Elle s’appelait Liliana Herrerai

Alors voilà, aujourd’hui je veux vous parler du visage de Liliana Herrera, une argentine de 22 ans morte cet été d’une septicémie suite à un avortement clandestin.
Pourquoi clandestin ? Parce que le projet de loi visant à légaliser le libre accès à l’avortement a été rejeté par le Sénat argentin.

En tant que médecin accompagnant des femmes souhaitant avorter, j’avais prévu de vous énumérer quelques éléments purement factuels, à savoir :

En France, 1 femme sur 3 avorte au moins une fois dans sa vie. 1/3 des Françaises de votre entourage.
Évidemment ce chiffre augmente dans les pays où l’accès à la contraception est difficile.

D’ailleurs, en parlant de ça, sachez que 3 avortements sur 4 sont pratiqués sur des femmes DÉJÀ sous contraception ! Pilule, stérilet, même préservatif. Tout simplement parce qu’aucune contraception n’est infaillible.
Pour la pilule, par exemple, le taux de grossesse est de 8%, c’est-à-dire que sur 100 femmes qui la prennent, 8 tombent enceintes sur une année d’utilisation. Sur ces 8 femmes, que font celles qui ne veulent pas ou ne peuvent pas poursuivre une grossesse ?
Elles ont recours à l’avortement, et elles y ont recours que ce soit autorisé OU pas. Les chiffres ne mentent pas : il y a la même proportion d’IVG dans les pays où celle-ci est légalisée que dans les pays où elle ne l’est pas. LA.MÊME.PROPORTION !!!
Ce que je veux dire c’est que quoi qu’on pense de l’IVG, une femme qui ne veut pas avoir d’enfant TROUVERA un moyen de ne pas avoir d’enfant.
La différence ? Dans les pays où elle est illégale, le taux de mortalité pour ces femmes est 35. FOIS. PLUS. ÉLEVÉ. Vous vous rendez compte ? Combien de Liliana Herrera ? Là maintenant au moment où nous parlons ? Soit l’IVG est illégale et les femmes meurent. Soit l’IVG est légale et ces femmes survivent ET ont le choix.
Pensons-y chaque fois que les opposants à l’IVG se font appeler les “pro-vie”. Si la légalisation de l’avortement n’a JAMAIS fait augmenter le nombre des IVG pratiquées, il est certain que cette légalisation a fait diminuer le taux de mortalité par rapport à l’IVG clandestin.

Tournons le problème à l’envers : si les hommes risquaient de tomber enceints à chaque fois qu’ils ont un rapport sexuel, l’IVG serait un droit inaliénable et inscrit dans la constitution. Oui, je crois que si chaque fois qu’un homme jouissait avec une femme en engageant son corps / sa santé / sa responsabilité / sa carrière pour les 80 ans à venir, on pourrait lire aux frontons des mairies :

« LIBERTÉ ÉGALITÉ FRATERNITÉ IVG »

Ne parlons même pas des tampons et des serviettes hygiéniques qui seraient remboursés par la Sécu, mais ça c’est un autre débat.

Bref, j’avais prévu de vous dire tout cela, mais je préfère vous donner un chiffre : 500 000.
C’est le nombre d’IVG clandestines par an estimées par les ONG en Argentine.
Combien de femmes seront condamnées à mourir, à être mutilées ? Combien de Liliana Herrera ?
Combien de souffrances évitées si le sénat argentin avait légalisé l’IVG cet été ?
Le cinéaste Pino Solanas a prononcé cette phrase :
« Arrêtons l’hypocrisie d’une classe dirigeante qui sait que les riches peuvent avorter de façon sécurisée alors que les plus pauvres sont condamnées à l’infection ou à la mort ».
Je crois qu’il a raison. Alors j’ai amené une photo, c’est bête je sais, on est à la radio, mais maintenant tout est filmé.
N’oublions pas son visage : elle avait 22 ans, elle s’appelait Liliana Herrera et elle est morte d’une septicémie parce qu’elle était une femme pauvre dans un monde où les lois sont dictées par des hommes riches.
N’oublions pas son nom, n’oublions pas son visage.
Elle s’appelait Liliana Herrera.

Texte et vidéo à retrouver sur le site de FRANCE INTER

42 réflexions sur « Elle s’appelait Liliana Herrerai »

  1. catherine senn

    merci Baptiste, j aurai aimé partagé ce texte est ce possible? J ai été enceinte sous pilule (j ai fait une fausse couche) et sous stérilet (j ai une Florence qui va avoir 35 ans demain)……

  2. Marie-Noelle

    C est un argumentaire imparable. Tout est dit, chiffres a l appui.
    A diffuser largement, internationalement, avec traduction (yc au Vatican !)

