“L’écrivain vivant”.

En deux jours, j’ai rencontré 1300 lycéens qui ont choisi mon second roman -Alors vous ne serez plus jamais triste- pour lui remettre le prestigieux “Prix Méditerranée des lycéens”. Des jeunes géniaux (z’ont voté pour moi ! 😂) qui m’appelaient “Monsieur” et m’ont offert des cigarettes dédicacées (photos) en disant “on est vachement contents de rencontrer un écrivain qui soit vivant !”Mais surtout je retiendrai leurs dizaines de lettres de remerciements, expliquant combien mon livre les a touchés/émus/amusés et fait vagabonder leur imaginaire. 

Merci à eux. 
PS 1 : je verserai les 3000 € du prix aux deux associations que je soutiens. L’orphelinat Karengal et l’association “Volontariat Pondicherry”. Vous trouverez ICI les infos pour aider ces associations. 
PS 2 : spéciale dédicace à cette jeune lycéenne, émue aux larmes, toute tremblante, qui m’a dit au micro : “Au début, votre héros a envie de mourir, mais reprend peu à peu goût à la vie. Qu’est-ce que vous conseilleriez à une jeune qui pense comme lui ?”

Le président Dalida, Bataille et Marx sont dans un avion…

AVERTISSEMENT : on parle de Georges Bataille (et donc de pratiques sexuelles bizarres).



Alors voila, je suis dans l’avion -un vol de 8 heures- en train de lire COSMOS de Michel Onfray, et je viens de tourner la page 360. Ça parle Droit des animaux, tauromachie, etc, quand je décroche à la description de Georges Bataille se masturbant sur la dépouille de sa mère (vers la page 361, et oui…). Je referme le livre, essaie de dormir, pense à Georges, me réveille, change de position. Pas de bol, je suis tombé sur une voisine pour qui la ligne partant de notre accoudoir au siège devant est une ligne Maginot. Bataille de coudes, je la laisse gagner. Je m’assoupis, pense à Georges, encore lui, à sa maman, pauvre mère. Une hôtesse arrive, allume les lumières : Y aurait-il un médecin, s’il vous plait ? crie-t-elle.

Je me lève, peu sûr de moi (faudra que je vous parle de mon complexe d’imposture, un jour).

« Nous allons garder les plafonniers éteints et faire le moins de bruit possible » , m’avertit l’hôtesse, en écartant les rideaux donnant sur la première classe.

Là, je comprends : pourquoi demander en première classe s’il y a un médecin quand on peut réveiller les 250 gueux de la classe économique ?

<< Il ne faut pas déranger les passagers en classe Madras >> précise-t-elle, et je hoche la tête en songeant combien Marx aurait kiffé cette phrase.

En première, ça roupille sec. Champagne et petits fours. Obscurité et tranquillité. Madame Beauvisage, 82 ans, sur son siège, suante et palpitante. Hyperglycémie. Son mari lui tapote la main en chuchotant « Ça va aller mon amour, ça va aller, mon amour ». J’essaie d’examiner dans le noir et le silence total. Voulant vérifier ses pupilles, je sors mon téléphone sous le regard inquiet de Monsieur Beauvisage, « Ça va aller, mon amour », j’ouvre l’écran, fais glisser le tiret du bas vers le haut, me trompe en voulant appuyer sur l’icône « lampe torche », et là… Parmi TOUTES les musiques, mon iPhone choisit celle-là… il choisit vraiment CELLE-LÀ !

« Ciao amore » , Adieu mon amour.

De Dalida.

Adieu mon amour, quoi !

DALIDA ! (Ne me demandez pas pourquoi j’ai ça dans ma playlist, je ne sais pas – et je nierai tout).

J’essaie d’arrêter la musique, me trompe, verrouille mon écran, refrain, « adieu mon amour » , l’hôtesse sourit comme un robot, les gens se réveillent en maugréant, monsieur Beauvisage tapote et murmure, « Ça va aller mon amour », refrain, « Adieu mon amour », JE souris comme un robot. 

