L’homme qui se prenait la tête.

Par contraste avec le post de la semaine dernière, j’ai voulu donner la parole à Philippe Aïm, psychiatre, psychothérapeute, formateur, auteur de Ecouter, Parler: Soigner. Guide de psychothérapie et de communication à l’usage des soignants.” aux Editions Vuibert-Estem. Parce qu’il pense que mieux communiquer peut changer le monde et qu’être optimiste est un choix des plus raisonnables, il est, avec Martin Winckler, une grande source d’inspiration.

Alors voilà Arthur, le patient, et puis moi, il y a…longtemps (non je ne suis pas vieux !) : un bébé docteur en psychiatrie, fasciné, et Arthur, 22 ans, des yeux marrons et une maladie qui s’appelle la schizophrénie. Ça c’est son « diagnostic ». Lui, il a du mal à l’admettre (« mais non c’est juste que des fois je me prends un peu la tête… »). 

Oui, mais bon, il a des hallucinations, parle à des voix que nous n’entendons pas. 

 

Parfois, ça fait marrer des copains quand je leur parle de mon métier. Mais s’ils voyaient Arthur dans ses moments- là, ils verraient que ce n’est pas drôle. Du tout. Qu’il a peur. Terrible. Tellement, que parfois il explose, il se « prend la tête » avec ses parents. Ça tourne au drame. Violent, certains jours.

 

Alors on l’accueille, on l’écoute, on lui trouve un traitement qui diminue ses angoisses. Mais impossible de lui parler de sa maladie : « c’est bon, vous me prenez la tête ! ». 

Qu’importe, il va mieux. Il sort de l’hôpital et je le revois en consultation. 

 

Essayer, l’aider à comprendre, lui parler plus tranquillement de la schizophrénie, pour qu’il sache, qu’il comprenne… Mais rien. Impossible. On parle de beaucoup de choses, mais jamais, jamais, jamais, je ne lui ferai pas parler des hallucinations ou de la maladie.

 

Puis, un jour comme un autre, il entre. Je lui demande comment il va et il me dit, comme souvent : « Bah, comme d’hab. Mais je me suis un peu pris la tête… ».

Et là, l’éclair. Je lui demande : « Et ces prises de tête, elles se sont manifestées comment ? »

Et il me parle, et nous parlons, dans sa langue, enfin. Son monde n’était pas fait de symptômes et de syndromes, mais de « prises de tête ». Des prises de tête qui parlent, des prises de tête qui ont des formes, des couleurs, qui font peur, qui lui font péter des plombs… des prises de tête que personne ne comprend…

 

Erickson disait « parlez le langage du patient ». C’étaient de beaux mots. Là, je vivais réellement ce que ça améliorait dans notre relation. Ce qu’une phrase lui permettait de dire, d’envisager, de décider par lui-même.

Il fait partie de ceux qui m’ont donné envie d’écouter plus attentivement, de parler plus précisément et d’apprendre à d’autres comment le faire le plus humainement, respectueusement et efficacement possible.

32 réflexions sur « L’homme qui se prenait la tête. »

  1. fouzuia

    Si TOUS les médecins etaient capable de parler la même “langue” que leurs patients, tout serait beaucoup plus simple….parole de patiente 😉
    Bien heureusement, beaucoup en sont capable, malheureusement, il faut souvent les chercher longtemps.

  2. Grand33

    Bonjour Bibi,
    “parler le bon langage”, c’est tellement mieux ! et pas que dans le domaine médical.
    Par contre tu me fous un peu la trouille avec ce post, moi qui dit souvent : “ça me prend la tête” , peut-être que je suis schizophrène alors ?
    M’en vais venir te voir et tu me dira, Ok ?
    la bise

    1. Heyrin

      Si je ne dis pas de bêtise. On est pas schizophrène. On a la schizophrénie. C’est primordial de faire la différence.
      L’un est une nature et l’autre quelque chose qui se soigne.

  3. leslie

    Merci pour ce partage, l’empathie y prend tout son sens. Parler la même langue, cela parait si évident et pourtant on voit bien là que c’est un vrai exercice d’équilibriste pour en trouver les clés d’accès. Cela me rappelle que chaque patient est différent et qu’il n’existe pas de recette. C’est toute la difficulté et la beauté du travail auprès des personnes atteintes de troubles psychiques, bravo pour ce témoignage qui leur redonne toute leur humanité 🙂
    PS: Baptiste, j’adore la photo d’illustration!

