Le corps, l’âme, et entre les deux.

L’histoire c’est N., assistante sociale.

(Si vous voulez raconter vous pouvez me joindre sur Facebook)

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Alors voilà, c’est un vendredi, veille de vacances scolaires. Je suis jeune assistante sociale et je passe dans le service de chirurgie, comme tous les matins.

Une infirmière m’interpelle : « Tiens, au fait, on t’a dit que la jeune fille poignardée par son frère sort cet après-midi ? »

Je me décompose… quoi ? Comment ? Non, personne n’a prévenu le service social, ni la police non plus d’ailleurs…

Je m’active… mais il me faut plus de temps pour pouvoir mettre en place des mesures de protection. J’explique au chirurgien, tente de le convaincre de post-poser la sortie… il restera intraitable : il a fait son travail, il a réparé le corps, a recousu les muscles, la peau.

« Ma cicatrice est belle. Elle sort à 13 heures » dit-il. Point final.

Je m’affole… je cherche un appui, un relais, une solution temporaire… j’obtiens finalement un nom, un espoir, bientôt, dans quelques jours…

Mais entre-temps la famille a pris le large : ce sont les vacances, on en profite pour renter au pays, sans retour pour Elle. Qui pourrait bien l’en empêcher ? Et puis, son frère lui a offert une rose. C’est dire s’il regrette, non ?!

Le chirurgien a certainement pensé fièrement qu’il a « sauvé » une vie en réparant un corps.

Vraiment ? il a VRAIMENT sauvé une vie ?

32 réflexions sur « Le corps, l’âme, et entre les deux. »

  1. Cath

    « La cécité du géomètre » disait-on d’un écrivain du 18eme siecle.
    Ce témoignage me rappelle celui d’une rescapée d’un camp d’extermination nazi, décrivant l’archarnement d’un medecin nazi à soigner une jeune femme malade, pour l’envoyer sans tiquer au crématoire se faire asassiner.
    La rescapée n’avait toujours pas compris ce à quoi elle avait assisté.
    Moi, je risque : un égoïsme phénoménal, montrer qu’on est capable de performance, sans une once d’intérêt pour l’être humain objet de soins. En fait, la personne soignée n’est que le support pour étaler ses talents et sa performance.
    Pas d’âme. Un pauvre type.
    Quant à l’hôpital qui a soigné, pourquoi n’y a-t-il pas eu signalement aux autorités ? Manquement !
    Et la famille et le frère poignardeur : je me tais parce que j’écrirais des choses fort laides.

    1. Champernay

      Rectification utile, Cath, le crématoire était pour bruler les cadavres, pour l’assassinat les nazis avaient d’autres méthodes. Quant à cette histoire, elle n’est pas unique, c’est comme les gamines emmenées pour les vacances d’été au village des parents pour se faire exciser sans prévenir. Les Africaines, comme les femmes d’autres pays, payent un lourd tribut à la bêtise .

      1. Champernay

        Je crois que je n’ai pas bien saisi le sens de ton histoire Baptiste, moi je mettais l’accent sur le destin de ces pauvres jeunes filles au lieu de crier haro sur le chirurgien!
        Comme j’ai pratiquement toujours vu les chirurgiens agir en psychopathes, je trouvais qu’il ne méritait pas que l’on perde du temps sur son compte. J’aurais du m’auto-censurer, je n’ai pas l’habitude. Pardon !!

      2. Cath

        Le crématoire n’était pas que pour les cadavres, malheureusement. Les témoignages des rescapés font état de gens vivants assassinés de la sorte.
        Désolée, je ne veux pas pinailler là-dessus, mais l’horreur est sans fond.
        Pour le reste, vous avez raison. Pourtant, il y a des mesures à prendre, encore faut-il le savoir, en avoir le pouvoir, et aussi la volonté, qui fait parfois défaut.

  2. Florence

    Bonjour Baptiste,
    Quelle tristesse à notre époque dite “civilisée” d’en être encore là.
    Heureusement que beaucoup d’hommes et de femmes changent pour changer le monde, innovent, donnent de leur temps, s’investissent pour l’humanité.
    Sans doute, le chirurgien n’a ni yeux ni oreilles pour voir et entendre ce qui se passe autour de lui en dehors de sa “technicité”, de son “expertise”. Proposons lui de s’abonner à la newsletter de https://positivr.fr/ pour qu’il ouvre son coeur.
    Merci Baptiste pour le relai. Je souhaite de tout mon coeur que tes posts fassent changer les mentalités.
    Bien à toi.
    Florence

  3. dubois martine

    Ce récit est le reflet de ces praticiens qui peuvent être très compétents mais qui n’ont aucune sensibilité. “J’ai fait mon travail ne m’en demandez pas plus”. D’autres pourront penser qu’au vu du manque de personnel dans les hôpitaux, le temps est compté et qu’il n’est pas facile de faire plus que le nécessaire.
    Pour ma part je pense qu’un peu d’humanité est nécessaire pour exercer ce métier de réparateur du corps ou de l’âme.

