Les 4 et les 7.

Texte de M.

« Aujourd’hui, cela fait 5 ans jour pour jour que mon petit frère est décédé.

5 ans que je suis orpheline de ma fratrie.

Il était parfait.

Grand, beau, sportif, intelligent, caustique, ironique. Vous l’auriez adoré. Moi, en tous cas, je l’adorais. Il était mon ami autant que mon frère et il me manque chaque jour.

Bref, il y a 5 ans, en partant bosser le matin, il a fait un AVC. Injustice profonde de la vie, lui qui ne fumait pas, faisait du sport à haut niveau et était donc régulièrement suivi, est parti d’un coup.

C’était un lundi. Il neigeait.

Cette journée restera gravée à jamais dans ma mémoire. Pour la deuxième fois de ma vie, j’ai senti littéralement mon coeur exploser en mille morceaux. J’ai ressenti la douleur physiquement. J’ai quitté le travail en catastrophe, sauté dans ma voiture pour aller rejoindre mes parents et ma belle-soeur à l’hôpital où il avait été transporté.

Il fallait que je le vois et que je sois avec eux. C’était nécessaire.

Je suis arrivée en un temps record. Ils étaient là, tous les 3, aussi détruits que moi. Plus même, certainement. Eux avaient perdu un enfant et elle, son amour. Ils m’attendaient. On s’est serrés très fort. Tous les 4. Pendant un temps que je serais incapable d’évaluer.

Un médecin est arrivé. Il nous a expliqué que les secours avaient tenté de le réanimer mais que c’était trop tard. Le temps qu’on les appelle, qu’ils ouvrent sa voiture, mon frère était déjà mort.

Le médecin a été incroyablement doux et patient. Il a répondu à toutes nos questions… Et puis, il a posé la sienne. Est-ce que nous acceptions le don d’organes. Il a fait cela avec un tact magistral, une douceur fantastique. Il n’y a pas de tabous dans notre famille. Nous connaissons tous les volontés de chacun. Et oui. Mon frère était donneur d’organes.

Nous le savions tous.

Mais il y a un monde entre la théorie et la pratique dans ces cas-là.

Alors, on a dit oui.

Tous les 4.

En pleurant beaucoup.

Le médecin est reparti immédiatement. Le temps compte énormément dans ces moments-là. Les médecins n’ont pas une minute à perdre. Et Florence est arrivée. Florence, c’est une infirmière. Elle est venue nous expliquer ce qu’ils allaient prélever, à quoi ça allait servir. Elle nous a dit que mon frère serait respecté, qu’ils ne nous l’abimeraient pas. Et que nous pourrions le voir après.

Et tout était vrai.

Les médecins ont prélevé ses reins, son foie, sa peau et ses cornées.

Ils ont pu soigner 7 personnes grâce à mon frère.

Et ils nous l’ont rendu aussi beau qu’avant.

Florence nous a accompagné à chaque instant.

Elle était avec nous dans la chambre. Elle était avec nous au funerarium. Elle est même venue à la cérémonie.

Cette équipe a fait son maximum pour ne pas aggraver notre douleur avec une humanité inimaginable.

Bref, ce que je voulais vous faire passer comme message, c’est qu’il faut faire connaître sa position sur le don d’organes à ses proches. Qu’on soit pour ou contre, c’est le choix de chacun en son âme et conscience.

Mais dites le.

Que vos proches n’aient pas à se poser la question ou à se déchirer si ils vous arrivaient quoi que ce soit.

Et n’oubliez jamais de dire aux gens que vous aimez à quel point vous les aimez.

Tu me manques aujourd’hui encore un peu plus.

(PS : je ne suis pas retournée à N.Y.) »

31 réflexions sur « Les 4 et les 7. »

  1. Lys18

    Merveilleux témoignage,d’une profonde tristesse mais emplie d’humanité et presque…d’espoir.
    Oui c’est important de faire connaître sa position sur le don d’organe.
    Merci pour cela aussi,au delà de la beauté déchirante de ces lignes.

  2. Fouqué

    Magnifique et émouvant témoignage qui doit nous faire réfléchir sur ce que nous ferions si cela nous arrivait… Y réfléchir avant et faire part de sa décision avant ne fait mourir personne mais permet plus de sérénité lorsque le drame arrive et que l’on a juste envie de partager notre chagrin avec ses proches

  3. fripouille

    Il est bon de rappeler que, lorsqu’on prélève un organe, ce n’est pas enlever quelques chose au défunt, c’est apporter la vie à quelqu’un d’autre.