  4. Herve CRUCHANT

    Sortir de la langue officielle.

    Petit retour en arrière dans ce blog, quelques posts. Un beau gosse du langage reprenait Bibi en écrivant quelque chose comme : ” ‘on ne dit pas j’ai pas pu le faire’ mais ‘je N’ai pas pu le faire’ ” et Bibi, patient comme un tailleur de pierre qui viendrait juste d’attaquer la première gargouille de la cathédrale, d’expliquer “je l’ai fait exprès; c’est du langage soutenu”. Ah, oui, mes amis. Voilà bien la raison pour laquelle il faut réconcilier soignants et soignés ! au titre d’ex et de futur soigné à la fois, j’aurais eu tendance à prendre la remarque du garde des sceaux façon Tonton Flingueur et d’envoyer un bourre-pif au donneur de leçon. Mais non, car côté soignant, DocBibi a posé calmement son porte plume sergent major sur le buvard du bureau après avoir libéré la petite goutte d’encre bleu des mer du sud Waterman qui tremblait, impatiente de plonger dans le la lettre, le mot décisif à tracer sur la page blanche pour ce nouveau roman, sur le bord de l’encrier à facettes délicatement comme on repose un oiseau qu’on vient de baguer. Et elle est un peu déçue, cette perle brillante aux yeux soleil : c’était son jour et son heure, comprenez-vous. Bref, le voilà qui dit. Ni trop court ni trop long, mais si tu déclines finement, c’est comme une pincée d’Espelette : cette petite phrase peut aller jusqu’à te faire quitter le fil, la goule béante sur un appel d’air frais et les yeux exorbités mais mouillants comme ceux du loup de Tex Avery. L’arbitre du match de boxe anglaise qui aurait reçu un coup derrière les oreilles “par inadvertance”. On ne peut pas reprocher à quelqu’un qui se relaxe sur un transat aux rayons d’un morito d’avoir oublié de mettre une cravate.
    Heureusement, notre bon psy est là pour dire que le plus important n’est pas dans la langue officielle de la Faculté mais dans le langage soutenu du patient.

    Voilà donc revenu ce manque d’épaisseur dans les mœurs; cette épaisseur qui peut rendre si douce la vie lorsque l’on prend le temps de la considérer comme obligatoire et primordiale. Je dis qu’il est d’une extrème urgence -et vitale- de mettre la langue littéraire, officielle, celle qui, gens dormez, sonne. Celle qui costard-cravate, fleurdelyse, fanfaronne sous les ors, de mettre cette langue là dans un musée du Vive la France -l’Académie Française et le Théâtre Français n’ont-ils pas été fait pour çà? Et que personne, ici ou ailleurs, ne s’avise de me traiter de ceci-celà ou d’issue de secours. J’adore la langue de France, ses mots, ses tournures. Le fait qu’on puisse écrire “je l’ai fait exprès, c’est du langage soutenu” et que dans cette simple phrase on puisse y voir, si on se penche un peu par la portière du carrosse, un rire créole martiniquais de cette tendre “Rue Case Nègre” à l’heure de la récréation de l’école obligatoire laïque et républicaine. D’autres langues prétendent avoir ce pouvoir d’évasion mais ne sont que des codes à échanger entre initiés si l’on veut en saisir tout le sens…glousser dans la bonne octave au the time ou savoir placer ses silences au club.
    L’épaisseur qui manque généralement dans ces mœurs, ces us et coutumes que nous manipulons pour mieux communiquer, vient d’une manie de fainéant mental. Elle consiste , à mon avis, à faire mine de croire à l’universel -cette forme insidieuse de recréer la déité à chaque fois que nous buttons sur une difficulté de raisonnement même, y compris et peut-être (horreur!) quand nous sommes athées convaincus. La vérité est ailleurs dit Mulder. Mais, la bonne blague, nous n’avons pas de temps pour çà. Les plus efficaces disent -merci, Bon Psychiatre du Jour- qu’il faut parler le langage du patient. Soit. Mais le mieux ne serait-il pas d’admettre, de savoir puis de mettre en pratique qu’à côté du langage officiel littéraire, chacun -chacun !- a sa langue à soi ? Non non, ce n’est pas une lapalissade ! ceci est fondamental : chacun a le faciès qu’il a, le mental qu’il a, etc… et n’aurait pas SA langue à lui ? mais c’est ce qui clôt le portrait comme une signature ! et, de plus il va en changer au cours de SA vie. Un esprit outrageusement normatif stériliserait le langage et donc l’individu. Ah? sous quels prétextes ? et bien, l’excès de dogme conduit à la mort sociale donc la mort de l’individu. Que ce dogme soit religieux et tendu par la culpabilité et l’idée d’éternité comme le prônent les trois monothéistes, ou communiste vs maoisme ou polpotisme ou stalinien, et tendu par l’égalité absolue. Pour les puristes, on peut rajouter les dictatures que je prends personnellement plus pour des schématiques mafieuses que pour des idéologies. Si la culture est “l’ensemble des moyens qu’un peuple met en œuvre pour construire sa spécificité face aux défis que lui pose son environnement”, cette culture, pour être solide, doit pouvoir être déclinée à tous les étages sociaux : le peuple, la nation, les différentes communautés, la famille et… l’individu. Sans qu’elle en perturbe l’authenticité. Par définition.

