Merci !

Premier prix Littéraire. Joie. Émotion.

Et dire que je fais tout ça pour mes parents (ça l’alcool, la drogue et le sexe, mais principalement pour mon père et ma mère qui savent combien le chemin fut difficile). 

Merci à vous, aussi, sans qui rien ne serait possible,

PS : je vous aime. 
Baptiste Beaulieu
  

La femme qui se trouvait trop vieille pour ce boulot.

Dorénavant, je mettrai des “triggers warning” ou TW, pour avertir du sujet et que les lecteurs concernés par le sujet du post puissent passer leur chemin s’ils le souhaitent.


TW : médecine légale (certains détails peuvent choquer.)

Alors voilà, le 8 janvier, à 12 h 57, elle m’écrit :

<< Ce matin certificat de décès, elle s’appelait madame Delande. Leçon d’amour, de dignité et d’humanité dans cette famille. Son fils faisait les soins d’hygiène et caressait le visage de sa mère. J’ai géré, mais j’ai pas pu enchaîner sur une consultation normale. Madame Delande avait huit jours de moins que moi …>>

Je lui réponds :

<< Ohhhh… (smiley qui pleure) >>

Le 3 mars, à 22 h 23, elle m’écrit :
<< Appel de la gendarmerie pour constat de décès, personne ne veut y aller. Malgré mon âge presque canonique, j’accepte; un grand portail marron, fermé, pluie fine, il est 20 heures, déjà… Deux jeunes et charmants gendarmes. Ils m’attendent dans le froid sous la bruine pour ” retourner ” le corps du présupposé (mais bien réel) mort qui ne répondait plus au téléphone : présentable de dos, mais de face… Gros trou de dix cm à la place de la trachée et du sternum, et gros trou axillaire et costal droit … Je fais mon Expert à la campagne : la mort remonte à plusieurs jours, j’dirais huit, mais les experts gendarmes estiment trois-quatre jours. Moisissures sur le pantalon, rigidités cadavériques calquées sur les parpaings sur lesquels il est tombé et il a… mon âge ! Né en 1947 !  Merde ! Ce sera Whisky en rentrant ! Et comme il a un gros trou au sphénoïde droit, ce sera autopsie pour monsieur… !!! >>

Je lui réponds :

<< Ohhhh… (smiley qui fait la tête) >>

Le 4 mars à 13 heures 45 elle m’écrit :

<< J’ai jamais eu ça à faire en 34 ans ! Et ce matin une autre gendarmerie voulait que je vienne pour un constat j’ai dit que j’avais eu ma dose hier soir… Les gendarmes se sont donnés le mot : la canonique docteur M. est disponible sur le marché des constats de décès ! >>

Je lui réponds un laconique : 
<< Courage ! (smiley qui embrasse )>>

Et hier, à 23 heures 12, elle m’écrit :

<< Conclusion du 8 janvier : je revois le veuf de madame Delande, pleine d’empathie et de compassion…… et il me demande une ordonnance de Viagra !!!!! La vie continue et j’ai un métro de retard… Je suis trop vieille pour ce métier ! Biz >>

Alors voilà, docteur M., je voulais vous dire beaucoup de choses. Vous remercier pour nos échanges (enfin, vos messages et mes smileys). Et vous dire aussi (et mes lecteurs se joindront à moi je n’en doute pas) : tenez le coup ! Ce n’est pas vous qui êtes trop vieille, c’est la condition humaine qui est trop… humaine ?

Je sais pas trop, les philosophes débattent encore sur la question. Je vous aime bien, docteur M.

(Smiley en forme de licorne)

Ah.

(Photo ci-dessus : Lison, 24 ans, partant faire ses courses à Auchan)

TW : suspicion attouchement sexuel



Alors voilà, la petite Lison a 4 ans, sa mère me dit qu’elle fait beaucoup pipi et que ça la brûle. J’élimine une infection des reins, mais elle a les organes génitaux externes légèrement enflammés. 