D’habitude, j’aime les synchronicités, elle me font dire que je suis au bon endroit au bon moment de mon existence. Là, j’aurais voulu être partout, mais ailleurs.

Vingt minutes plus tard, je retourne sur mon siège. J’ai laissé Onfray ouvert sur ma tablette, bien en évidence. Georges et l’histoire de sa maman, ça calme.

Je reprends ma lecture « le rapport Kinsey estime à 6 % le nombre d’êtres humains ayant eu un rapport sexuel avec un animal ».

Je lève la tête, regarde les 250 passagers :

Qui ? 

Et avec quoi ?

Sur le coté, ma voisine me sourit et s’écarte : la philosophie est aussi utile qu’un pet dans un ascenseur bondé. 

Le voyage va être long.
PS : en vrai, j’ai peur en avion, et Dalida est le seul truc qui m’apaise. Ça et le lexomil. Surtout le lexomil, d’ailleurs. Dalida le sait bien, elle.

Témoignage, partie 1.

Il y a quelque semaines j’ai demandé si certain(e)s d’entre vous aviez déjà été discriminé(e)s à cause de votre poids. J’ai reçu environ 1200 témoignages (avalanche, BIMMMMMMM! dans ma face). Ainsi, le dernier jeudi de chaque mois pendant 4 mois, je publierai un post en rapport avec ça, parce que le monde du soin (et le monde tout court) a un problème avec les “gros(ses)”. Pour témoigner, c’est ici

Témoignage :
Elle me dit qu’elle a toujours été plus ou moins en surpoids, parfois cela était gérable, parfois non.
En 1997, elle avait 36 ans, elle était enceinte. Sa première grossesse.

Un grand ponte, spécialiste de l’amniocentèse de la clinique de X. à Paris :

“Merci de ne pas bouger. Déjà pour atteindre le liquide amniotique, avec votre masse de graisse, ça ne va pas être simple…”

Voilà. Le ponte était réputé pour son accouchement sans douleur, mais elle n’avait pas accouché, qu’elle avait déjà mal. Les réputations…

Elle me dit qu’elle n’a pas su quoi répondre : elle était enceinte, sensible. Trop. Au monde, aux autres, à son corps en train de changer. Elle en a versé des torrents de larmes.

Aujourd’hui, à 54 ans, elle vit seule.

“Je mesure 1,70 m pour un quintal. L’horreur…” me dit-elle.

Elle a bien réussi à perdre 30 kilos il y a une dizaine d’années, mais elle a tout repris.

Elle me dit qu’elle a un boulot de merde, qu’elle est graphiste indépendante. Son fils est majeur, elle n’a même plus l’obligation de l’amener à l’école. Elle ne marche plus. Stressée par le travail, elle se lève et se met directement à son ordinateur pour 12 heures d’affilée en moyenne. “Une vie de merde quoi…”

Ce poids la handicape, la peur la handicape, le jugement des autres la handicape. “Comment refaire ma vie ?”

On a beau lui dire qu’elle est belle, ce ne sont que des paroles.

Sa vie amoureuse ressemble au désert de Gobi.

Un jour, elle s’inscrit sur un site, rondetjolie.com.

Une cata.

Les hommes inscrits pensent que sortir avec une “grosse” doit être plus simple et qu’elle devrait s’estimer heureuse que quelqu’un daigne s’adresser à elle, voire même “aller plus loin”.

Bête et méchant.

“Et puis c’est se cataloguer, se mettre dans une case, alors que je suis une personne comme une autre…”

Sur adopteunmec.com, elle tombera sur un type. L’air gentil. Ils décident de se voir et de dîner ensemble. Et bien qu’il n’ait parlé que de lui au restau, il lui demande de l’inviter chez elle. Elle, pensant lui plaire, acceptera.

Après un flirt légèrement poussé, il doit partir.

Le lendemain, elle recevra ce texto :

“J’ai passé une super soirée, mais puis-je te dire quelque chose, si tu me promets que l’on restera amis après, parce que je t’adore ?”

