sein stade terminal (sans déc : faites vos mammos les filles). Elle demande et n’attend pas grand chose. Elle aime juste regarder “Des Jours et des Vies” le matin. Choix discutable mais bon… je mets ça sur le compte des métastases cérébrales…

Depuis deux jours, la TV ne s’allume plus.
L’infirmière :
– J’ai appelé la technique : sa famille n’ayant pas payé, ils ne remettent pas la TV tant qu’elle n’a pas payé.
Le technicien, au téléphone :
– Je veux rien savoir. Pas payé, pas de TV.
Moi :
– Allez, quoi ! Sa famille paiera plus tard.
– Aura la TV plus tard alors.
– Sera morte plus tard. Combien ?
– 8 €.
Je descends, avec des envies de meurtres, jette 10 € au mec.
– Ça fait deux euros de monnaie. Gardez-la. Vous vous achèterez des couilles ou un cœur.
Là -je ne sais plus- j’ai peut-être dit un mot très vulgaire (pardon maman) et fait une prière au Dieu des Armes à Feux avant de claquer la porte.

A l’Hôpital, on sous-traite la TV avec des entreprises privées. Un jour on sous-traitera l’Humain, le Sacré, le Mystère. Pourtant, une femme qui meurt, c’est Humain, c’est Sacré, c’est Mystérieux. Même -surtout- devant “Des Jours et des Vies” : on sait qu’il lui en reste si peu.

Je n’aime pas le technicien TV de l’hôpital, je veux dire : je n’aime VRAIMENT pas le technicien TV de l’hôpital.

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La dissection romantique.

Alors voilà Mr. Y., 86 ans, qui vient pour une douleur thoracique. Bon examen, bonne échographie, bon diagnostic, mauvais pronostic : jamais vu quelqu’un aussi heureux d’apprendre qu’il a une dissection aortique non opérable.

Il sourit. On lui explique “en gros” comment son aorte peut s’ouvrir à tout moment et vider son jus dans l’abdomen et il sourit. Je demande aux infirmières s’il ne serait pas un peu dément. Elles ne savent pas. Il est là, sur son lit, presque content.

Sa fille au téléphone : non Mr. Y. n’est pas fou, oui il a toute sa tête.

Voulez-vous savoir pourquoi il n’a pas l’air abattu ?

Mr. Y., 86 ans, est resté un peu jeune homme : il est amoureux.
64 ans de mariage, sa femme est morte il y a 9 jours.

Et moi, pauvre ingénu qui m’inquiétais pour rien, alors que je viens juste de lui apprendre que son deuil n’allait pas durer trop longtemps.

J’aime bien comment la Mort est parfois tendre avec les vieux amoureux, je veux dire j’aime VRAIMENT comment la Mort est parfois tendre avec les vieux amoureux.

“Beaucoup de gens ne sont jamais jeunes. Quelques personnes ne sont jamais vieilles.”
G. B. Shaw.

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Coup pour coup de théâtre.

Alors voilà Mme T., 87 ans, chute dans les escaliers.
Crac ! Luxation de hanche, réduite aux urgences, une simple surveillance à la maison suffira, imagerie dans quelques jours.

Toute molle dans son brancard, ses deux filles autour et, l’une après l’autre, de dire DEVANT ELLE d’un ton catégorique :

– On va PAS la garder ! On a des choses à faire… Vous pouvez pas nous la prendre ?

J’hésite entre les gifler ou leur dire que l’hôpital public n’est pas un hôtel. Au final, je me tourne vers Mme T., et lui demande si elle a mal :

– Oui.

Comme je ne sais pas si elle parle de la hanche ou du cœur, et que je ne peux rien pour le cœur, je lui ramène un antalgique et me bats pour lui trouver une place dans les étages.
Même dans le plus petit service du plus petit hôpital public, je trouverai des aides soignants et des infirmiers mieux outillés pour la compassion que les filles de Mme. T.

Je déteste les familles qui ont “des choses à faire” quand l’un des leurs est malade, je veux dire : je déteste VRAIMENT…

( Deux jours plus tard, dans le couloir : une des filles de Mme.T.
Elle m’arrête, a senti mon trouble l’autre jour, elle m’apprend comment leur mère les a percluses de coups pendant des années.)

J’aime la première phrase d’Anna Karénine, je veux dire : j’aime VRAIMENT la première phrase d’Anna Karénine.

“Toutes les familles heureuses se ressemblent ; chaque famille malheureuse est malheureuse à sa manière.”
L. Tolstoï, Anna Karénine.

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Le tour de magie.