– C’est le petit voisin, ils ont joué tous les deux, explique la mère très naturellement.
Silence. Je dis alors cette phrase qui restera gravée 1000 ans dans les annales du discours soignant-soigné, et que j’ai empruntée à Victor Hugo, Shakespeare et Ernest Hemingway :
– Ah.
“Ah” pour : qu’est-ce que je fais ? Y-a-t-il une sexualité chez les enfants de quatre ans ? J’ai pas étudié ça à la fac. Est-ce que je dois en parler avec la mère ? Est-ce que je dois m’assurer que c’est bien le petit voisin qui a joué et pas… quelqu’un d’autre ? (je dois arrêter de regarder New York Unité Spéciale…). Est-ce que la mère se rend compte que jouer à touche-pipi ne provoque pas des rougeurs de la vulve comme ça ? Et qu’est ce que j’en sais d’ailleurs, moi ? J’ai pas un diplôme de << médecine légale mention spéciale touche-pipi >> ? En même temps, la petite a une infection urinaire, c’est possible que ce soit inflammé à cause de ça ? Et comment je peux savoir si elle était d’accord pour jouer ? Si j’en parle à la petite, comment ne pas tourner ça en drame ? La sexualité, c’est souvent un joyeux bordel chez l’adulte, alors j’ai pas envie d’imprimer dans son identité en construction une culpabilité vis-à-vis du sexe ! À cause d’un jeu avec son voisin ! Est-ce que je fais un signalement ? Est-ce qu’elle était consentante ? Est-ce que cette question a un SENS entre gamins de 4 ans qui jouent naïvement ?
Bref, je flippe, et quand je flippe, immanquablement : fugue psychique. Tout à coup, me voila 20 ans dans le futur : Lison a 24 ans, elle est une jeune avocate dynamique, encartée au Nouveau Parti de Droite (anciennement nommé Parti Socialiste). Lison achète régulièrement des vêtements trop petits en se disant qu’elle les mettra plus tard quand elle aura perdu quelques kilos en trop, Lison oublie parfois sa pilule en se disant que c’est pas si grave, et Lison croit sur parole les agents immobiliers qui prétendent que “la rue est calme”.
Bref, Lison est un être humain normal. 
Là, il est 18 heures, Lison boit un mojito avec des amis à la terrasse d’un café, rit, les quitte, rentre dans son appartement bruyant (bravo l’agent immobilier !), monte trois étages, prend sa pilule (bravo Lison !) ouvre un frigo, attrape trois côtelettes de porc, puis descend jusque dans la cave de son immeuble enfiler un tablier de boucher “Made In Moldavie”, avant de fouetter violemment un homme nu attaché à une table en criant : <<Tiens voilà ! Je te fouette tout nu avec des côtelettes de porc et sans ton consentement parce que le mauvais Docteur Beaulieu n’a pas su comment bien réagir il y a 20 ans six mois et douze jours lorsque j’avais joué à touche-pipi avec Corentin ! Voilà ! BIM ! Merci Docteur, d’avoir ruiné mon enfance ! CHLAK ! >>
Et elle fouette.
De cela il ressort :
1/ j’ai un métier compliqué,
2/ j’arrête définitivement de regarder “True Détective”,
3/ j’espère sincèrement qu’elle deviendra végétarienne.
PS : je le précise pour m’éviter une perte d’énergie supplémentaire dans les commentaires : Lison va très bien.
(Pour l’instant. Rendez-vous dans 20 ans pour un deuxième avis.)

Photo ci-dessous : Lison, 24 ans, fêtant son anniversaire au Marineland d’Antibes.

  

Inde. 

Cher(e)s toutes et tous,

je viens d’arriver en Inde, invité par l’Ambassade de France et le Consulat pour une conférence au grand Collège de France, puis je rencontrerai les élèves de l’Alliance française de Bangalore, avant de repartir à Pondicherry rencontrer les élèves de l’Alliance Française de Pondi, puis aussi vous donner des nouvelles des orphelinats que je soutiens financièrement grâce aux ventes de mes livres (infos ICI).

Hâte.

Paix et harmonie, et paillettes !

 🙂
Baptiste Beaulieu

  

La lumière, l’été, l’hiver.

Pour Catherine B.

