Archives mensuelles : décembre 2012

Une petite lacheté matinale.

Photo : Tunnel of Love, Kleven, Ukraine. Merci Alli !

Alors voilà Mr A., 18 ans, conducteur malheureux. A gagné l’EuroMillion des fractures.
Son corps est comme un sac à osselets qui fait “Drelin-Drelin” quand on le secoue.

Il sera opéré dans la matinée.

L’infirmière de nuit :

– Il veut son portable, pour appeler sa copine. Il est perdu. Il ne sait pas… Il me dit : “Heureusement, j’étais seul dans la voiture.” Tu te rends compte ?

Non, grande duduche, je ne me rends pas compte. Personne ne peut.

– Tu veux aller le voir ?
Moi, noyant le poisson :
– Il est stable ?
– Oui. On attend le feu vert du bloc. Tu veux le voir ?
Décidément celle-là, quand elle tient un morceau…
– Non. Pas ce matin.

Je ne veux pas aller voir Mr A., 18 ans, chambre 2, au fond de son lit, conducteur du véhicule.

Mr A. qui fait “Drelin-Drelin” quand on le secoue et qui répète au personnel : “Heureusement, j’étais seul dans la voiture. ”

L’amnésie des faits -commune chez le traumatisé crânien ou le syndrome post traumatique- n’empêchera jamais qu’à 18 ans il n’y a pas d’autre amour que le Grand Amour, même si celui-ci ne dure jamais très longtemps…

Sa copine, la passagère du véhicule, 17 ans, est morte sur le coup.

Je suis vraiment stupide de conduire au dessus des vitesses autorisées, je veux dire : je suis VRAIMENT stupide de conduire au dessus des vitesses autorisées.

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Sexuel Panda.

(Anecdote racontée par D., IMG s’essayant au Diplôme Universitaire de Sexologie : juste Merci.)

Alors voila Mme et Mr H., 28 ans, qui consultent pour des troubles de la procréation :
Mon ami D. :
– Bien, quelle est la fréquence de vos rapports sexuels ?
Mr. et Mme H. :
– Pardon ?
– Combien de fois faites-vous l’amour en moyenne par semaine ?
– Heuuuuu…
– Par mois ?
– Heuuuuu…
– Par an ?
Mr. et Mme H, soulagés :
– Environ une fois.
D., se retenant :
– Et vous n’arrivez pas à avoir d’enfants ?
– Ben non.
D., pince-sans-rire, très professionnel :
– Une fois par an… on va commencer par travailler ça…

J’aime bien les anecdotes de mon pote en sexologie, je veux dire : j’aime VRAIMENT les anecdotes de mon pote en sexologie.

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Comment je me suis fait un ami pour toute la Vie.

(Pour les Internes en Médecine Générale)

Alors voilà Mme T., 58 ans, cancer du sein stade terminal (sans déc : faites vos mammos les filles). Elle demande et n’attend pas grand chose. Elle aime juste regarder “Des Jours et des Vies” le matin. Choix discutable mais bon… je mets ça sur le compte des métastases cérébrales…

Depuis deux jours, la TV ne s’allume plus.
L’infirmière :
– J’ai appelé la technique : sa famille n’ayant pas payé, ils ne remettent pas la TV tant qu’elle n’a pas payé.
Le technicien, au téléphone :
– Je veux rien savoir. Pas payé, pas de TV.
Moi :
– Allez, quoi ! Sa famille paiera plus tard.
– Aura la TV plus tard alors.
– Sera morte plus tard. Combien ?
– 8 €.
Je descends, avec des envies de meurtres, jette 10 € au mec.
– Ça fait deux euros de monnaie. Gardez-la. Vous vous achèterez des couilles ou un cœur.
Là -je ne sais plus- j’ai peut-être dit un mot très vulgaire (pardon maman) et fait une prière au Dieu des Armes à Feux avant de claquer la porte.

A l’Hôpital, on sous-traite la TV avec des entreprises privées. Un jour on sous-traitera l’Humain, le Sacré, le Mystère. Pourtant, une femme qui meurt, c’est Humain, c’est Sacré, c’est Mystérieux. Même -surtout- devant “Des Jours et des Vies” : on sait qu’il lui en reste si peu.

Je n’aime pas le technicien TV de l’hôpital, je veux dire : je n’aime VRAIMENT pas le technicien TV de l’hôpital.

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La dissection romantique.

Alors voilà Mr. Y., 86 ans, qui vient pour une douleur thoracique. Bon examen, bonne échographie, bon diagnostic, mauvais pronostic : jamais vu quelqu’un aussi heureux d’apprendre qu’il a une dissection aortique non opérable.

Il sourit. On lui explique “en gros” comment son aorte peut s’ouvrir à tout moment et vider son jus dans l’abdomen et il sourit. Je demande aux infirmières s’il ne serait pas un peu dément. Elles ne savent pas. Il est là, sur son lit, presque content.

Sa fille au téléphone : non Mr. Y. n’est pas fou, oui il a toute sa tête.

Voulez-vous savoir pourquoi il n’a pas l’air abattu ?

Mr. Y., 86 ans, est resté un peu jeune homme : il est amoureux.
64 ans de mariage, sa femme est morte il y a 9 jours.

