L’ordonnance de la honte.

Alors voilà, dans ma dernière chronique sur France Inter, je reviens sur une réalité que vivent beaucoup de nos concitoyens en situation de précarité. En France, actuellement, plus de 8 % vivent sous le seuil de pauvreté. Nous sommes 67 millions, cela signifie que près de 12 millions de Français vivent avec près de 1000€ par mois.

Quand on sait que le budget alimentaire mensuel moyen en France est de 385€ par foyer, qu’est-ce qu’il reste à nos concitoyens précaires ?

Il y a une réalité, en France, qui est mise sous le tapis, mais que nombre de soignants expérimentent au quotidien : celle des compléments nutritionnels oraux. Peut-être en avez-vous déjà vues en pharmacie, ce sont des sortes de petites bouteilles enrichies en glucides, lipides et protéines… Elles feraient probablement péter le score de l’application Yuka !

Ces compléments sont prescrits pour des patients cancéreux ou des personnes âgées en état de dénutrition.

Eh, bien, je ne connais pas de médecin qui n’aie pas, déjà, au cours de sa carrière, été amené à prescrire des compléments nutritionnels oraux en dehors de ces indications. Si la Sécu me demande, je nierais catégoriquement, mais oui, ça m’est arrivé d’en prescrire temporairement à des personnes trop pauvres pour avoir de quoi s’acheter à manger, et trop désociabilisées pour aller pointer à la banque alimentaire. On s’en sort avec les mains salies, et le sentiment d’avoir participé à un système fort avec les faibles mais faibles avec les forts.

Un jour de Noël, notamment. Ça a été son repas de Noël, à ce patient, parce qu’il était seul, ne voulait voir personne et a refusé que je l’aide. C’est le genre de prescription qu’on n’oublie pas, jamais.

La vérité c’est qu’en France, si t’es pauvre, tu as statistiquement plus de risques de manger mal, et de grossir, de développer des problèmes de santé.

Et aucune application nutriscore ne pourra changer ça, car manger bien ça reste cher, quoiqu’on dise, et que souvent, quand tu galères à bouffer, ton dernier souci n’est pas de vérifier avec une application ce que tu vas manger, mais sortir ta calculette pour voir ce que tu peux acheter.

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Baptiste

23 réflexions sur « L’ordonnance de la honte. »

  1. Magalie

    C’est très triste ! Même si je suis loin de rouler sur l’or je m’estime déjà heureuse d’avoir un salaire et qui me permet entre autres de faire mes courses assez régulièrement et de bien manger (j’entends pas là de la VRAIE nourriture : des fruits, des légumes, un peu de viande/volaille/poisson, etc), ça devient limite un luxe de manger correctement et sainement !!!!

  2. Rodjeur 69

    C’est là que devrait s’appliquer la solidarité nationale. Nous ne payons pas des impôts pour acheter des assiettes à l’Elysée ni du homard à des ministres !

  3. Marie Noelle

    Je me demande si c est manger qui coute cher… ou le reste…
    On achète souvent la nourriture apres avoir payer le reste : loyer, electricite, gaz, telephone, internet (devenu pratiquement obligatoure de fait), eau, assurances maison, assurance auto, essence , controle technique, oy bus – metro, vetements (d abord pour les enfants), fournitures scolaires, carte bancaire, lunettes, dentiste, mutuelle quand on peut…remplacer le frigo, alors la bouffe…

  4. Camille

    je ne sais pas trop quelle est l’indication de cette prescription de complément…
    pourtant, je ramène mon grain de sel de soignante du siècle dernier !
    en post-réa, au CHU de …, quand un plus alimentaire était utile, avec mes collègues, nous sollicitions les familles pour apporter le fameux lait de poule (aromatisé ou pas au calva) apporté dans un thermos, servi dans la plus belle tasse du service et la serviette brodée… çà aidait !
    et puis, en USLD, quand une vieille dame arrivait dans un état de dénutrition avancé, nous cherchions à connaître son mets favori : plusieurs se sont “remplumées” grâce à des petits déjeuners de pain grillé chaud et beurre et confiture avec café très noir, le matin, le midi et le soir
    la diététique ?
    t’es qui toi pour avancer cette doctrine-là à cet âge-là
    bonne soirée,
    Camille

    1. Cath

      Les temps changent. Maintenant, souvent, le plateau repas est déposé devant la personne âgée et elle doit se débrouiller, même avec un bras cassé pour couper la viande ou éplucher une orange. Et si elle ne mange pas, c’est qu’elle n’a pas faim ? Ces temps derniers, j’ai vu une seule infirmière s’asseoir près d’un patient âgé pour lui donner la becquée. Moi, je m’occupais de mon côté, faire manger ma malade, un petit peu, préparer la viande et les fruits pour la voisine de chambrée… La faute à pas de temps, la faute à pas de personnel.
      Et moi, je n’ai pas à me plaindre du personnel soignant qui est à l’écoute.