  4. MGR

    Si seulement cette histoire n’avait lieu qu’en milieu hospitalier… Assistante sociale moi même, nous voyons à l’heure actuelle des mesures de placements judiciaires qui ne sont pas mises en place par manque de place en établissements et familles d’accueil. Les enfants restent donc dans leur famille, reconnue par le juge des enfants comme n’étant pas en capacité de les prendre en charge, “en attendant”. Sans parler des mesures éducatives qui ont une liste d’attente de 10 mois à 1 an…

    1. rosemarie

      Assistante sociale à la retraite depuis 6 mois , j’ai passé les dernières années de ma vie professionnelle à croiser les doigts pour qu’il n’arrive rien d’irréparable à tellement de ces enfants oubliés par le système…..

  5. Emmanuelle

    Moi, je dirais que c’est la faute de l’informatique et du système (pas informatique, le système).
    Il n’y a pas la bonne case.
    Sur le logiciel qui gère les hospitalisations, on n’a pas prévu “guérie, mais trop fragile pour être remise à sa famille, à garder au chaud dans un cocon”. On n’a pas non plus la case “rétention pour raisons sociales”, ni la case “risque de rechute de l’entourage”…
    Dans le système, on n’a pas prévu qu’il serait probablement nécessaire de garder une personne “rétablie” quelques jours ou quelques heures de plus pour mieux préparer sa sortie. Ce n’est pas rentable pour la sécu, pas rentable pour l’hôpital. Pas à court terme en tout cas (on en reparlera quand elle sera ramenée aux urgences, ce qu’on ne lui souhaite pas, là on pourrait calculer le surcoût lié à la sortie précoce)
    Conclusion : le système est aussi froid et calculateur qu’un ordinateur… et ça fait froid dans le dos.

  6. MSr

    Qui accabler ?
    Le chirurgien qui, dans des conditions de pratique hospitalière, est avant tout un mécanicien hyper-spécialisé, ayant accessoirement des comptes à rendre sur le coût de son intervention ? Pas sûr ..
    Le service administratif débordé qui a pu oublier de faire le signalement ? Responsable mais pas coupable ?
    Les services de police qui ont peut-être reçu le signalement sans le traiter ? voir ci-avant…
    Ce qui m’intéresse pour l’avenir, c’est de savoir si plainte a été déposée, si le frère criminel sera traduit en justice (et condamné) ou si un “retour au pays” (formulé ainsi, on lit entre les mots que le “pays”, ce n’est pas l’Auvergne) un peu prolongé lui permettra de se faire oublier.
    L’hôpital peut-il remplacer à lui tout seul tous ceux qui baissent les bras devant le “respect des pratiques culturelles” d’individus qui ne cherchent même plus à respecter celles de la république ? Y croire serait se voiler la face.

    1. Chirurgien ulcéré par la bêtise et la haine

      Merci pour votre commentaire intelligent, qui me semble le plus dans l’esprit voulu de réconciliation de ce blog.

  7. Augustin PERRUCHON

    A contrario!
    Dans la maternité où j’officie de temps à autre comme médecin, je prends en charge une jeune femme, qui pour la troisième fois vient de perdre son bébé. Pas d’enfant, troisième mort in utero, la catastrophe, le drame.
    Avec l’équipe de sage-femmes et de soignants, nous l’entourons comme nous pouvons. Et, lumière, nous avons une psychologue dans la clinique!!! Youpi, de l’aide pour elle, de l’aide pour nous aussi.
    Je lui téléphone, lui raconte l’histoire, et réponse: “il est vendredi midi, j’ai finit, je passerai la voir lundi après-midi”
    Grosse envie de baffe! Psychologue? Même pas le temps de passer la tête dans la chambre pour un mot gentil, pour quelques minutes d’empathie pour dire juste “je suis là, j’ai pris connaissance de votre dossier, je ne peux pas rester, je passe lundi, on sera plus tranquille…”
    Juste lui tenir la main, assise à côté d’elle, juste lui essuyer une larme, juste un sourire, juste des regards qui se croisent et un peu de silence entre deux phrases…
    Je ne demande plus JAMAIS de soutien de sa part, jamais, je fais ça bien mieux qu’elle avec une équipe de filles surbookées mais tellement belles.