Alors voilà, quand elles entrent, ça se met à sentir la confiture d’abricot dans le bureau. L’image qui me revient en écrivant ça c’est “la femme et l’enfant sont entrées comme si elles poussaient l’Été devant elles”.J’ausculte les poumons de sa fille, la femme la tient par devant, enfouissant son visage dans ses cheveux, fermant les yeux, entrouvant la bouche, hébétée, ivre un peu de l’odeur de l’enfant, du contact de l’enfant, de la chaleur de l’enfant. Je pense : “Peut-on manger quelqu’un par amour ?” parce que l’enfant, elle, parait si courte, si… fine… je crois qu’elle pourrait tenir debout dans mes mains sans me fatiguer…

Tout à coup, j’ai un léger mouvement de recul : je viens de surprendre un minuscule pertuis directement relié à son estomac.

– Anorexie, dit la femme d’un ton léger, comme elle aurait dit les mots “coeur”, “pétunia” ou “nuage dodu”. 

– Anorexie ?

– Oui, depuis qu’elle est née.

– Mais… comment ?!?

Je balbutie. Mes yeux grands ouverts confessent à cet instant une absolue ignorance à ce sujet. 

– Elle a pas faim… Les médecins savent pas pourquoi… Elle boit pas, non plus. Je lui donne l’eau directement par la gastrotomie. Parfois, je tente de l’éveiller aux goûts… Sucré, salé, etc. Mais non. Y a que le miel. Ça, ça passe de temps en temps…

Et la femme replonge son visage dans les boucles blondes de sa fille, la renifle, la sent, pourrait faire sa toilette à coups de langue, comme les chattes, ou lui mâcher la viande si cela permettait à la petite de manger de la viande. Elles sourient, gloussent, se vautrent dans une joie qui n’appartient qu’à elles. Sans doute ces grands sourires-là naissent comme les grands levers de soleils : des nuits les plus profondes.

– Le plus dur, c’est le jour de son anniversaire, dit la femme.

– Pourquoi ?

Elle hausse les épaules. 

– Ben j’aimerais lui préparer un gâteau d’anniversaire !

– Ah oui… Un gâteau… Je suis bête… Et vous, le moral ?

– On va bien. On gère.

– Vous avez un peu d’aide ?

– Son père est parti il y a longtemps. On est que toutes les deux, mais on est une équipe. Hein, ma chérie ?

Les yeux clairs de l’enfant captent toute la lumière du cabinet. 

– Oui, maman, une super équipe. 

L’enfant serre la femme et la femme étreint l’enfant. Je crois qu’elle pourrait la nourrir comme ça, par convection de chaleur humaine : <<Tiens, enfant, voilà toute la tendresse du monde, je te la fais passer dans le sang… Là… Tu sens ? Je te la donne de haut en bas, je te la fais monter à la tête, je la verse dans ton petit corps vide, comme on verse ces vins chauds à Noël, ceux avec des épices et des couleurs de pierres précieuses.. >>

Est-ce que ça existe, les vases communicants d’amour ? Il y a des rayons de soleil dans mon appartement. Parfois, ils paraissent tellement compacts qu’on jurerait pouvoir les tâter à pleines mains, y grimper même, s’y suspendre tout entier tête en bas. L’eau, le sang, tout ce qui déborde du coeur… peut-on le rendre solide pour mieux le recueillir, puis mieux l’offrir aux autres ?

Je ne sais pas.

La femme et l’enfant… J’ai refermé la porte du cabinet sur elles.

De leur départ, le seul souvenir qui me reste c’est moi en train de me retourner vers mon bureau. Il m’est apparu si sombre ! J’ai dit tout haut : << Ah tiens, c’est vrai, on est en hiver…>>

Quelques minutes durant, je crois que j’avais oublié.

——-

(Je réponds à tous vos mails. J’ai plus ou moins un an de retard… Désolé pour ça, j’espère que vous ne m’en voulez pas, je ne sais plus où donner de la tête…)

“On les emmerde, Louise.”

Texte et photo de Caroline Boudet. 