  5. flipflop

    Merci Baptiste, d’oser dire que manger bien coûte cher. Je n’en peux plus de ces personnes bien intentionnées qui expliquent que ça n’est pas plus cher de manger bio et local. Je mange bio et local, en famille, et ça me coûte un bras. Je le fais parce que j’ai la “chance” de travailler et que je sais que c’est important. Les vrais pauvres – merci de rappeler qu’ils sont aussi nombreux – font les fins de séries de leader price ou lidl, et ne peuvent pas se demander s’il reste du thon dans la mer ou de la sardine en Méditerranée, ni comment a été élevé le poulet, ni où a poussé la carotte. C’est pour ça qu’on se doit, nous, de le faire, quand on peut. J’ignorais la prescription de complément alimentaire… Manger bien nécessite une éducation à la cuisine, un accès à des sous, et aussi … d’avoir la patate ! du courage, de l’énergie ! Ce qu’on n’a pas toujours si on est pauvre.
    Une ex-pauvre qui a de la mémoire

  6. loch

    Bonjour Baptiste (Ou devrais je dire monsieur, ou docteur ?)
    Bien sur la pauvreté est un problème, bien sûr il est terrible de devoir compter, bien sur il est anormal de devoir sauter des repas, de ne pas manger à sa faim aujourd’hui en France, 5eme puissance mondiale, membre ou G7 (ou 8 ou peu importe)
    Mais pourquoi associer ce problème à des applications type Yuca ? pourquoi faites vous une espèce d’opposition entre ceux qui ne peuvent manger et ceux qui voudraient manger mieux, pour éviter toutes les saloperies que l’industrie agro alimentaire veut nous faire bouffer ? juste pour améliorer sa rentabilité et ses profits.
    Ca participe à monter les français les uns contre les autres, les “nantis” et les autres.
    ça me déçoit un peu venant de vous

    1. Cath

      Mais relisez donc attentivement le message ( et la fin de celui-ci en cliquant sur « ici ».). Cela vous évitera de faire des procès d’intention qui n’ont pas lieu d’être.
      Vous y lirez, peut-être, la suggestion de Baptiste en vue d’améliorer ces applications -que personnellement je ne consulte pas parce que j’ai eu la chance d’être éduquée à la campagne et de connaître le vrai bio, pas celui qui fait vendre.

      1. LOCH

        bonsoir
        je vous remercie de votre suggestion, je n’avais pas pensé à lire tout le post !
        Cependant, je me permets d’insister, mais je ne vois pas pourquoi ces plateformes, applications ou autre devraient se charger de la misère du monde. C’est à l’État de garantir que nous puissions tous avoir un toit et à manger.
        Nos impôts servent à ça, pas à fournir du homard à nos élus ! c’est le principe de solidarité.
        Qu’il y ait des initiatives privées, c’est bien. Que ceux qui le peuvent, ou le veulent, fasse des dons, tant mieux. Mais encore une fois, pourquoi interpeller publiquement yuca et la autres ? pour les faire culpabiliser de ne pas le faire ?
        ce n’est pas leur job

        1. Cath

          Je ne pense pas que Baptiste cherche à culpabiliser qui que ce soit. Il suggère. Son idée peut être prise en compte et être un plus pour les concepteurs. Parce qu’il décrit aussi une réalité qu’il faudrait bien considérer, et ne pas oublier sous le tapis du progrès et des applications lancées à grand renfort de publicité.
          Vous avez raison, nos impôts ne devraient pas servir à garnir la table ou les appartements de quelques élus, mais ne vous faites pas d’illusions : nous ne sommes pas en Scandinavie où les indélicats sont poussés à la démission et rayés du paysage politique. Les Français votent pour ces mêmes personnes qui ont des batteries de cuisine solidement accrochées à leurs basques, avec même des jugements définitifs infamants. Il y a encore de l’ouvrage pour nos associations qui traquent ces comportements et demandent réparation au nom de la République.
          Savoir si c’est à l’Etat de garantir un toit et la nourriture pour ses administrés, c’est notre conception à la française . Mais ce n’est pas cette conception qui prévaut dans d’autres pays où d’autres systèmes : voyez le Royaume Uni où beaucoup d’activités sont prises en charge par le système caritatif et associatif.
          Par contre, j’ai lu une remarque pour les services en porcelaine commandés par l’Elysée : ne pas oublier que ces commandes d’état, c’est du travail pour les entreprises et les artistes des manufactures françaises. Ce n’est pas comme la boutique de souvenirs proche de la Maison Blanche à Washington : tous les articles vendus y sont “made in China”. .. Avec un président qui fait voter des augmentations de droit de douane massives sur les produits chinois, ils vont faire faillite., déjà que les produits proposés étaient hideux et sans goût…
          Bref, tout ne va pas mieux dans ce qui n’est pas le meilleur des mondes.

          1. RasLeBol

            dénoncer les politiques sans scrupules avec l’argent de l’état. je partage
            que pensez-vous des arnaques aux allocations familiales ?

  7. Souslalune

    Toujours faire ce que le coeur vous dicte … mais c’est tellement triste ..
    J’ai vu ça aussi avec du lait maternisé pour bébé, prescrit parce que la maman n’avait pas d’argent pour l’acheter ….