  4. Marie-Annick

    Merci M. pour ce texte magnifique.
    Merci Baptiste pour le relai.
    M. , votre frère est là tant qu’il est dans le coeur de quelqu’un.
    Pour le reste, je vois une immense ronde heureuse et colorée, composée de tous les anciens devenus sages, je veux dire aimants et joyeux.
    J’entends des rires, beaucoup de rires. Je vois des visages rayonnants que seule la tristesse de ceux qui sont restés assombrit.
    Comme on est venu, on repart. Mais tout était avant et tout reste après. C’est mon sentiment.
    Une sorte de boucle infinie, de chacun avec soi, de tous avec les autres. La douleur, un temps, le manque, bien sûr, ont leur part dans le grand jeu. Mais gardons toute notre joie. Nous avons tant de chance.

  5. zija

    Donc, les élèves que je surveille dans le CDI de mon collège m’ont vue essuyer une larme. “Pourquoi vous pleurez, Madame?” Je leur explique en atténuant la tristesse du texte. Et ça a été l’occasion pour que chacun puisse s’exprimer sur le sujet du don d’organes. Un débat passionnant avec des petits mômes de 11 à 12 ans. Cela va peut-être me valoir des appels catastrophés de parents demain, mais tant pis!

    1. Rodjeur69

      Bien joué, Zija !
      Dans “Assistant d’Education”, il y a Education, non ?
      Vous avez donc fait votre boulot en assurant leur éducation, ou leur information à ce sujet. Et avec tact, apparemment, puisque vous avez atténué la tristesse du texte.
      Et en plus, vous assumez les appels des parents. Vous êtes parfaite !
      Si je peux vous rassurer, moi aussi, il m’a fait pleurer. Mais sans témoin, c’est une chance.
      Bonne continuation.

      1. Lucile

        Bonjour !
        Bravo, chère collègue 😉
        Rodjeur69, je pense que Zija est professeure documentaliste, et non pas assistante d’éducation 🙂
        Bises à tous et merci à Baptiste pour ce texte.

  6. Oona

    Bouleversant …
    Après, on se demande comment on peut réellement être CONTRE le don d’organes, même si je sais que certaines personnes ont plein de raisons (éthiques ? morales ? religieuses ? surprenantes ? délirantes ? bizarres ? …)
    “orpheline de fratrie” c’est vrai qu’il n’y a pas de terme exact pour cette perte … quelle douleur …

    1. mimi

      Ne jugez pas !!!
      Nous sommes encore libres de choisir pour de multiples raisons.
      Alors, ne vous posez pas de questions. Faites comme vous le sentez, comme vous le souhaitez
      mais évitez de culpabiliser les autres.
      C’est juste le RESPECT d’autrui…

  7. dubois martine

    Un très beau témoignage. Merci Baptiste pour cette publication. C’est une prise de conscience pour certains et un bel espoir pour tous ceux et celles qui sont en attente d’un don. Quoi de plus beau de prolonger une vie. Cet acte généreux ne fait pas oublier la peine occasionnée par la perte d’un proche mais l’adoucit peut être. Le film “réparer les vivants” traduit bien ces moments d’intense émotion et le rôle humain du médecin face aux proches du défunt.

  8. Poulette Dodue

    Merci de partager ici (à toi Baptiste et à vous M)
    Chez nous le don d’organe est parlé et chacun connait les positions ds uns et des autres. C’est rassurant de voir que vous avez été bien accompagné(e)s.
    Témoignage touchant qui renforce ma position de “donneuse”

  9. AnneduSud

    Merci M. pour ce très beau texte. J’ai de l’eau plein les yeux. Prendre position et le faire savoir. C’est tellement important et ça simplifiera la vie de ceux que nous laissons au bord du chemin.

  10. julie calvo

    Maylis de Kerangal a publié un très beau livre ” réparer les vivants” et le film est beau aussi, mais tous ceux qui ont subi cette épreuve savent que leur peine de la perte d’un enfant d’un frère d’une sœur, d’un être cher ( chair) était impossible à mesurer

  11. genevieva

    Très beau texte, cela me ramène en 1956 au décès de mon frère ainé de 26 ans tué par des chauffards, lui en vélo eux dans une camionnette, il est mort sur le coup et on n’a pas pu donner ses organes ce qu’il aurait aimé faire, lui ayant fait de la moto, de l’aviation depuis l’âge de 15 ans, je me suis souvent posé cette question que ferais-je si l’un de mes enfants ou petits enfants décédaient brusquement ? je donnerais malgré mon chagrin il y a aussi ma sœur qui avait la maladie bleue et qui aurait peut être été sauvée si on lui avait donné un cœur neuf, elle est morte à 28 ans
    je repense souvent au livre que j’ai lu à sa parution “réparer les vivants”

  12. Zéphine

    C’est quelque chose auquel j’ai déjà réfléchi. Pour moi, il n’y a aucun doutes que je souhaite être donneur d’organes. Mon entourage est au courant, et accepte ma décision. Mais je sais aussi que l’annonce d’une mauvaise nouvelle peut faire “perdre les pédales” à ceux qui restent. C’est pourquoi il y a quelques années, je me suis officiellement enregistrée au registre des donneurs de Belgique où je résidais alors.
    Depuis, je me suis installée en Nouvelle Zélande où les choses sont encore plus simple: le permis de conduire (qui fait office de pièce d’identité puisqu’il n’y a pas vraiment de carte d’identité) reprend clairement l’indication “DONOR” ou “NO DONOR”. Par défaut, sauf indication contraire, tout un chacun est donneur. Cela permet un gain de temps précieux , et il me semble que la famille n’est pas nécessairement tenu au courant en cas de prélèvement d’organes. Seul la volonté du défunt est prise en compte.