Oui, vas-y… dit-elle.

Sa réponse :

“J’ai été trompé sur la marchandise…”

Elle envoie bouler le type, puis pleure une heure durant, non pas parce qu’il y avait des sentiments ou je ne sais quoi, mais parce qu’elle s’est sentie conne, vraiment conne. Pourtant, elle avait bien mis sa taille et son poids sur son profil… Alors ? Culpabilité d’être ce qu’elle est.

“Diabétique, hyper tension, je fais ce que je peux avec ce que j’ai. Pas évident tous les jours. Pour être sincère, je pense que les hommes – dans la plupart des cas et sans faire de généralités – vous diront toujours que ce qui compte, c’est la personnalité, l’âme, le mental… Mais dans la réalité, c’est le physique.”

Elle me dit que, la cinquante passée pour une femme, c’est plus que “casse-gueule”.

Elle n’y croit plus.

Les “tu as un charme fou, tu es sensuelle, gnagnagna”, c’est du vent.

Elle devrait sortir plus, elle sait. S’occuper plus d’elle, elle le sait.

Mais il arrive un moment où l’on ne croit plus en rien.

“Plus rien à foutre de la bêtise crasse de certains hommes.”

En plus de tout cela, me dit-elle, elle s’appelle Aïcha, “genre de prénom à coucher dehors avec le bordel ambiant.”

Mais le moral est là et c’est le principal.

Tenir, c’est déjà tenir bon.

La part des anges.

(aujourdhui, je relaie l’histoire de JL, collègue infirmier)

Alors voilà… Mme L., une vieille dame adorable, est morte. Avec une infirmière et un collègue élève infirmier nous sommes chargés de faire sa toilette mortuaire ; à 20 ans et sans grande expérience du corps humain, de la mort, et du “corps humain mort”, ce n’est vraiment pas facile à assumer, autant dire que nous étions tous les trois pour le moins « tendus » (si tu changes quelques lettres à tendus tu obtiens “complètement désemparés”). Devant la porte de la chambre, une dizaine de personnes, sombres et graves, la famille qui, voisine de l’hôpital, est déjà là… Une pression supplémentaire dont nous nous serions bien passés.

Nous nous enfermons donc avec ce corps froid et blanc, TERRIBLEMENT froid et blanc, et commençons en silence à exécuter notre triste besogne dans un silence morne et solennel. Tout à coup, lors d’une manipulation difficile (la dame pesait vraiment, mais alors vraiment très lourd), le corps émet « un vent » aussi bruyant que malodorant ! Un énorme, énorme pet !

Et là, tout s’accélère …

Nous sommes pris d’un effroyable et inextinguible fou rire, à la hauteur de la tension qui pesait sur nos jeunes épaules et accentué par la présence de la famille derrière la porte, à moins de 5m de nous, ce genre de rire salvateur, qui préserve un peu de l’absurde, tragique et effroyable condition humaine. Très vite, l’infirmière, les deux mains crispée sur le bas-ventre, sent que sa vessie va lâchement l’abandonner. Vite, vite ! Elle doit sortir, les mains plaquées sur le visage et le corps secoué de spasmes ! Et se précipiter vers les toilettes devant la famille interloquée !
Après de longues minutes de récupération, nous terminons enfin notre travail et faisons entrer la famille, qui remarque nos yeux rougis et larmoyants mais ne fait pas de commentaire.

Deux jours plus tard, nous sommes tous les trois convoqués chez l’infirmière générale qui, à l’époque et pour nous, était une sorte de « Dieu le père » en blouse blanche. Nous nous doutons bien qu’il y a un rapport avec cet incident et c’est avec anxiété que nous pénétrons dans son bureau. Avec cérémonie, elle entreprend de nous lire une longue lettre de la fille de cette patiente décédée : une véritable déclaration d’amour et de reconnaissance à notre égard, intarissable sur nos qualités d’empathie et de compassion ; << …combien nous avons tous été particulièrement émus par les sanglots de l’infirmière et les larmes voilées des infirmiers ! Pour ça, merci. Merci infiniment. >> signait la fille de Mme L.