  8. Souslalune

    Super interview sur France Inter ce soir, bravo Baptiste, tu es courageux, bravo encore !
    Le reportage “bal musette ” à la fin était très touchant …

  9. Pilou

    Perso, j’ai bénéficié à une époque de ce genre de compléments alimentaires, ce n’était pas faute de moyens financiers, mais après des hémorragies suite à une opération, et manque d’aide pour courses et cuisine (comment cuisiner sainement lorsque l’on tient à peine debout) chaque cas est différent. Oui aux produits bio, encore faut-il les trouver lorsque l’on est seule, sans moyen de locomotion ? on va au magasin du coin, et on achète ce qu’on trouve. La solitude est souvent aussi un handicap pour se nourrir correctement.

  10. Nadezda

    “Manger bien nécessite une éducation à la cuisine, un accès à des sous, et aussi … d’avoir la patate ! du courage, de l’énergie ! Ce qu’on n’a pas toujours si on est pauvre.” d’accord avec FlipFlop.
    Quand j’étais au social, je faisais le tour des pharmacies pour avoir des vitamines etc que je donnais aux personnes qui venaient chercher un colis alimentaire. La plupart de ces personnes, ne mangent pas de fruits et légumes frais, le pire ce sont les enfants. Je troue que dans les écoles des quartiers défavorisés ont devrait donner aux enfants, gratuitement, un repas équilibré .

  11. Jean-Do

    Alors voilà. Baptiste a raison sur tout, sauf que 8 % de 67 millions, ça ne fait pas 12 millions mais 5,36 millions. C’est déjà énorme, c’est déjà 5,36 millions de trop, on est d’accord.

    Et d’après Le Figaro, ce n’est ni 12 millions, ni 5,36 millions, mais… “8,8 millions de pauvres, selon l’INSEE” (http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/dessous-chiffres/2018/09/13/29006-20180913ARTFIG00001-pauvrete-en-france-les-chiffres-a-connaitre.php)

    Bref, Baptiste a raison, sauf qu’il se trompe sur les chiffres (j’ai envie d’être un peu taquin en disant que c’est pas un peu gênant, pour un médecin ?), et que ça affaiblit son propos. Hélas.

  12. hexdoc

    “je ne connais pas de médecin qui n’aie pas, déjà, au cours de sa carrière, été amené à prescrire des compléments nutritionnels oraux en dehors de ces indications”
    Parmi ceux que vous connaissez et que vous avez peut être questionné à ce sujet.
    Franchement, des compléments alimentaires pour un repas de Noel … On est dans le pathos et le misérabilisme, et il n’y a aucune justification à prescrire ces trucs infâmes pour ce soir là. A ce stade là si on a vraiment envie de faire quelque chose à la veille de cette soirée , il faut donner un billet de 20 euros (voire 25 le prix de la consultation), mais pas prescrire des compléments alimentaires.

  13. herve cruchant

    Et voilà le visage de notre défaite : avoir honte de devoir secourir les prochains, nos frères, que d’autres ont désignés hors de normes socialement correctes.
    Si je devais être honteux de moi-même -et d’ailleurs pour quelle raison, je vous prie?- je choisirais de l’être pour n’avoir su accabler d’injures et de constantes invectives comme il convenait ceux qui font que la misère écartèle, que la faim crucifie, que la vie s’amenuise. Qui refusent le droit au travail, à la dignité. Et puis, au bout de la route, qui déshonorent les exilés en les nommant migrants. S’appropriant de ce fait la détresse pour en faire un costume dans leur propre théâtre de voyous. Et justifier les noyés par les choix imbéciles qu’ils font de leurs trop aléatoires caravelles.
    Ceux là ne méritent aucune considération. Aucun mot n’est trop fort pour les agonir.
    Nous avons oublié que leurs pouvoir n’existe qu’en raison de notre consentement. Seuls, auraient-ils aussi belle figure avec leurs agapes, leurs ors et leur suffisance?

  14. jacques

    demande hier soir à la dernière consultation d’une jeune femme en panade médicale (douleur endométriose rebelle) et probablement sociale / je trouvait qu’elle avait perdu du poids, et de lui dire l’a fait pleurer… en fait gros gros problème d’argent et social, j’ai écourté la conversation par respect (pleurs) et je suis reparti sur la partie “technique ” médicale. Première fois pour quelqu’un de jeune sans problème psychiatrique (plusieures demandes de “malades” psychiatriques sévères = psychose en rupture de société)
    triste époque parfois / j’ai du trop entendre plus jamais çà … Merci d’en avoir parlé je me sens moins seul

  15. Natacha

    Je viens de découvrir ce blog et je voulais juste exprimer un immense merci pour ces partages ! Je suis pharmacienne et je sais combien ces histoires ne sont pas isolées. Les écrire et les publier c’est ne pas les nier et c’est une forme de courage. D’autant plus qu’il me parait aujourd’hui compliqué de publier sur nos métiers qui sont de plus en plus diabolisés et sujets à controverses et désinformations.

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