Alors voilà. Epaule contre épaule avec sa collègue, face à moi, elle maintient tranquille ma fille d’un an pendant qu’une de ses congénères tente de trouver une bonne veine pour la perfusion. La blouse ne semble même pas me voir alors que seule la largeur d’un lit pédiatrique nous sépare, elle et moi. (Moi, c’est la maman de la petite fille qui est en train de morfler au milieu, sur le lit en question ; en attente d’une bonne veine pour y faire couler l’antibio qui va la soulager. Elle, derrière son masque, c’est une blouse. Je sais ni la couleur, ni le grade, je m’en fous. Quand on est du côté patient, désolée, mais une blouse, c’est une blouse. Ce qui importe, c’est que ton enfant arrête de pleurer.) Blouse la maintient, la regarde, et dit à sa collègue :    << On l’a déjà vu, cette petite, non ? Oui ? Je suis pas sûre. Non, la dernière fois, c’était aussi une petite trisomique mais… Oui, une petite trisomique, mais plus petite. Oui, la petite trisomique. Je me souviens.>> Ce n’est pas fait exprès pour être méchant, mais c’est encore pire. Je pourrais lâcher mon bébé, relever la tête, et lui cracher dans le masque : « C EST pas une petite trisomique. C’est une petite fille. Et elle est porteuse de trisomie. Comme dit la chanson, c’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup, rigolo non ? Tu veux qu’on chante ? » En trois mots, en parlant de sa patiente comme d’un objet qui ne serait pas là, elle a cassé toute ma confiance. Plus que son masque elle a mis un mur entre elle et nous, entre mon bébé et tout ce qui porte blouse. Je pourrais lui sortir ma diatrible. Lui dire que si elle, tout ce qu’elle voit c’est un chromosome en plus, pas banal, moi je sais les sourires, le caractères, les progrès, les douleurs, les câlins qui se cachent derrière ce chromosome. Je devrais, une fois de plus, expliquer qu’elle ne soigne pas des Clio ou des Polo, qu’un patient n’a pas de problème de joint de culasse et qu’il entend quand on parle de lui. Mais Louise pleure, a mal, ça me tort le ventre et je veux que ça cesse, alors je me penche juste sur elle et lui glisse dans l’oreille : « on les emmerde, Louise ».
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Quand j’ai reçu le livre de Caroline Boudet  “La vie réserve des surprises“, j’ai été bouleversé par ce qu’elle dit de l’amour et des Hommes. Je lui ai demandé de m’écrire un texte, pour participer à ce blog, pour réconcilier les soigné(e)s et les soignant(e)s, pour faire bouger les lignes sur notre vision de la trisomie et des êtres humains qui, directement ou indirectement, y sont confrontés.
<< C’est l’histoire d’un bébé qui arrive pas du tout comme je l’imaginais. L’histoire d’une enfant que j’ai peur de ne pas savoir aimer, d’un chromosome en plus qui vient tout fausser, de ce que je crois être une fin mais qui n’est que le début, d’une autoroute qui devient chemin de montagne juste après un virage serré, du regard des autres que j’apprends à amadouer, de mes propres stéréotypes qui explosent en plein vol. Oui, ça parle de trisomie 21, mais pas que. Y a des blouses de partout, de toutes les couleurs, plus de stéthoscopes qu’il en faut pour une seule vie, des méchants et des gentils comme dans les dessins animés de notre enfance. Y a même Voldemort et une patineuse artistique. Du suspense ? Oui, du suspense… Trop de suspense, même. En revanche, je te casse le dénouement : la petite ne guérit pas, elle reste comme « ça ». Mais c’est quand même elle qui gagne à la fin. >>
Caroline Boudet. 

Les pudeurs impudiques.

(photo : Kumi Yamashita)

(Pour le texte d’aujourd’hui, tout commentaire déplacé finira immanquablement dans ma poubelle, avec mon smoothie fraise-banane périmé et la boîte de thon de midi. Bisous.)

Alors voilà, elles sont arrivées, elles étaient trois, elle portaient de longues robes, et un voile qui faisait ressortir l’ovale de leurs visages très pâles.