Lorsque, après les félicitations d’usage de la part de “Dieu le Père”, nous sortons de ce bureau, le même fou rire nous reprend et, cette fois-ci, je crois que l’infirmière n’a pas le temps d’arriver aux toilettes…

——–

Note : Je viens de recevoir le très beau Prix Méditerranée des Lycéens pour mon deuxième roman ! 65 lycées, 2100 lycéens qui choisissent parmi 5 finalistes. Et ils ont choisi “Alors vous ne serez plus jamais triste”, aux éditions Fayard. Ce qui est génial, avec les lycéens, c’est qu’ils ne trichent pas : s’ils n’aiment pas ton livre, ils ne te choisissent pas. Je voudrais les remercier eux, ainsi que le comité d’organisation (imaginez distribuer 5 romans à 2500 lycéens dans 65 lycées…)

Et merci à André…

Dédicaces en Martinique. 

Photo : navette spatiale quittant la Terre. Ça fait relativiser les soucis quotidiens. 

Je serai samedi, de 10 h à 16 h, à la librairie Kazabulle au 135-137 rue Lamartine à Fort de France. Hâte de rencontrer mes lecteurs Martiniquais. Bonne journée à tous 🙂

Baptiste.
PS : je supprimerai ce message, mais cela s’est décidé en urgence et je voulais avertir les lecteurs qui name suivent pas sur Facebook. 

Une (banale) histoire de maltraitance(S).

Texte envoyé par une patiente (j’ai laissé tel quel). Je relaie ce texte de femme, car nous sommes tous concernés. Tous. La maltraitance médicale, c’est ça. Il faudrait que TOUS les étudiants dans les métiers du soin lisent ça. À partager. Nous traitons avec des âmes qui ont un corps, pas avec des corps sans âmes. 
Merci à C. (je n’ai pas mis de photos, parce que j’ai pas de mots devant ce qu’elle raconte…)

Alors voilà, c’est l’histoire d’une naissance et d’une séquelle, c’est l’histoire d’un corps, et des regards que l’on porte dessus, c’est l’histoire de mots que l’on entend pas, c’est l’histoire d’un homme et de femmes…

Ce 24 Mars 20xx, j’ai accouché d’un beau petit gars, 3,980 kgs…. Primipare, désir d’accouchement naturel, l’emmerdeuse au projet de naissance, pas vraiment soutenue, qui, après s’être rendue à la maternité a 1h du matin et errée dans les couloirs de la maternité pendant plusieurs heures sous les regards « rigolards » du personnel qui me disait, « alors, toujours pas de péri ?» , ben si… Une naissance belle, simple par rapport à tant d’autres (même si baisse de tension et hémorragie), mais un sentiment amer d’une dépossession de soi, de ce moment.. Je ne voulais pas d’épisio, je sais, c’est con, ça pourrait se déchirer, jusqu’à l’anus, jusqu’au périné…. Mais j’en voulais pas… on m’ a pourtant coupée, sans m’avertir, sans me demander, sans m’en parler… il m’a coupée comme un découpe un bout de steack à l’heure du déjeuner…. Cette épisio a eu du mal à cicatriser, des douleurs, des oedèmes, lorsque je m’en plaignais pendant les soins à la maternité, les aides soignantes me disait de ne pas faire ma « chochotte »…. Souffre, mais fais-le en silence s’il te plait… déni de mon corps, déni de ma douleur… douleur pour uriner, l’horreur d’imaginer aller à la selle pour la première fois depuis ce changement de corps..un interne a cependant compris, m’a donné une poche de glace à appliquer, pour le diminuer, ce satané oedème… j’avais une trompe d’éléphant gelée entre les cuisses, mais j’avais un beau bébé en bonne santé contre mon sein…

Une sortie de mater, s’asseoir à la maison sur une bouée, c’est marrant la bouée quand on a 26 ans et qu’on sait nager… ça tire pourtant, ça brule, ça gène… Mais bon, il paraît que c’est normal, et puis j’ai pas de quoi me plaindre, j’ai un enfant en bonne santé !