Et moi, pauvre ingénu qui m’inquiétais pour rien, alors que je viens juste de lui apprendre que son deuil n’allait pas durer trop longtemps.

J’aime bien comment la Mort est parfois tendre avec les vieux amoureux, je veux dire j’aime VRAIMENT comment la Mort est parfois tendre avec les vieux amoureux.

“Beaucoup de gens ne sont jamais jeunes. Quelques personnes ne sont jamais vieilles.”
G. B. Shaw.

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Coup pour coup de théâtre.

Alors voilà Mme T., 87 ans, chute dans les escaliers.
Crac ! Luxation de hanche, réduite aux urgences, une simple surveillance à la maison suffira, imagerie dans quelques jours.

Toute molle dans son brancard, ses deux filles autour et, l’une après l’autre, de dire DEVANT ELLE d’un ton catégorique :

– On va PAS la garder ! On a des choses à faire… Vous pouvez pas nous la prendre ?

J’hésite entre les gifler ou leur dire que l’hôpital public n’est pas un hôtel. Au final, je me tourne vers Mme T., et lui demande si elle a mal :

– Oui.

Comme je ne sais pas si elle parle de la hanche ou du cœur, et que je ne peux rien pour le cœur, je lui ramène un antalgique et me bats pour lui trouver une place dans les étages.
Même dans le plus petit service du plus petit hôpital public, je trouverai des aides soignants et des infirmiers mieux outillés pour la compassion que les filles de Mme. T.

Je déteste les familles qui ont “des choses à faire” quand l’un des leurs est malade, je veux dire : je déteste VRAIMENT…

( Deux jours plus tard, dans le couloir : une des filles de Mme.T.
Elle m’arrête, a senti mon trouble l’autre jour, elle m’apprend comment leur mère les a percluses de coups pendant des années.)

J’aime la première phrase d’Anna Karénine, je veux dire : j’aime VRAIMENT la première phrase d’Anna Karénine.

“Toutes les familles heureuses se ressemblent ; chaque famille malheureuse est malheureuse à sa manière.”
L. Tolstoï, Anna Karénine.

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Le tour de magie.

Alors voilà votre serviteur. Fin de garde : mal aux jambes, au dos, peine de cœur, pas mangé, pas bu, j’ai un rhume (avec ces morveux y a moyen de crever 440 fois).
J’entre box 4 : petite Lily, 4 ans, avec sa mère.
– Bonjour, je m’appelle B. Je suis interne, je vais examiner votre fille.
La mère, griffes sorties, bave aux lèvres :
– 3 heures qu’on attend ! Vous êtes des incapables ou des fainéants ? Même en Chine on n’attend pas comme ça. Et ils sont un milliard, les chinois ! INADMISSIBLE !

Je jette mon stétho, m’écroule sur le tabouret, ferme les yeux, bouche mes oreilles, pense à mes jambes, mon dos, ma peine de cœur et dit :

– Je vois rien, j’entends rien. Je vais me lever, reculer, passer la porte, la fermer avec mon coude pour être sûr de garder mes oreilles bouchées. Je ferai six tours sur moi-même, j’ouvrirai les yeux, déboucherai mes oreilles, rouvrirai la porte. Je me présenterai, vous aussi. CORDIALEMENT. Sinon je recommencerai. Jusqu’à avoir un sourire…

Je sors à reculons, tourne six fois sur moi-même -regard ahuris de l’équipe- puis je re-rentre dans le box :

– Bonjour, je m’appelle B. je suis interne, je vais examiner votre fille.

Et là, chose la plus charmante au monde : Lily m’applaudit, croyant que c’est un tour de magie ! Sa mère rit, s’excuse, je m’occupe de Lily, elle ira mieux, moi aussi, tout est bien…

J’adore comment les enfants sont vierges de la petite violence quotidienne des adultes, je veux dire : j’aime VRAIMENT comment les enfants sont vierges de nos petites violences.

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Darwin à rebours.

Alors voilà Mr. R., 24 ans, aux Urgences, avec sa copine. Fracture du boxeur, terme utilisé devant le patient. Entre nous : fracture du c..n.
Pourquoi ? Laissons la parole à Mr. R. : “j’étais vénère, j’ai tapé le mur”.
Tout un programme…
Parions que le mur se porte mieux que la main droite de Mr. R…
Dans leurs regards, ce je-ne-sais-quoi qui vous rappelle que si les Hommes descendent du singe certains ne demandent qu’un coup de pouce pour y remonter très vite.
On posera une attelle et c’est BiBi qui s’y colle.
Le jeune, pendant que je m’en occupe :
– Sinon faut faire des études pour être médecin ?
BiBi, décontenancé par tant de candeur :
– Un petit peu.
Lui, très sérieusement, sans réfléchir, vers sa copine :
– Vendeuse à Pimkie c’est pas top, tu veux pas faire médecin ?
Et là, messieurs, mesdames, je vous demande d’applaudir la plus belle réponse du monde :
– Je sais pas trop…
Court, concis, un peu vague. Elle “sait pas trop”… MAGNIFIQUE !

Je ne dis rien, ne ris pas, n’esquisse pas même le commencement du début d’un sourire. Je reste très sérieux, BiBi est professionnel.

J’adore mon métier, je veux dire : j’aime VRAIMENT mon métier.

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