    Reconnaître l’évidence de la diversité langagière comme la langue Arabe reconnaît un Arabe littéraire et un Arabe dialectal. Ajouter un arabe dialectal “personnalisé à long terme” -vraiment perso, pas seulement local. Et à quoi çà rime tout çà ? et bien … à voir un patient assis dans son cabinet qui parle de “prise de tête” pardi !!! et avec lequel on peut dialoguer. Cependant, la reconnaissance de cette singularité personnelle pourrait choquer les derniers récalcitrants à l’idée de laisser du mou dans les chaînes sociales individuelles : le Républicain coupeur de joint. C’est un trait d’humour, le mien, désolé. Le “joint” étant le cou, en l’occurrence. Le Républicain rouge pense -à juste titre- que chacun nait égal en droit et en devoir. Si la République décide que la langue d’ile de France (le “français”) est la seule valable sous menace des pires répressions et ce, au titre du principe que “la république une et universelle”, on peut penser que le langage personnel est en contradiction. Ce serait mal comprendre la valeur universelle et fondamentale, fondatrice, de la révolution française de 1789. La République est une et indivisible parce qu’elle rassemble des Gens d’un Peuple qui se reconnaissent dans une déclaration dite “déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen”. De ce fait constituant, elle se dote d’un ensemble de référents officiels qui doit la catégoriser, notamment à l’extérieur, vis à vis des autres cultures. C’est à dire, notamment d’une langue officielle. D’un Etat pour garantir les moyens de sauvegarder cette constitution. Et, si des règles de vie citoyennes sont posées, la force de l’idée républicaine de 1789+ est de tenir compte des individus. Libres de penser leur pensées, de les exprimer par les discussions, palabres et autres réunions, éventuellement d’en tirer des actions unitaires par le vote. Où chacun décide par principe d’obéir au résultat, même le minoritaire qui pourra reconstruire une autre discussion, etc. C’est la fameuse démocratie. Et aussi exprimer et pratiquer ses idées sans nuire aux autres. La fameuse laïcité. N’oublions pas que la République garantit les pratiques de laïcité et de démocratie par l’usage des moyens dont dispose l’Etat pour çà. En vertu de tout çà, la langue privée est plus qu’admise : elle est nécessaire dans le fait qu’elle participe à la culture vivante de la société. Il en est toujours ainsi de nos jours : toutes les langues et dialectes locaux sont reconnus par la République mais ne sont pas des vecteurs officiels. Le seul étant le français. (il n’est même pas sur que le dictionnaire de l’Académie soit celui qui est officiellement reconnu par l’Etat -quant à la grammaire ….).

    Alors, après cette “prise de tête”, vive l’individu, vive l’argot, vive les Bons Psys du DocBibi, vive le langage et les mots. Ces beaux, ces grands, ces gros, ces mots fins, illusoires, enfantins, volatils, porteurs ou égoïstes… vive les mots inventés, les mots Dali, les mots durs, les mots pour rire, les mots jargons pour faire semblant, les mots abusés par les politiques. Et que vivent ceux qui ne peuvent pas les dire. Nous les dirons pour eux. Que Mieux vous garde, les mots de France. Que Mieux vous poursuive ‘comme un mendiant sous l’anathème’. Longtemps.