  3. Cath

    Ce vote en Argentine devait être historique et exemplaire. Le rendez-vous historique a été manqué, alors que la majorité de la population attendait ce vote.

    Il y a encore de la route à faire pour que le droit de choisir des femmes soit reconnu, et ne nous leurrons pas : là où ce droit est inscrit dans la loi, il ne faut pas baisser la garde et rester vigilant parce que sous les oripeaux de la liberté de conscience, ce refus de reconnaître ce droit est encore et toujours à l’oeuvre. Voir la dernière déclaration fracassante d’un obstétricien en France… Les autorités s’en émeuvent. mais ce type n’en a cure. J’allais écrire ce « pauvre type »… Je le pense, alors je l’écris.

  4. Corinne

    Bonjour Baptiste,
    tout à fait d’accord avec ce que vous dites. Je fais partie des 1 sur 3 qui a avorté. J’ai pu le faire légalement en 1978, la loi était toute jeune. Et oui ce devrait être un droit pour toutes les femmes du monde.
    Merci pour vos articles
    Bonne journée

  5. Lys18

    C’est une véritable malhonnêteté intellectuelle que de se proclamer “pro-vie” pour rejeter l’idée de l’avortement.
    Et c’est un véritable scandale humain (et médical) de refuser ce droit aux femmes.
    Il est tellement plus simple de fermer les yeux sur ces malheureuses qui meurent par milliers,seules et dans la clandestinité.
    J’ai mal pour elles.
    Et j’ai honte.

  6. Emmanuelle

    Merci Baptiste, c’est tellement bien dit, et bien argumenté…
    L’argument “mais il y a la contraception, il faut vraiment être demeuréE pour avoir un enfant non programmé de nos jours” me fait mourir de rire… j’ai un bac+8, je connais très bien la contraception et les principes sous-jacents, et… sur mes 3 loustics, il y en a 2 conçus (successivement, pas simultanément) sous contraception… heureusement, nous étions en mesure d’accepter ces surprises-là dans de bonnes conditions…

    Il est effectivement sidérant de voir que ce sont des hommes (je n’ai pas mis de majuscule) qui prennent les décisions légales impliquant la vie personnelle et la santé des femmes… et ce sans s’imaginer un instant à la place de celles-ci.

  7. Tsuvane

    Ma grand-mère, fervanre catholique ( origine espagnole, née en 1924, messe tous les dimanches, vous voyez le tableau ) a avorté ( aux aiguilles à tricoter, à l’époque c’était pas légale ). Je ne l’ai su qu’après son décès, je n’ai donc jamais pu lui en parler, je ne peux qu’imaginer les douleurs physiques et morales qu’elle a subies.

    Plus récemment, ma cousine. La trentaine, sous pilule. En vu d’une opération, un médecin lui prescrit un antibio et la prévient que ça lui fera faire caca foncé, t’inquiète pas pour ça. MAIS PAS QUE ÇA ANNULLE LES EFFETS DE LA PILULE. Sérieux rien qu’en l’écrivant j’ai envie de le frapper. Et bingo, elle tombe enceinte. Se fait avorter ( et là j’ai pu en parler avec elle, j’en ai les larmes aux yeux en y repensant , c’est pas pratique pour écrire ). Attendez, ne partez pas, le plus drôle reste à venir : elle va voir le médecin pour lui dire que bon c’est sympa de prévenir pour le caca noir, mais qu’elle aurait préféré qu’il la briefe aussi pour le reste, ça lui aurait épargné un joli petit traumatisme bien sympa. Et là, mesdames-z-et messieurs, best réplique ever : “Ben ça fait un moment que vous êtes avec votre conjoint, vous auriez pu le garder !!!” …

    Au delà des “pro-vies” dont l’argument est ce qu’il est, mais a le mérite d’exister, y a ce sentiment férocement encré dans la conscience collective que LA FEMME DOIT PROCRÉER. Là, pour ce praticien, les voyants sont tous au vert : elle est en couple depuis des années, a un boulot stable, elle a trente ans, donc pourquoi avorter ? Apparemment, avoir fait des études réputées élitistes ne permet toujours pas d’avoir l’intelligence de se dire que c’est un CHOIX qui LUI appartient à ELLE.

    Tout ça pour dire que ça va bien au-delà d’un gynéco médiatisé qui oublie son serment et refuse une aide médicale demandée par ses patientes. Même certaines personnes qui ne sont pas contre l’avortement n’ont toujours pas compris que le corps d’une femme c’est autre chose qu’un utérus sur pattes. Et effectivement, même si ici en France Liliana aurait survecu, il ne faut pas croire qu’en légalisant l’IVG on a gagné la guerre. Restons vigilants et revendicatifs, on n’est pas encore à l’abris, loin de là.