Alors voilà votre serviteur. Fin de garde : mal aux jambes, au dos, peine de cœur, pas mangé, pas bu, j’ai un rhume (avec ces morveux y a moyen de crever 440 fois).
J’entre box 4 : petite Lily, 4 ans, avec sa mère.
– Bonjour, je m’appelle B. Je suis interne, je vais examiner votre fille.
La mère, griffes sorties, bave aux lèvres :
– 3 heures qu’on attend ! Vous êtes des incapables ou des fainéants ? Même en Chine on n’attend pas comme ça. Et ils sont un milliard, les chinois ! INADMISSIBLE !

Je jette mon stétho, m’écroule sur le tabouret, ferme les yeux, bouche mes oreilles, pense à mes jambes, mon dos, ma peine de cœur et dit :

– Je vois rien, j’entends rien. Je vais me lever, reculer, passer la porte, la fermer avec mon coude pour être sûr de garder mes oreilles bouchées. Je ferai six tours sur moi-même, j’ouvrirai les yeux, déboucherai mes oreilles, rouvrirai la porte. Je me présenterai, vous aussi. CORDIALEMENT. Sinon je recommencerai. Jusqu’à avoir un sourire…

Je sors à reculons, tourne six fois sur moi-même -regard ahuris de l’équipe- puis je re-rentre dans le box :

– Bonjour, je m’appelle B. je suis interne, je vais examiner votre fille.

Et là, chose la plus charmante au monde : Lily m’applaudit, croyant que c’est un tour de magie ! Sa mère rit, s’excuse, je m’occupe de Lily, elle ira mieux, moi aussi, tout est bien…

J’adore comment les enfants sont vierges de la petite violence quotidienne des adultes, je veux dire : j’aime VRAIMENT comment les enfants sont vierges de nos petites violences.

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Darwin à rebours.

Alors voilà Mr. R., 24 ans, aux Urgences, avec sa copine. Fracture du boxeur, terme utilisé devant le patient. Entre nous : fracture du c..n.
Pourquoi ? Laissons la parole à Mr. R. : “j’étais vénère, j’ai tapé le mur”.
Tout un programme…
Parions que le mur se porte mieux que la main droite de Mr. R…
Dans leurs regards, ce je-ne-sais-quoi qui vous rappelle que si les Hommes descendent du singe certains ne demandent qu’un coup de pouce pour y remonter très vite.
On posera une attelle et c’est BiBi qui s’y colle.
Le jeune, pendant que je m’en occupe :
– Sinon faut faire des études pour être médecin ?
BiBi, décontenancé par tant de candeur :
– Un petit peu.
Lui, très sérieusement, sans réfléchir, vers sa copine :
– Vendeuse à Pimkie c’est pas top, tu veux pas faire médecin ?
Et là, messieurs, mesdames, je vous demande d’applaudir la plus belle réponse du monde :
– Je sais pas trop…
Court, concis, un peu vague. Elle “sait pas trop”… MAGNIFIQUE !

Je ne dis rien, ne ris pas, n’esquisse pas même le commencement du début d’un sourire. Je reste très sérieux, BiBi est professionnel.

J’adore mon métier, je veux dire : j’aime VRAIMENT mon métier.

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Les pieds dans le tapis.

(Pour Mr. Q.)

Alors voilà M. Q., 56 ans, ivrogne incorrigible, qui est ce qui se rapproche le plus du Baba au rhum humain. L’alcool l’a tellement confit qu’il croit que je suis capitaine de navire (ou Genghis-Khan selon les jours) et que l’aide soignante est Mata-Hari.
Je n’ai jamais envahi la Chine, l’aide soignante n’a jamais trahi qui que ce soit. Promis.

Le corps de Mr. Q. : quatre allumettes, une flasque de whisky au milieu.
La peau de Mr. Q. : plus ravinée que le lit du Gange, plus couturée de cicatrices que le visage de Ribéry.
Les pieds de Mr. Q. : un sous-bois après la pluie, des cèpes, des girolles. Y a moyen de cuisiner 1324 omelettes. La mère Poulard serait folle de joie.

Il y a quatre ans : Mr. Q. était VRP, marié, père, il avait une maison, une voiture, une TV.
Puis : il a perdu son boulot, l’a caché à sa femme, qui l’a su, l’a quitté. Envolées la maison, la voiture, la TV !
Et comme : il n’avait plus ses parents, pas de frères, pas de sœurs, pas d’amis -parce que oui, ça existe des gens sans amis- il s’est retrouvé sur la chaussée, avec sa b…e, son couteau, son cœur en miettes.

J’apprécie Mr. Q.

Parce que personne n’est à l’abri de se prendre les pieds dans le tapis de la vie et de dégringoler l’escalier social.

J’aime comment la médecine a cassé mes préjugés, je veux dire : j’aime VRAIMENT comment la médecine a cassé mes préjugés.

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