    1. Nicole

      J’adore !
      Il faut écrire vos productions Hervé, faites profiter l’humanité de votre prose inspirée, à la fois pleine d’humour, de réalisme et d’à propos incontestable !
      Ça fait du bien ! Merci

  5. heliotrope

    des mots que j’emploie, pour moi, pour l’autre,

    les mots qui blessent le lien :
    les mots qui tuent
    ceux qui méprisent
    les mots qui trahissent
    les mots qui font taire
    ceux qui te donne une bonne ou une mauvaise note
    les mots qui comparent
    les oui mais
    les mots qui coupent, qui tranchent, qui rejettent
    les mots qui te font un procès d’intention
    les mots ironiques
    les mots qui disent : tais-toi
    les mots qui disent : je sais
    les mots qui trichent
    les mots qui disent : je dois, j’aurai dû, je devrai
    les mots qui disent : il faut, tu dois
    toujours
    Non, jamais

    ne pas s’en vouloir,
    juste prendre conscience des effets sur la relation avec soi, avec l’autre
    et choisir sa préférence !

    les mots qui vivifient le lien :
    les mots qui ruissellent
    les mots qui bénissent,
    les mots qui honorent
    les mots sur la pointe des pieds
    les mots qui proposent
    les mots doux
    les mots poétiques
    les mots amoureux
    les mots qui hésitent
    les mots qui encouragent
    les mots qui disent : je te vois
    les mots qui ne savent pas
    les mots d’humour sur soi
    les mots je t’aime
    les mots vrais
    les mots qui disent : j’ai besoin, j’ai envie, je préfère,
    c’est comme ça pour le moment
    Oui d’accord
    et merci

  6. blutch

    Trouver les mots… Ça me rappelle un jeune schizophrène qui arrive en criant au CMP, avec un bandeau autour de la tête et qui se tient le crâne. « j’ai l’impression qu’on m’arrache le cerveau, j’ai mis ça pour qu’il ne sorte pas ! ». Je suis assez décontenancé dans un premier temps puis une sorte de jeu de mots me vient à l’esprit « Quelqu’un vous prend la tête ? Si on en parlait ? ». Une demi-heure après, le cerveau avait réintégré sa place, sans médicaments ni hospitalisation. Il y a parfois des intuitions, sorties d’on ne sait où, qui font mouche.

  7. Daisy

    Bonjour-nuit,et bien voici que je ne dors pas encore cette que dis-je ces fichues maladies qui m’empêchent de dormir, je veux parler du trouble Borderline et de la cyclothymie l’un dans l’un c’est merveilleux pfff,merci pour votre beau blog cher monsieur Baptiste et merci pour cette note,j’ai découvert votre blog chez ma copinaute Chaourcinette,bien à vous

  8. Herve CRUCHANT

    des mots
    comme des murmures musiques
    pleins de mmmmm
    moi maman miel même
    mamour maintenant

    des mots
    comme des chats
    chuintés chabada chair
    chère choupette
    chaleur

    des mots
    comme toi
    toit touat taktagada
    turlututu
    tou toudoulou
    loulou
    louloute

    des mots chats
    des mots doux
    des mots bleus
    des mots amour

    des mots toi.

    plein
    partout
    je te vois…

  9. Muriel

    parler le langage du patient.. c’est d’abord en prendre connaissance. L’identifier. On ne peut pas parler une langue qu’on n’a pas apprise. On apprend en écoutant. On repère les expressions, on les répète. Et ça résonne.

  10. Herve CRUCHANT

    @Muriel… il est des langages innés… regards…une main qui se tend “Alors vous ne serez plus jamais triste” (sic) … j’t’aim’ toi tu sais … avec les millions de tout petits micro-signes qui soignent déjà…

    le tout premier contact soignant – soigné ; pour le soignant, c’est le premier regard qui ‘flashe’ l’individu et scanne son portrait de patient, renseigne parfois plus que le reste de la consultation… mais, pour le patient qui vient délivrer un message pas toujours clair et clairement conscient, c’est la première vue du faciès du soignant qui lui dit le degré de difficulté qu’il va avoir à se mettre au bon niveau d’écoute; le patient doit séduire, avant tout… les premières minutes sont des restitutions de choses apprises “bonjour docteur…et ben voila…l’autre jour—gna-gna-gna…” et puis, si ‘çà marche’, alors le contact s’établit vraiment… langue innée langue acquise ? les deux ? pas que de la technique, heureusement. de l’humain.
    heureusement.

    1. Nicole

      Tout juste ! J’en reviens à des commentaires antérieurs sur l’apprentissage de la communication … Ne vont s’y intéresser que ceux qui sont déjà “des communicants”… Et comme on ne sélectionne pas les étudiants sur cette capacité, certains deviendront médecin sans être jamais des communicants …!