Rendez-vous quelques semaines plus tard avec le gynéco. Contrôle de l’épisiotimie :

<< – Douleur ?

– Oui.

– Ça va passer ! L’oedeme s’est bien resorbé, La cicatrice est belle, peut etre un peu serrée, mais ca va aller. >>

Première étreinte, parce que, même si on est devenu papa et maman, une fois que tout redevient un peu normal, on a envie de se retrouver, et puis, malgrè tout, on reste humain… La pénétration est douloureuse, dès les premiers mouvements, elle s’emplifie, terrible, inonde mon corps entier d’une douleur indescriptible… Culpabilité, serrer les dents, ne pas crier… faire un effort, il paraît que c’est normal la première fois après une épisio, un peu comme un nouveau dépucelage ? Mais mon mari, c’est pas un rapide, il veut faire les choses bien, lentement, il prend son temps, moi, je rêve que ça s’arrête, m’agrippe aux oreillers… il prend ça pour du plaisir, mon mâle. Et soudain, les larmes coulent, je ne peux pas, je m’écarte, lui demande pardon, pardon de ne plus être celle qu’il aimait, pardon de ne plus pouvoir partager ce plaisir…

Nous retenterons à plusieurs reprises, mais la douleur est toujours aussi intense, aussi envahissante, aussi déchirante… Quelques semaines plus tard, je revois l’obstétrictien qui m’a recousue, je lui fais part de mon malaise, de ma douleur… il dédramatise, et me dit, « Vous inquiétez pas, on reprendra cette épisio a votre prochain accouchement ! » Mais mon grand , tu n’as pas compris ! Je ne m’appelle pas Marie, et pour accoucher, ben faut faire un bébé et ça ne se fait pas par le nombril !

À plusieurs reprises dans les mois qui suivent, je reviens dans ce petit hopital où je ne suis pas écoutée… jusqu’au jour ou, par un beau mois de mai, une interne m’examine, et lorque je lui parle de mes douleurs, de mon absence forcée de vie sexuelle, de ce sentiment de honte… se met à regarder d’un peu plus près… et appelle ce fameux obstétricien, mon grand boucher…. Après une discussion -à laquelle je ne suis pas conviée- il m’indique qu’il va m’opérer, “reprendre l’épisio”, qu’il me dit…

Ce matin-là, en juin, soit un an et 3 mois après la naissance de mon fils, je rentre à l’hopital en gynécologie… douche de bétadine, charlotte sur la tête, brancard, nue sous ma blouse…. Salle d’opération… Ça doit se dérouler sous anesthésie locale… L’équipe se prépare, je suis là, installée, pattes écartées, les gens s’affairent autour de moi, ça papote, ça rigole aussi…Moi je suis terrifiée… Il entre ,mon boucher, il entre, et sort sûrement d’une opération, enfin, je le suppose, et peut-être au fond de moi, l’espère, car il est là, à tourner dans cette salle, torse nu, torse poilu, et moi pattes écartées, avec mon sexe exposé…. Il est là et je ne peux plus l’écouter, je me renferme dans ma bulle, je vois ses poils et je voudrai juste m’enfuir.. il met une blouse et s’installe….. entre mes cuisses…. Une femme s’approche de moi, me parle. A-t-elle compris mon angoisse ?…. Elle s’asseoit à mes cotés, me prend la main, je m’excuse doucement…. Je demande à l’homme au ciseau ce qu’il fait… Besoin de me rassurer, de savoir, de comprendre, « va t’il recouper au même endroit ? Comment cela se passe ? Est-ce qu’il comprend pourquoi j’avais mal ?» il me demande de me taire, de le laisser travailler, que je l’embête avec mes questions sans arrêt… je serre un peu plus fort la main qui me tient, la serre à la broyer, et pleure, doucement, tout en m’excusant, doucement… à cette femme qui est à mes cotés.. elle me sourit, essuie les larmes qui ruissellent… Condamnée au silence, je ne peux que pleurer…. Je ne mesure pas le temps, juste ce sentiment de dépossession, encore…. Ce sentiment d’un corps objet, ce sentiment du regard d’homme sur mon corps meutri… Il a fini, il semble fier de lui… et s’en va… je suis rentrée, ai retrouvée ma copine la bouée… Mais une épisio, sans nouveau-né, ça fait pas trop dans les clichés…. Les gens ne comprennent pas forcément, et on a pas non plus envie d’en parler, hein…