    Alors, voilà….

    1. Giroflée

      Merci Augustin pour votre Bienveillance et votre Amour qui mettent du baume au cœur de vos patients …et de nous tous lecteurs : ) Surtout ne changez rien…Ni vous… ni vos Filles surbookées ; )

    2. Emmanuelle

      Comme on retrouve les expériences… c’est la sage-femme qui m’a préparée pour la naissance de mon troisième qui m’a aidée à poser les valises de mon second enfant (naissance préma, césarienne d’urgence, 15 jours de néonat sans possibilité de l’avoir avec moi, sortie de l’hôpital à 5 jours avec bébé resté en néonat… et pas de suivi psy… avec un aîné de 17 mois à la maison).
      Après, je me dis aussi que ces psys d’hôpitaux, ils sont saturés, comme les chirs, les gynécos et autres médecins… et qu’ils portent toute la misère de leurs patients à bout de bras, alors… c’est au système que j’en veux.

  8. SANNIER Françoise

    Tout va bien : le médecin a “techniqué” sa viande et le frère a donné une fleur à sa soeur ; que fait la police ? ben rien, puisqu’on empêche l’assistante sociale d’intervenir….
    Tout est comme ça, la décadence en France 🙁

  9. Chris

    Ce qui m étonne c’est que j’ai vu mettre des policiers devant la porte de la chambre d un bébé pour empêcher les parents de le sortir de l’hôpital. Une autorité parentale suspendu très rapidement en deux coups de fils. J avais halluciné de la rapidité de réaction de l’hôpital et de la justice.
    Si elle a été opérée, que la cicatrice est belle… Pourquoi le signalement à la justice n’a pas été fait dès son arrivée en parallèle du traitement médical ?
    Pourquoi l assistante sociale n’a pas agit dès son entrée dans le service ? Pas au courant ? Pourquoi attendre le moment du départ ?
    Qd au chirurgien, j image que les familles capable de s énerver et de poignarder on n’aime pas les avoir trop longtemps dans le service…. La question est : pourquoi la justice n est pas informée immédiatement lors d une blessure volontaire….
    Ce qu on ne sait pas c est l âge des protagonistes…. Si elle est majeure, on ne peut pas la protéger sans sa demande et si elle ne porte pas plainte…..

  10. Ariane

    « Ma cicatrice est belle », ne serait-ce pas plutôt « sa cicatrice »… les adjectifs possessifs sont souvent lourds de sens.
    Pauvre jeune fille.

  11. Augustin PERRUCHON

    Merci Bougrain, Mimi, Giroflée

    Juste merci; vous avez dit un mot, et il fait du bien. Un jour j’ai lu qu’il y avait 45 mots importants devant tous les autres: Bonjour, Bonsoir, S’il te plait, Merci.

    Alors voilà…. Merci!

  12. un autre médecin, même pas chirurgien

    c’est évidemment très dommage.
    Mais je crains que le chirurgien aurait pu écrire un mot du type “j’ai une jeune fille poignardée, je l’ai opérée et si je la garde plus longtemps que le temps nécessaire à sa récupération physique, l’hôpital n’est pas payé/ le patient suivant ne peut pas entrer/ ou tout autre chose du genre.
    Oui, le chirurgien aurait pu faire une exception qui aurait surement posé un problème (je ne suis pas française, je ne sais pas si ce sont les mêmes règles que chez moi), mais le vrai problème, il n’est pas là!