  11. Myriam FdF

    La maladie… le mal a dit…
    Mettre des mots sur ses maux, ce n’est pas toujours facile. Entendre et comprendre les mots qui parlent des maux, quel défi pour un soignant.
    Un ami médecin m”a dit qu’à chaque consult, il doit être à 200% de ses capacités : 100% pour l’examen médical, 100% pour l’écoute. Histoire de ne rien laisser passer…

  12. Ôde

    Je rêve de rencontrer des psychiatres qui parlent le langage de leurs patients… Récemment, la femme d’un de mes patients a “pété les plombs”… Au point d’être internée sur ordre du maire de sa commune et d’être un soir par les gendarmes… Elle parle aux morts et à des gens qui ne sont pas là, voire qui n’existent pas… Elle accompagne seule son mari (mon patient), qui devient dément suite à plusieurs avc… À l’hôpital, elle refuse de prendre son traitement par voie orale, on passe donc à l’injection… 3 semaines plus tard, on lui dit vous pouvez rentrer chez vous si vous promettez de prendre votre traitement (elle ne le prend déjà pas à l’hôpital, alors on imagine chez elle, seule…). Elle promet… Elle rentre… Son mari rentre aussi, puisqu’elle va le chercher… Je reprends mes séances et je la vois ” remballer” l’infirmière de coordination psy, je l’entends parler à des gens qui ne sont pas là… Jusqu’à ce jour où je vois son mari avec la moitié du visage défiguré par un coup… Hein mon chéri tu t’es cogné !?… Oui ma poule, oui, si tu le dis… Puis son chéri qui me dit, quand elle quitte la pièce, vous savez madame, les coups, avec le temps on apprend à les encaisser… Alors je pars et j’ai peur… J’appelle la psychiatre, elle n’est pas disponible… Je vais à l’hôpital psychiatrique directement, je lui explique que j’ai peur pour lui, pour moi aussi (on parle ici de paranoïa et de mythomanie : si elle a été internée, c’est parce que sa voisine a dit à l’hôpital qu’on pouvait l’emmener pour faire des tests de médicaments sur elle… Mais ils se sont trompés de voisine, c’était l’autre, la plus jeune qui aurait dû y aller…). La psychiatre me reçoit elle n’a pas revu sa patiente depuis plusieurs semaines, elle a des compte-rendus par l’infirmière… Je lui dis que ça devient difficile pour moi d’accompagner, de “porter”… J’y vais 1 à 2 fois/semaine… Et là, du haut de ses 10-11-12 ans d’études elle me répond ” mais enfin madame, vous ne portez rien !!” sur le ton du “je suis médecin et vous n’êtes rien… Je continue à y aller, je continue d’avoir peur pour mon patient, beaucoup… pour moi, un peu… Mais j’y vais, parce que je ne veux pas lire un jour dans le journal qu’une femme a tué son mari dans un accès de folie et que rien n’a été fait parce que personne ne savait… Quant à cette psychiatre, elle n’a toujours pas revu sa patiente et cette histoire date de Noël…

  13. nerosmama

    n’oublions jamais la souffrance, qui est le lot de la maladie mental et il n’existe pas de paracetamol pour l’âme…….jamais, ni dans le délir le plus exuberant, ni dans la manie la plus fascinante, ni dans la plainte et dans rien de la maladie mental jamais il n’y a absence de souffrance. respectons ca….et vous les futures/déjà médécins n’ayez pas peur, ni de la maldie mentale ni des malades…c’est ne sont que des êtres humains en souffrances comme des autres
    merci anna