  8. Jac

    Pour l’Argentine, c’est évident, mais c’est valable pour de nombreux pays : on ne dira jamais assez l’immense responsabilité de l’Église et de “bons” chrétiens dans la mort de toutes ces femmes.
    Sans compter tous les bébés volés à des filles et femmes en détresse à qui de “bonnes” œuvres et des couvents avaient fait croire qu’on allait les aider.

  9. Tounou

    Bonjour Baptiste,
    Merci. Tout est dit et bien dit !
    Ma grand mère est morte en France, en 1970, suite à un avortement clandestin. elle avait 42 ans, l’âge que j’ai aujourd’hui. Ma mère en avait 17 et ne s’est jamais remise de cette perte. C’est encore aujourd’hui un secret de famille (honte, déni, douleur…?). Impossible d’aborder le sujet avec ma mère ou ma tante.
    Je l’ai su car lorsque que j’étais enfant j’avais les oreilles qui trainaient facilement…

  10. Laurence

    Bonjour,
    Je suis tout à fait d’accord avec vous, avec simplement un petit bémol sur le taux d’efficacité de la pilule.
    Si effectivement 8 femmes sur 100 prenant la pilule se retrouvent enceinte, il ne s’agit pas toujours d’une mauvaise efficacité de cette pilule, mais le plus souvent, d’une mauvaise utilisation, oubli ou vomissement, reprise retardée… loin de moi l’idée de culpabiliser ces femmes, mais plutôt de faire réfléchir les soignants dont je fais partie sur les informations que nous donnons aux patientes sur la conduite à tenir en cas d’oubli.
    Et si , en France, toute femme doit pouvoir bénéficier d’une ivg dans les délais légaux, certaines doivent encore malheureusement effectuer un vrai parcours du combattant pour pouvoir avoir un rendez-vous avec un praticien dans les délais, et les propos du presindent d’un syndicat de gynécologues Bertrand de Rochambeau, me laissent à penser qu’il faut toujours rester vigilant !

    1. Baptiste Beaulieu Auteur de l’article

      Je ne parle pas de l’indice de Pearl. Je dis simplement que je mets au défi n’importe quel mec de prendre tous les jours toute l’année à la même heure une pilule sans jamais oublier.
      L’indice que je donne ici est en condition d’utilisation.
      Bonne et douce journée !

  11. Lucie

    Merci!
    On ne dit pas assez qu’il s’agit d’engager “son corps / sa santé / sa responsabilité / sa carrière” quand on parle de grossesse et donc d’IVG. Avorter, c’est assumer ces paramètres et je trouve ça fort courageux.
    Encore merci.

  12. Marine

    Récemment on entendait à la radio une artiste s’exprimer et dire cette phrase “quand on est une femme, on doit sans cesse se battre”. Mon petit pilou de 4 ans s’est tourné vers moi, les yeux écarquillés et m’a demandé si moi aussi je devais me battre…
    Je me suis vue dans ses yeux avec une armure de guerrière, et je lui ai dit que oui, que ce n’est pas pareil que lui qui joue à la bagarre, mais qu’il faut être active et vigilante pour ne pas laisser les autres décider pour nous de nos vies.
    Et je pensais aux Irlandaises, qui l’ont obtenu, l’avortement, aux Roumains à qui on va proposer d’interdire le mariage pour les gays et lesbiennes, aux Argentins, qui ont laissé passer une chance historique, aux Françaises qui galèrent pour trouver un praticien simplement humain… Mais dans les yeux de mon fils, maintenant, je suis Wonderwoman !
    Continuons à lutter et bises à tous et toutes!

  13. Ollia

    Comme cette image de cette policière, en Argentine, contrainte d’allaiter un bébé qui crevait la dalle dans un hosto…Mais ça bien sûr…c’est tolérable dans ce pays. Obliger des femmes à donner la vie pour laisser des bébés hurler de faim dans un établissement de soins….

  14. Lorraine

    On peut parler de la non legalisation de l’avortement dans encore beaucoup de pays, mais on peut parler de l’excision aussi et des mariages forcées et autres barbaries faites aux femmes.. Combien de temps allons nous payer le fait que Eve est convaincue (mais quel benêt celui là aussi!!!) Adam d’avoir goûté aux fruits defendus de la connaissance…

    1. Agathe

      Tout à fait d’accord avec vous Lorraine.Dans certains pays, l’excision et l’infibulation se pratiquent à partir de 8 ans et non bébé, pour que la future femme sache bien où est le Mal, où ça fait mal. Et en France, il est des vacances d’été où la petite va revenir pas comme avant !