J’ai tendu la main, pour les saluer, mais je n’ai rencontré que le vide et leurs sourires, gênés. J’ai eu cette réflexion idiote : << Pourtant, elles portent des gants ! >>

Les deux plus âgées avaient 40 ans, la plus jeune 16. C’était elle qui avait mal au ventre. Je l’ai installée sur la table d’examen, dans la salle d’à côté, j’ai commencé à lui poser des questions. Puis j’ai écouté son cœur, puis son thorax.

Poumon droit.     Poumon gauche.

J’écoutais les gargouillis de son estomac, quand j’ai senti une présence derrière moi : les deux tantes, penchées au-dessus de mon épaule, scrutant chacun de mes gestes. Une gêne s’est installée, un silence assourdissant plein de sous-entendus.

Palpation : épigastre, loges rénales, hypogastre. Flanc droit. Flanc gauche. Zone péri-ombilicale. 

Et les regards des deux tantes, réprobateurs, suivant le trajet de mes mains comme on surveillerait un présumé voleur à l’étalage devant une pyramide de pommes. 

Je sais que cela peut paraître étrange, ou prétentieux, mais en 10 ans, j’ai toujours réussi à cloisonner. Les patients qui passent sous mes mains ont des sexes, bien sûr, mais un sexe “médical” (là, il faut visualiser un tiroir en bois de cerisier ouvrant sur des diagrammes, des examens, des pathologies, et des questions clés à poser absolument.)

Jamais je n’avais pensé que j’étais un homme et que mes patientes étaient… autre chose que des patientes. PAS UNE FOIS. Je ne sais pas pourquoi elles ont fait ça. Je ne sais pas. Toute la journée, j’avais le coeur au bord des lèvres. J’arrêtais pas de penser et repenser à ce qui s’était passé : est-ce que j’avais fait une erreur ? Est-ce que j’avais eu un comportement équivoque ?

Je me sentais sale, et j’en ai voulu à ces tantes d’avoir mis de l’impudeur dans la pudeur, de la sexualité dans << l’examen sémiologique d’une algie en fosse iliaque droite. >>

Qu’est-ce que j’aurais dû dire ou faire ?

Je ne sais pas. Ne pas me taire, peut-être. Je n’ai pas osé parler : d’habitude, je suis plutôt quelqu’un de pudique.

Des gens pas comme les autres.

Alors voila, ce matin, grâce à l’association Sparadrap, j’ai compris que, quand l’infirmière tape la main d’un enfant pour faire apparaître les veines, l’enfant retient juste qu’on le tape. << Alors que je n’ai pas fait de bêtises. >>

Ce matin, j’ai entendu un enfant me dire : << Pourquoi, quand j’ai mal, on me dit “Chutt” ou “ça va aller” ou “mais non, mais non” ? >>

Et je n’ai pas su répondre. 
Ce matin, j’ai entendu << Et pourquoi ils sont entrés dans ma chambre cette nuit ? >>

Parce que tu avais de la fièvre.

<< Ils m’ont fait peur. Ils sont entrés dans ma chambre mais moi je dormais bien et ils ont commencé à me faire des trucs. J’aurais voulu qu’on m’explique avant de me toucher. Je ne veux plus être surpris comme ça.>>

Ce matin, j’ai compris que les enfants préfèrent savoir qu’ignorer et préfèrent anticiper qu’être pris au dépourvu. 
Ce matin j’ai appris que dire à un enfant “c’est pas grave” avant une prise de sang est injuste et idiot. C’est son sang, sa douleur, son ressenti. C’est donc à l’enfant de décider si c’est grave… Ou pas !

Parce que << c’est un morceau de moi qu’ils ont emmené. >>
Ce matin, j’ai appris que j’avais beaucoup à apprendre sur les enfants, que les enfants n’étaient ni plus bêtes ni moins compréhensifs que les adultes, mais que les enfants sont… des enfants. 
Merci aux travailleurs/travailleuses de l’association Sparadrap

L’enfant qui rêvait.

