La petite bête

(désolé pour mon absence ! Je suis vraiment sous l’eau avec la crise et du coup j’ai dû prioriser les réseaux où je publie, et j’ai priorisé Instagram car c’est le réseau où je reçois le moins de sollicitations/demandes/insultes etc. Toutes ces années sur internet m’ont vraiment abîmé. Je pense à vous souvent et je vous espère en forme malgré la crise qui nous touche toutes et tous…)

L’autre jour, je discute avec un patient d’un sujet très banal et absolument pas médical : on parle des enfants. Je lui explique ne pas en avoir, mais que c’est en projet, et que je me pose mille et une questions, parce que je suis quelqu’un de très angoissé pour les autres, que je ne peux pas voir ma nièce jouer sur sa chaise sans avoir le ventre qui se tord à l’idée qu’elle tombe.

Par exemple, chaque fois que j’écoute l’excellent Fabrice Drouel de l’émission Affaires Sensibles sur France Inter nous parler d’un fait divers, je me dis qu’il me sera impossible de vivre sereinement avec mon enfant, à moins de le pucer, de lui coller un marqueur GPS sous la peau, d’engager un garde du corps personnel.

J’imagine qu’on ne peut pas les protéger de tout, qu’on n’a pas le droit, en France, d’enfermer nos enfants dans une sorte de grande boule à furet, où ils seraient à l’abri de ce monde pendant MINIMUM dix huit ans… (on peut ? Non ? Non… Bien sûr… Je dis ça pour plaisanter… Evidemment… Pffff… Jamais j’ai pensé un truc pareil, ça va pas la tête ?!?!…).

Bref, ce jour-là, mon patient m’écoute, sourit, je lui dis : « vous voyez j’ai peur que mes futurs enfants sentent que j’ai peur pour eux, oui, et pour tout ! Et pour n’importe quoi ! J’ai peur que ma peur les névrose complètement. J’ai peur au carré ! »

On a papoté de longues minutes du sujet, puis il est parti.

Quelques semaines passent, j’oublie notre discussion.

Il revient un jour, je l’examine, lui rédige une ordonnance, et au moment où il se lève pour quitter mon bureau, il s’arrête une seconde : « tiens, tant que j’y suis, avant-hier j’étais avec ma petite de six ans, j’ai repensé à notre discussion de la dernière fois. Sur comment ne pas transmettre nos angoisses à nos enfants. Faut que vous sachiez, moi, j’ai la phobie des insectes. Dès que ça vole et que ça fait du bruit, j’ai les poils qui se hérissent, la sueur me coule dans le dos, des vapeurs, bref, grosse grosse phobie ! J’étais avec elle dans le jardin, elle voulait m’aider à jardiner, quand tout à coup y a ce truc… énorme !!!! (je le jure : à cet instant-là, mon patient a beaucoup trop écarté ses mains pour qu’un seul insecte volant ait cette taille-là sur Terre, même en Australie ils en font pas des trucs comme ça, et plus il parle de cet insecte, plus il écarte ses mains, c’est plus un bourdon, c’est un chat angora avec des ailes).

 

Bref. Reprenons. 

« Eh bien vous savez, docteur, ma petite me regardait, je n’ai rien montré de ma peur. Le truc énorme s’est posé quelques instants sur mon épaule, j’ai dit à ma petite « Si je l’embête pas, il va rien faire et repartir, ma chérie ». Je suais à grosses gouttes, mais ma voix n’a pas tremblé, je n’ai pas dégoupillé, et finalement cet espèce de monstre volant est reparti, probablement dans le trou infernal d’où il n’aurait jamais dû sortir, mais bref, je voulais vous le dire avant de quitter le cabinet. »

Là, le patient se penche vers moi et il me chuchote (comme si c’était un secret qu’il avait arraché de haute lutte) :

« On peut y arriver, Docteur. Ne pas leur filer nos craintes et nos angoisses. ON PEUT Y ARRIVER »

Il m’a filé une tape sur l’épaule, hyper fier de lui, et il est reparti.

Vous entendez ? On peut y arriver !

 

 

7 réflexions sur « La petite bête »

  1. Cath

    Ben oui, on peut y arriver et se dominer quand il s’agit de protéger ses petits de ses propres peurs.
    Mais moi, je n’y suis pas arrivée. Même phobie que ton patient, et en plus, si ça rampe, jackpot ! Le bon côté des choses, c’est que les petites se sont poilées comme des rates…. Il faut aussi prendre cet aspect en considération. Tu verras, tes gamins te rassureront, « c’est pas grave » te diront-ils d’un air sage et confiant.
    Et accepter que tu ne pas protéger ceux que tu aimes de tout, mais que tu t’y appliques en leur donnant les moyens de se protéger, en leur apprenant à faire la part des choses, à réfléchir. Ce sera déjà beaucoup, et grand.

  2. sajob

    Ahahah trop mignon ! Je n’ai pas d’enfant mais j’ai vu de mes propres yeux leur pouvoir surnaturel :
    ma soeur a tellement la phobie des chiens qu’elle me jette dans la gueule du loup pour se défendre (faut savoir que j’ai aussi peur des chiens 🙂 et que je suis quand même sa soeur jumelle … et bien j’ai mesuré le pouvoir de l’amour inconditionnel : on se promène, on croise évidemment un chien pas rassurant tout seul, ma soeur porte sa fille de 1 ans dans les bras, je me prépare à être envoyée vivante dans la gueule du chien, et là elle dit d’une voix Sage : “oui, ma chérie, c’est un chien, il se promène lui aussi, tu lui fais coucou?”. Bonne journée !