  14. Nicole

    La souffrance, elle ressemble à l’indéfinissable. L’indéfinissable, les scientifiques, les médecins, l’Homme en général fuient cet état. Alors pour dompter cela, une des inventions de ces 15/20 dernières années a été de demander au patient de l’exprimer sur une échelle !! Rassurant une échelle ! Ça a des degrés bien réguliers et un début et une fin !! Fini l’indéfinissable ! On décide que pas de douleur c’est “zéro” et une douleur insupportable maximum, c’est 10 ! Alors on demande de donner une note entre 0 et 10…. Avez-vous essayé de vous l’appliquer la dite échelle ? Marrant à faire ! C’est complètement irréel et surréaliste. Sur des douleurs que l’on peut supposer de même intensité, un doigt coincé dans une porte, une douleur dentaire sur fracture de dent etc… Vous aurez des avis différents en fonction des individus, ce qui me semble parfaitement admissible. Jusque là, rien ne m’inquiète. Là où l’inquiétude m’envahit, surtout lorsque je suis contrainte d’y avoir recours en tant que soignant, c’est d’appliquer un protocole thérapeutique précis à partir d’informations foireuses ! Et de donner xmg de morphine de tel chiffre à tel chiffre et de recommencer 5 ou 10 mn plus tard sur un nouveau chiffre sur l’échelle etc…. Flippant et peu convaincant ! Alors j’ai toujours un peu “triché” et bien que demandant de bouger le signet sur la réglette, je me fiais aux traits plus ou moins crispés, au regard plus ou moins fixe et/ou incaptable etc… des petits signes persos… Mettre la douleur en chiffre quand elle est psychique, ça n’a pas encore été fait…. mais les inventions rassurantes qui font entrer les “choses effrayantes” dans des moules, l’être humain sait bien faire. Ça rassure, quand une étiquette est posée et lorsqu’elle donne un cadre à l’indéfinissable, quel confort pour le soignant.
    Une glycémie à réguler, on écrit un protocole, oui ! C’est rassurant et efficace.
    Une douleur, il faut la calmer c’est évident mais rassurer le soignant avec un protocole basé sur une échelle subjective, chapeau aux soignants que ça rassure.

  15. Rodjeur

    Bonsoir-jour.
    Je ne suis pas médecin, même pas dans le domaine de la santé. Pourtant, j’ai parfois l’impression de soigner ou d’aider à soigner les gens…
    Mon domaine, c’est le travail. L’inspection du travail. Je suis à l’accueil général d’un gros département et je reçois tous les usagers. J’ai parfois besoin de leur poser quelques questions pour mieux les orienter. Je n’ai parfois pas besoin de leur en poser; les mots fusent.
    Un jour, une dame, jolie rouquine aux grands yeux bleus me raconte qu’elle a été virée par son employeur, venu de Paris exprès pour ça, sur une table dans le café d’à côté de sa boutique.
    Je m’exclame, étonné, révolté et la dame continue.
    En l’écoutant, mes yeux dans les siens, j’imprime un ticket pour la diriger vers le service renseignement juridique et la dame continue à me raconter son désespoir, sa rage, sa haine, ses boules de mort d’être traitée comme un pion.
    Ses yeux se remplissent de larmes qu’elle essuie et qu’elle retient.
    Je pose ma main sur la sienne, posée sur la banque entre elle et moi et je lui dis qu’elle a le droit de ne pas être superwoman, qu’elle a le droit de se sentir dépassée par les événements, qu’elle a le droit d’être en colère, et qu’elle a le droit de demander de l’aide.
    Nous, ici, allons l’aider à s’en sortir. On ne va pas résoudre ses problèmes, mais on va lui donner les billes pour le faire.
    Elle me dit en souriant qu’elle pleure parce que je l’écoute et qu’elle n’a pas l’habitude.
    Là, je prends conscience qu’elle m’en dit énormément sur elle. Je n’ose imaginer son quotidien de silence et de surdité face à elle…
    J’ai envie de la prendre dans mes bras et de lui faire un câlin. Un câlin thérapeutique, qui réconforte, pas un truc sexuel ! Mais la banque d’accueil entre nous m’en empêche. Et ça ne fait pas très professionnel de faire des câlins à ses usagères…
    Elle me remercie, prend le ticket et, avec un sourire un peu timide, part vers les collègues qui vont lui dire ses droits.
    Un moment plus tard, elle revient vers moi avec un grand sourire sur le visage.
    Elle me remercie de l’avoir si gentiment reçue et de l’avoir écoutée.
    J’ai une collègue à côté de moi, qui vient de me relever le temps de ma pause.
    Elle lui explique que je lui ai fait un bien fou rien qu’à l’écouter. Et elle se remet à pleurer en disant qu’elle n’a pas l’habitude qu’on l’écoute…
    J’ai constaté, depuis, que les gens sont énormément en demande d’être juste écoutés. Sans forcément attendre des explications, des retours autres que silencieux, non verbaux.
    Mais ça m’a foutu un peu les jetons quant à la société dans laquelle nous vivons où certaines personnes sont tellement peu écoutées que ça les fait pleurer lorsqu’on les traite comme des êtres humains…
    Putain, que le monde du travail peut être cruel !!!

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