Je n’ai jamais pu savoir pourquoi cette épisiotomie avait dû être reprise… je n’ai jamais compris les mots qu’avaient utilisés cette jeune interne pour faire comprendre mon mal, pourquoi….

Depuis, j’ai eu un autre enfant, une poupette, née en 2009…dans un autre hopital…. Toujours l’emmerdeuse au projet de naissance…. Aux premières contractions, un souhait de ne pas me presser, d’attendre le dernier moment, de profiter du calme de ma maison, de me respecter… un bain, un bon livre, mon ballon d’accouchement, des chansons, de la musique, le calme d’une nuit de novembre au coin du feu…Une arrivée tardive à la mater, à 7 doigts ! Une sage femme à l’écoute, encourageante, et respectueuse…. Une poupette arrivée 1h après avoir passée la porte de la maternité, sans péri, mais… coupée…..

Alors voilà, 3 épisiotomies et deux enfants… une douleur dans les chairs que je porterai toute ma vie… Des séances d’osthéopathie ont un peu amélioré, mais la zone reste très sensible… Mais je n’en parlerai plus…. Car la douleur est à présent intériorisée… on sert toujours un peu les dents au moment des rapports… l’alcool aide aussi, permet de s’évader et de mieux se détendre… ben oui, une épisio peut nous mener la… C’est con, je trouve, mais voila….

L’homme qui se prenait la tête.

Par contraste avec le post de la semaine dernière, j’ai voulu donner la parole à Philippe Aïm, psychiatre, psychothérapeute, formateur, auteur de Ecouter, Parler: Soigner. Guide de psychothérapie et de communication à l’usage des soignants.” aux Editions Vuibert-Estem. Parce qu’il pense que mieux communiquer peut changer le monde et qu’être optimiste est un choix des plus raisonnables, il est, avec Martin Winckler, une grande source d’inspiration.

Alors voilà Arthur, le patient, et puis moi, il y a…longtemps (non je ne suis pas vieux !) : un bébé docteur en psychiatrie, fasciné, et Arthur, 22 ans, des yeux marrons et une maladie qui s’appelle la schizophrénie. Ça c’est son « diagnostic ». Lui, il a du mal à l’admettre (« mais non c’est juste que des fois je me prends un peu la tête… »). 

Oui, mais bon, il a des hallucinations, parle à des voix que nous n’entendons pas. 

 

Parfois, ça fait marrer des copains quand je leur parle de mon métier. Mais s’ils voyaient Arthur dans ses moments- là, ils verraient que ce n’est pas drôle. Du tout. Qu’il a peur. Terrible. Tellement, que parfois il explose, il se « prend la tête » avec ses parents. Ça tourne au drame. Violent, certains jours.

 

Alors on l’accueille, on l’écoute, on lui trouve un traitement qui diminue ses angoisses. Mais impossible de lui parler de sa maladie : « c’est bon, vous me prenez la tête ! ». 

Qu’importe, il va mieux. Il sort de l’hôpital et je le revois en consultation. 

 

Essayer, l’aider à comprendre, lui parler plus tranquillement de la schizophrénie, pour qu’il sache, qu’il comprenne… Mais rien. Impossible. On parle de beaucoup de choses, mais jamais, jamais, jamais, je ne lui ferai pas parler des hallucinations ou de la maladie.

 

Puis, un jour comme un autre, il entre. Je lui demande comment il va et il me dit, comme souvent : « Bah, comme d’hab. Mais je me suis un peu pris la tête… ».