  13. Tina

    Et pardon est le 5eme mot super utile Cher Augustin! Vous avez tout dit!
    Moi même étant psychologue je comprends parfaitement votre réaction…Ce n’est pas une question de fonction, mais de positionnement humain. La psychologue n’est pas forcément la mieux placée du fait de ses études. Cela bien sûr depend aussi de la personne qui endosse tel et tel rôle et aussi de son éthique personnelle. Puis de sa posture. Soit elle n’a rien saisi de l’importance de mettre 1-2 mots à chauds ( prise en charge psychique avant que des mécanismes de défense plus rigides se mettent en place) soit elle s’en fout! C’est qui est grave dans les 2 cas! Ça mériterait quand-même une petite discussion à froid, avec elle. Pour le bien, du moins, des patients suivants.
    Mais les patients, du moment qu’il y ait une oreille attentive dans les parages, quelle qu’elle soit son statut et même sans estampille de psy… le travail de deuil pourrait être amorcé! Pour paraphraser quelqu’un de connu… les psys n’ont pas le monopole des mots… ni du coeur non plus d’ailleurs !
    Pour preuve…Je vis ce genre de logique comptable dans le service de psychiatrie où je bosse. Dans l’histoire aussi bien racontée par l’assistante sociale que celle que vous racontez à votre tour, dans les 2 cas je pense que c’est une question de prise de position personnelle. Rien ne se joue uniquement dans la dichotomie soma/psychée.
    Dans le cas évoqué du départ on a, certes, un enjeu vital qui a l’air de se profiler! Mais, parfois on rencontre du coté de la psy, d’autres enjeux majeures ! Je vois des patients sortir beaucoup trop tôt de l’hospit pourtant très mal au point… simplement parce que sont jugés par tel psychiatre telle équipe comme “chiant”, “hystérique “(sic!!!!), “faisant semblant”, voire “méchant” ou refusant d’obéir aux injonctions medicamenteuses et autres! Parfois je bataille bec et ongle jusqu’à parvenir à amorcer une véritable alliance thérapeutique avec les gens cabossés de la vie, détruits, en vrac qui arrivent enfin à se livrer, à faire confiance, sortir de leurs tripes des vérités qui les déchirent…, et pim! La punition tombe! Ils sortent … au pire moment souvent et au risque de réduire à néant et de faire avorter in utero ce qui venait à peine de laisser entrevoir comme début du commencement du travail car soit ils coûtent trop cher soit parce que ce qu’ils disent est pris au 1er degré par les personnes ( les fameux psys…) en face qui les jugent en prennent leurs témoignages comme des armes de poing et qui les retournent contre eux!
    Comme quoi! Faire son travail… cela est très subjectif… pas seulement en fonction de la profession, ni du côté de somatique/psychique, mais aussi en fonction de notre capacité à considérer un être humain dans sa globalité et le soigner sans forcément le juger avec ses propres projections! En effet, comme quelqu’un l’a déjà souligné plus haut… quand le chir dit “ma cicatrice est belle” ce n est pas du tout anodin! C est son propre boulot qui est en cause, c’est ça qui importe! Pour les psy qui sont dans la même logique c est pareil! Vous rentrez dans mes cases c’est ok! Vous ne rentrez pas parce que je perds ma tranquillité de mi-rtt ou le pouvoir supposé exercé sur vous ( methodologie non acceptée par le patient) et bsh… vous ne m’intéressez plus!!! Dehors… moi j’ai fait ma part.., le reste… je ne suis pas concerné!
    C’est la logique de la médecine en pièces détachées …la responsabilité est ainsi diluée… à l’infini!
    Merci à Augustin et à tous ceux et celles qui prennent le temps de se poser quelques questions et merci beaucoup à toi cher Baptiste de te mettre en danger comme tu le fais ! Parfois à nu! Sans ménagement! Ne ne laisse pas abattre par quelques animaux féroces, des réseaux sociaux surexcitées à l’affût de sang…

  14. Audert

    … Je trouve qu’on jète rapidement la pierre au chirurgien sur cette histoire.
    Certes un dysfonctionnement est manifeste, et il est déplorable qu’un dispositif n’ait pas permis d’empêcher le retour d’une victime auprès de son bourreau. De là à tout faire porter au chirurgien… quelque chose me dérange…
    Est-ce qu’un jour on blâmera le mécanicien qui déclare roulable une auto qui lui aurait été amenée en révision par un ivrogne, un danger sur la route?

    1. Anne

      Entièrement d’accord avec vous.
      La vocation d’un service de chirurgie n’est pas de faire du “social”. C’est peut être malheureux mais c’est comme ça, ou alors il faudrait plus d’argent pour avoir plus de lits, c’est malheureux également mais c’est comme ça.
      Protéger cette jeune fille semble indispensable, mais plus du ressort des services sociaux (?)… ont-il la même notion de l’urgence que les soignants ? ont-ils les moyens d’agir ?
      Si la jeune fille physiquement guérie ne libère pas le lit c’est sans doute une personne âgée avec une fracture du col du fémur qui passera une nuit de plus aux urgences sur un brancard, ou un patient opéré en urgence qu’il faudra transférer pour le post-op (coût du transfert en SAMU, éloignement du domicile, de ses proches, etc…)
      Pas facile.

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