  3. Sylviane

    Je confirme on peu !!
    Et quand on se vautre lamentablement il suffit d’expliquer, donc maintenant c’est ma fille de 7 ans qui me rassure quand elle s’amuse à faire de l’apnée hors de l’eau “t’inquiètes pas maman, je joue”.
    Off course sweet darling !
    De toute façon vous avez la bonne clé puisque vous savez déjà à quoi vous devrez faire attention .
    Super papa en gestation !!

  4. Ollia

    Oh tellement ! Et si vous saviez docteur ! Le notre est un kamikaze né. On sait pas pourquoi, le danger, y connait pas. Il se prend trois points de suture en se vautrant tête la première en courant dans tous les sens? Le lendemain il recommence la même bêtise. Pas un jour sans un bleu. Pas un jour sans se dire qu’il finira par y laisser une jambe. Et pourtant, quand je le regarde se vautrer une énième fois par terre, parfois d’une marche, parfois après quelques roulés boulés… et ce depuis tout petit, la même réaction, limite mère indigne : il pleure ? Non ? Bon tout roule. Si ? Bon voyons s’il se relève. Il se relève ? Ah oui. Bon ben ça va, un bisou, et c’est reparti. Si je devais accourir auprès de lui auprès du moindre bobo, je serais pas sortie, et lui non plus.
    Quant à mes phobies, tout pareil que le monsieur. Peur des araignées, ça conditionne parfois certains détails de ma vie (je n’ouvre pas mes volets de chambre, trop peur qu’un monstre aille se planquer derrière la commode ou sur ma tête. Du coup, Monsieur s’y colle) Mais dès que je vois une araignée dans un coin : regaaaaaaarde mon chéri la petite araignée ! elle est toute fragile, elle tisse sa toile etc… histoire d’avoir un deuxième chevalier blanc à la maison.
    Et veille précisément à écraser les tégénaires hors de sa présence, sans cris, ni vu ni connu je t’embrouille.
    Le pouvoir des enfants ^^
    Bonne continuation et courage dans vos démarches. Dites vous que vos futurs enfants auront sans doute la plus belle mallette de docteur qu’ils n’ont jamais rêvée d’avoir à la maison, au moins ^^ (et la formation en prime.)

  5. Laurence

    Je me lamentais de m’être trompée trois fois lors d’un concert, ma fille de dix ans m’a répondu : «  la semaine dernière, à la compétition de gymnastique, je suis tombée quatre fois de la poutre et j’y suis remontée à chaque fois. » Cinq ans après, j’y pense encore quand je suis confrontée à un problème. Les enfants sont des puits de sagesse et des rocs si leurs parents leur font confiance.
    Si votre nièce tombe de sa chaise, elle fera exactement la même chose que vous si ça vous arrive, elle se relèvera. Et elle aura une histoire à raconter à ses copains.
    Un ami a été tellement bien protégé par ses parents qu’il n’a attrapé aucune maladie infantile. Mais quand lui-même a été père, il a eu droit à des injections de gammaglobulines à chaque maladie d’un de ses enfants…
    Et arrivera un jour où vous regretterez que votre enfant ait un gps interne qui lui indique éternellement le chemin de votre maison, quand vous aspirerez au calme et qu’il débarquera.

  6. Maryse

    Vous me manquez beaucoup M. Baptiste Beaulieu. Je vous connais depuis longtemps sur votre blog et je n’ai pas Instagram sur ma tablette. Tant pis pour moi ! Merci beaucoup pour votre humanité, votre sensibilité. Surtout protégez-vous, si cela est possible…

  7. marie

    Nous avons eu très tard un fils qui est et restera unique, ma phobie ce n’est pas les petites bêtes,  qu’il tombe dans une rivière en furie ou qu’il se scratche à l’accro branche, c’est le kidnapping, ces horreurs d’alertes enlèvement, ces indicibles avis de recherche.
    Depuis tout petit j’aurai tendance à ne pas le lâcher d’une semelle, puis collège lycée, bien obligée de «le laisser vivre » se sont ses mots,
    Donc à l’orée de ses 18 ans , oui 18 je l’ai accompagné à la gare pour qu’il prenne pour la seconde fois de sa vie le train, SANS MOI, la première c’était en voyage scolaire (pas folle la mère). Je n’en ai pas dormi de la nuit, je lui ai envoyé 15 SMS fais mille recommandations, les WC sont devenus ma terrible cage à furet.
    Et puis je me suis rappelée qu’à son âge tout juste majeure j’ai appelé ma mère « euh maman demain je pars en Grèce » « comment ? » « en train » « avec qui? » « bein toute seule (c’te question)» elle hurlait au téléphone « au-revoir maman à dans un mois » cerise sur le gâteau je suis rentrée avec un jour de retard sur la date prévue quand elle m’a eu au téléphoné sa voix était d’une douceur inégalée depuis. Ah bah oui je n’avais aucun moyen de communication pendant mon séjour, je l’avais prévenue « si tu as un appelles ce sera pas bon ».
    Donc mon truc pour ME raisonner c’est 1) « Qu’est-ce que je faisais à son age, quelle capacité d’autonomie j’avais », 2) leur faire confiance 3) leur laisser vivre leur vie et garder toujours notre porte ouverte s’ils ont besoin et quoiqu’il arrive.
    Clairement jusqu’à notre dernier souffle nos enfants seront source malgré eux et malgré nous d’angoisses, ceux qui disent le contraire se mentent.

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