  15. Nanou

    Merci Baptiste, parce que j’ai 50 ans et que ça fait plus de 25 ans que je culpabilise d’avoir avorté, alors que j’étais tombée enceinte sous pilule. On m’a tellement bourré le crâne avec des “t’es sûre que tu l’as pas “oubliée” une ou deux fois?” que je me le suis vraiment demandé, et pourtant je me revois en train de compter les petits cachets manquants sur la plaquette ronde. NON, je n’avais pas oublié, oui ça arrive. On était en France au début des années 90, mon copain ne voulait rien savoir, je faisais mes études. Pourtant j’ai été culpabilisée. Un vrai parcours du combattant. Finalement je suis allée toute seule à la clinique,sans le dire à personne, comme si j’avais un gros secret honteux à cacher. Et c’était le cas dans mon esprit. La gynéco qui “faisait le sale boulot” (sic) m’a ensuite donné le sexe du BEBE. Comme ça depuis 92 je compte année après année l”âge qu’IL aurait eu si… Je ne m’en remettrai jamais vraiment, et pourtant je sais que je n’ai rien fait de mal. Et puis surtout je suis vivante et j’ai deux filles merveilleuses. Liliana, elle, ne connaîtra jamais ça.

  16. Brigitte

    Merci pour ce texte ; quelle tristesse que cette jeune fille soit morte à cause d’une loi criminelle.
    Faudrait-il construire une pile de milliers de cadavres avec le nom des femmes mortes pour que les députés et députées changent d’avis ?

  17. Laura

    Bonjour Baptiste,
    merci beaucoup pour ce billet et pour les témoignages dans les commentaires. Autant de situations révoltantes qui je l’espère disparaitrons grâce à la mise en lumière et au travail d’information que vous faites.
    De façon à pouvoir réutiliser vos arguments chiffrés, serait-il possible d’avoir vos sources ?
    Encore merci.
    Laura, élève infirmière qui espère bien oeuvrer dans le même sens que vous dans sa future vie professionnelle

  18. Loupiotte

    ça m’est arrivé à moi aussi, grossesse sous pilule, j’ai eu droit à plein de “mais tu n’aurais pas un peu oublié de la prendre?” et autres petites remarques. Ma princesse, petite dernière d’une fratrie de 4, est un vrai rayon de soleil, ni mon conjoint ni moi ne regrettons ce choix de l’avoir gardée, mais ce fut réellement un choix.
    Nous sommes conscients de la chance que nous avons de vivre dans un pays où nous avons le choix, mais comme le cite si bien Marine, nous devons continuellement nous battre pour préserver ces droits, en espérant qu’un jour TOUTES les femmes puissent faire ce choix, sans contraintes ni jugement ….

  19. Céline

    Ces chiffres « remettent les pendules à l’heure » et ont le mérite de produire un discours factuel qui a une résonance et fait du bien. Particulièrement lorsque des pays voisins remettent en cause l’ivg, mais aussi les voix qui s’elevent dans notre propre pays et hélas même parfois parmi les amis…
    Céline, 1 enfant, 10 ans de stérilité (exposée au distilbène) puis un 2nd enfant grâce à un don d’ovocyte et catholique par dessus le marché ! Malgré toutes ces circonstances aggravantes J’ADHERE ! Merci Batiste pour ce droit à l’ivg que vous défendez

  20. MURIEL MITTEAU

    Bonjour Baptiste, les chiffres que vous citez sont juste étourdissants, infamants pour toutes les femmes ! au 21 ème siècle nous en sommes donc toujours là ! au nom de valeurs religieuses, idéalistes ou je ne sais quoi encore, des femmes sont mutilées ou sacrifiées, leur tort vouloir jouir de leur corps à leur guise. Je fais un rêve, j’ai bien peur utopiste, que dans un avenir proche il n’y ai plus jamais de Liliana HERRERA ! Nous sommes toutes tes soeurs !

  21. Christine

    Avec les tampons, attention au syndrome du choque toxique, méconnu, très mortel. Arrive aussi avec les cups. Je ne suis pas médecin, les serviettes c’est quand-même mieux, plus naturel, car naturellement, le sang est censé sortir de notre corps. Tampon pratique si soucis externe sur la choupinette. Consultez quand-même votre gynéco bien sûr, ou n’importe quel docteur. 😉

  22. Fabris

    Merci pour votre courageuse prise de position ! Votre vidéo m a fait monté les larmes aux yeux. J en bredouille sur mon clavier. Ça fait du bien d entendre des gens comme vous, ça me redonne de l espoir en l humanité. C est tellement rare d entendre un homme qui comprend la sensibilité et la souffrance des femmes.

  23. Suze Araignée

    Et si, en attendant que les hommes se décident à bien vouloir accorder le droit aux femmes de ne pas crever quand elles avortent, on remettait au goût du jour la méthode Kerman dans tous ces pays où l’avortement est encore illégal, celle qui a fait chuter la mortalité des femmes qui avortaient, en France, dès 1972 ?
    Ça éviterait bien des mortes…

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