  13. Leila

    Beau texte, c’est vrai…
    Mais la réalité est parfois un peu différente…(et on n’a pas souvent l’occasion de la dire…)
    *avec moins de chaleur humaine et moins d’accompagnement…pour nous…c’était terriblement violent et transgressif… Elle n’avait pas l’air morte du tout….
    La docteure et l’infirmière ont fait ce qu’elles pouvaient…c’est pas facile pour elles non plus…
    *plus de questions sur la réalité de l’équivalence entre mort encéphalique et mort tout court…
    *quelle est donc l’heure réelle de leur mort?
    *encore plus de questions sur ce qui est prélevé, prélevable…… organes et tissus…la liste est éprouvante…
    *des questions sur le consentement ,présumé par la loi,mais pas libre et éclairé car sans information loyale et complète.Comment consentir si on ne sait pas à quoi on consent?
    *des questions sur le registre des refus où on apprend que que si on ne dit rien, une autopsie pour recherche de la cause de la mort peut être faite sans notre accord et des prélèvements pour la recherche aussi…(Et moi j’aime bien qu’on me demande mon avis et qu’on fasse l’effort de me convaincre…pour l’utilisation de mon corps ou celui de ceux que j’aime…pas seulement qu’on m’informe!)
    *des questions encore sur les nouvelles finitions de la mort, cardiaque ou cardio-circulatoire…pour permettre des prélèvements dans d’autres conditions que l'”état de mort encéphalique” , par exemple après un arrêt des soins (LATA) permis par la loi désormais …

    Je suis la mère de la “donneuse”…et j’aimerai qu’on entende et respecte ma voix dissonante…Je me pose mille et une questions…je cherche des réponses…
    Et non, ÇA n’a pas donné un sens à sa mort, ÇA n’a pas facilité mon deuil…
    Il ne peut pas y avoir de réponse simple ou simpliste sur un sujet aussi complexe, les transplantations d’organes sont une belle avancée médicale, c’est du coté de l’explantation qu’il y a matière à réfléchir…mais qui veut entendre parler d’ organes prélevés et l’effet que ça fait à ceux qui restent?

    1. Cath

      Vous avez raison de le dire et de poser ces questions. Si tout cela était clarifié une bonne fois pour toutes, cela serait plus facile et pour les soignants et pour ceux qui restent et à qui on demande. Cela aiderait infiniment.

  14. Nicole

    Merci pour ce beau témoignage, j’aurais pu l’écrire 3 membres de ma famille sont décédés et ont été donneurs.
    Dans m famille nous en avons, et nous en discutons encore régulièrement. Toute la famille est donneur, chacun a ses raisons personnelles, mais la plupart d’entre nous pensons que à quoi bon garder un corps entier alors qu’il ne “sert” plus et que d’autres peuvent survivre grâce aux dons.
    Est-ce le fait que nous sommes aussi tous pour la crémation ?
    Pour moi savoir que tous mes organes partent en fumée alors qu’ils peuvent être utile à d’autres me paraît un acte impensable.

  15. Minich

    Mon beau-frère, pour qui la vie était devenue insupportable en fin d’année dernière, à décider de nous quitter mais, pas complètement…
    Nous connaissions sa position sur le don d’organe, il avait par ailleurs pu être donneur de moelle osseuse en début d’année 2017…
    Le choix de son départ, par pendaison, n’a pas été anodin… Il savait que ces organes pourraient être prélevés plus facilement qu’avec une prise de médicament ou tout autre moyen de mettre fin à ses jours…
    Ainsi, 2 mois après son décès, nous savons, que 7 personnes ont pu, eux, continuer de vivre leur vie, grâce à son foie, son aorte (je ne suis plus sûre que ce soit l’aorte ou une artère fémorale ?), ses 2 poumons, ses 2 reins et son cœur…
    Merci M. Beaulieu, par le biais de témoignage tel que celui de M., de rappeler que le don d’organe est un choix personnel mais, qu’il doit être clairement discuté avec les proches afin que chacun connaisse la position de l’autre.
    Et puis, pour ma part, je me dis qu’il reste encore un peu de lui, vivant…

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