Témoignage de L., orthophoniste. Si vous voulez raconter : écrivez-moi ICI

<< Alors voilà, c’était il y a longtemps, je m’occupais de Kévin, 8 ans, il avait des troubles du langage écrit et oral… J’ai compris que c’était une famille avec un très faible niveau socio-culturel. Je soignais dans le Nord de la France, petite ville avec un taux de chômage de 20%…

Je me souviens, à la fin de la première consultation, je vais avec le petit dans la salle d’attente chercher sa mère pour lui faire un retour de séance. J’ouvre la porte et me trouve nez à nez avec un clochard. Je m’apprêtais à lui demander ce qu’il faisait là quand Kévin s’est jeté sur lui.

“Papaaaaaaaa !!”

Je me suis sentie très bête…

Lors de la deuxième séance, on travaille les champs lexicaux et le vocabulaire :

– « Où achète-t-on du pain, Kévin ? »

– « Chez Liddle !! »

– « Oui et aussi chez le b…….. (un ange passe) bou – lan –ger. 

– « Où achète-t-on de la viande et des steaks hâchés, Kévin ? »

– « Chez Liddle !! T’sais, j’ai déjà mangé du pâté avec de l’alcool et ben j’étais même pas bourré !!! ».

– « Oui et aussi chez le b…… (un ange passe) bou – cher. »

On passe en revue d’autres articles jusqu’aux bonbons… Et là ! Grande révélation pour Kévin !

– « Les bonbons c’est au restaurant !!! »

– « Ah bon, tu es sûr ??? »

Le petit, avec des étoiles dans les yeux :

– « Oui, d’ailleurs papa il va toujours au resto le jeudi, et après ils nous ramène les bonbons… »
Je n’ai compris que bien après le départ de Kévin. Le resto de son père… C’était les Restos du Cœur… J’avais le cœur serré. Je n’ai jamais oublié ce patient. >>

L’homme qui divague.

L’histoire c’est F., orthophoniste. Si vous voulez raconter, c’est ICI.

Alors voilà Edmond. Tu vois, Edmond était prof d’histoire et de géographie, dans le temps. Maintenant, il a le cheveu qui se clairsème et les dents qui se font la malle. Il est un peu mou, tout avachi dans ses gilets en laine. Il n’est pas d’une élégance folle, mais sa bonhomie est contagieuse. C’est un vieil homme qui rayonne.

Je lui offre le café systématiquement, parce que c’est un vrai bonheur de le voir siroter sa tasse avec une mine gourmande. A part pour le café, je crois qu’Edmond ne voit pas trop pourquoi il vient en orthophonie : quand j’essaie de toutes mes forces de lui faire faire des exercices, il essaie de toutes ses forces de digresser. Je le laisse palabrer, il a du talent. Formidable conteur, l’Edmond. Il me raconte des petits morceaux de l’Histoire des Hommes, ceux qu’il a vécu, ceux qu’il a enseigné. Ça se mélange, parfois. Il se régale, se frotte doucement les mains. Parfois, aussi, il s’enflamme et se met à faire de grands gestes et à parler fort. Il est beau, Edmond, quand il s’enflamme. C’est rare et délicieux, un vieillard passionné, on dirait un enfant excité qui se demande comment il en est arrivé là…

Seulement voilà, je ne le vois pas pour le plaisir, Edmond. Je le vois parce que sa mémoire est un bateau à la coque ébréchée, et qu’on me paye pour écoper autant d’eau que possible, reculer le naufrage à plus tard, grignoter du temps au temps qui reste… Alors je culpabilisais un peu de me laisser divertir par mon patient, tu vois. Mais aujourd’hui, en me disant au revoir, Edmond s’est tapoté la tempe du doigt, en me disant d’une voix serrée: « C’est bien, de parler avec vous. Parce que c’est pas facile tous les jours là-dedans, vous savez… »

En réalité, il semblerait qu’Edmond voit très bien pourquoi il vient en orthophonie. Et peut-être que le laisser magnifiquement digresser c’est le plus gros de mon boulot finalement.

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PS : Je serai au salon du livre d’Hiver ce dimanche à Montgiscard près de Toulouse. Venez me voir, je serai le type avec les cernes et en surpoids.