Et là, l’éclair. Je lui demande : « Et ces prises de tête, elles se sont manifestées comment ? »

Et il me parle, et nous parlons, dans sa langue, enfin. Son monde n’était pas fait de symptômes et de syndromes, mais de « prises de tête ». Des prises de tête qui parlent, des prises de tête qui ont des formes, des couleurs, qui font peur, qui lui font péter des plombs… des prises de tête que personne ne comprend…

 

Erickson disait « parlez le langage du patient ». C’étaient de beaux mots. Là, je vivais réellement ce que ça améliorait dans notre relation. Ce qu’une phrase lui permettait de dire, d’envisager, de décider par lui-même.

Il fait partie de ceux qui m’ont donné envie d’écouter plus attentivement, de parler plus précisément et d’apprendre à d’autres comment le faire le plus humainement, respectueusement et efficacement possible.

La honte.

(petit coup de gueule, pardon. Je précise que tous les établissements psychiatriques ne sont pas comme celui-ci, mais que certains le sont. Et c’est intolérable.)




Alors voilà, cela faisait cinq ou six ans que je n’étais pas entré dans un hôpital psychiatrique.Je gare ma voiture. Les nuages sont bas, lourds. J’entre. Murs écaillés, lépreux. Plusieurs portes, sales, couvertes de brûlures de cigarette et de tags obscènes.

De longs couloirs blancs, presque déserts. Une femme erre, par petits pas saccadés, dans une robe de chambre maculée de vomis. Crâne rasé, regard fixe, elle tient dans ses bras une poupée aux cheveux cramés.

L’ami que je viens visiter dort dans une chambre grise, sur un lit métallique gris, dans des draps gris. Il cache son téléphone et son portefeuille dans son slip, sur chaque fesse. Il y a des vols, et les poches des jeans, on te les fait en deux jours, me dit-il.

On sort fumer une clope dans un jardin minuscule, envahi par les ronces et les mégots.

J’ai envie de dire MERDE (pardon). Comment va-t-il aller mieux, mon pote ? Comment chacun des patients ici peut-il aller mieux ? Comment un infirmier ou un aide-soignant arrive-t-il à ne pas se décourager chaque matin, en travaillant dans des conditions pareilles ? Partout où mon regard se pose, c’est sale, triste, suranné. C’est ça, la France ? Si la République a les moyens d’offrir des matchs de foot à 30 000 euros au premier ministre, on devrait trouver des crédits pour nos frères et soeurs souffrant de maladies psychiatriques, non ? Ce sont des êtres humains, avec une dignité, une histoire, une espérance. Ce sont des vies qui comptent…

– À ta première permission je t’emmène à la mer. Ou à la montagne, je lui dis. 

Il faudrait qu’on leur donne de quoi peindre, de quoi faire du sport, et de grandes fenêtres ouvertes sur la nature. Ici, tout est moche, petit, gris, sale, tout crie misère. Il faudrait qu’on leur donne un horizon.

J’ai soigné en Inde, au Vietnam, dans des bidonvilles, des orphelinats et dans des dispensaires du bout du si mal nommé tiers-monde. Je n’ai jamais vu un tel délabrement, un tel abandon physique des consciences. Je suis sûr que si des soignants ou des familles de soignés me lisent, ils comprendront ma froide colère.

– Tu sais, dit mon ami, je suis quand même heureux : il y a un chat de gouttière, il se promène dans le jardin. Je me lève le matin et je le câline pendant des heures.

Silence. Un chat, c’est le seul truc doux, ici.

– Ça m’apaise, ajoute-t-il.

– Je comprends.

C’est faux, je comprends pas. Ou alors si, je comprends trop bien : un matou, ça coute pas cher à la sécurité sociale.

Le jour où je me suis fait un ami pour la vie.

Photo : aucun rapport avec l’article, je voulais juste mettre une photo de moi prouvant au monde entier la présence d’eau sur Mars.

Alors voilà, je venais d’être reçu en deuxième année de médecine, 4 ieme sur 1000 étudiants et je ne me sentais pas heureux. Deux ans de travail, de sacrifices. Je crois que j’étais vidé, complètement vidé. J’avais peur, peur d’être un imposteur, de ne pas mériter ce privilège, d’être mauvais, mauvais médecin, mauvais humain, dans tous les sens du terme. Je faisais semblant et je mentais à tout le monde : << Ouais je suis méga content, tu parles ! Qui ne le serait pas, pffff ! >>

C’est peut-être pour ça que j’ai bu, ce soir-là. C’était une soirée de bizutage, en novembre, et je devais me promener avec une pancarte “Place du Con”, rapport à mon classement : quand tu es quatrième, tu es le con qui a tâté le podium sans grimper dessus. Tout le monde était excité, on avait loué une boite de nuit, avec de la moquette par terre (je compris plus tard que la boite servait de club libertin le vendredi soir, et que la moquette était là pour préserver les genoux des invités ; je laisse votre imagination œuvrer…)

L’alcool coulait à flots, à flots gratuits, mon adolescence avait toujours été très sage, et j’étais un peu malheureux, je crois. J’ai bu. Du Malibu. Je sais pas si l’ivresse révèle vraiment qui on est mais je sais avoir passé la moitié de la soirée à prendre des gens dans les bras en disant “je t’aime, toi” et à galocher la terre entière (12 ans plus tard, je hug mes lecteurs, comme quoi, méfiez-vous…)

À minuit, j’ai voulu prendre l’air. Il neigeait. Je me suis enfoncé dans l’obscurité des jardins qui bordaient la boite, je voulais voir le ciel et la neige. Trente minutes ont passé. C’est O., un ami, qui m’a trouvé. J’étais allongé dans la neige, derrière un chêne. Je dormais, la tête tournée vers le ciel. Et la neige coulait doucement sur moi, comme une couverture blanche, belle, gelée. 

O. m’a traîné dans la boite, a retiré mon tee-shirt, m’a réchauffé en me collant contre son torse, en frottant mes bras, mon dos, mon ventre.

Autour les gens riaient, complètement ivres. 

Histoire de me faire redescendre de mon nuage, et de faire remonter l’alcool, O. a enfoncé ses longs doigts de guitariste au fond de ma gorge et j’ai rendu l’alcool, le froid, la tristesse, les deux ans de sacrifices. 

Je regrette pas cette nuit-là : je ne touche plus au Malibu, je me méfie de l’alcool et des clubs libertins, je sais enfin à quoi sert la moquette dans les boîtes de nuit et j’ai gagné un meilleur ami.

Surtout, j’ai appris à me méfier de mes patients qui répètent avec un peu trop de conviction << Ouais je me sens super bien ! Qui ne le serait pas, pffff ! >>

Bruxelles, Jerusalem, Dieu, les Hommes.

Photo : Benjamin Isidore Juveneton

Alors voilà, je sais pas pourquoi, mais les attentats me rappellent une chose vue à Jerusalem. S’il y a là-bas un spectacle inoubliable, ce sont bien les milliers de minuscules plants de câpriers qui poussent dans les anfractuosités du Mur, autour et par dessus les petits papiers laissés par les fidèles -ces mêmes papiers pliés en quatre où ils confient leurs souffrances, les fameuses “lamentations”.

Les boutons de câpriers ne fleurissent qu’à la tombée du jour.

Ainsi, la nuit venue, les petites fleurs blanches et violettes s’épanouissent, craquellent la pierre, et font tomber au sol ces milliers de minuscules doléances. Le jour se lève, tout se fane, on n’a plus qu’à se baisser pour ramasser fleurs mortes et réclamations. 

Dieu a lu votre plainte, et y a répondu à sa manière : toute souffrance est une graine, qui dans l’obscurité enfante les 1001 couleurs précieuses de l’expérience. 

Ces fleurs violettes, macérées dans du vinaigre, deviendront de délicieuses câpres. Voilà pourquoi, m’expliqua mon guide, les pizzas de Jerusalem ont un goût de larmes inimitable.

Toutes mes pensées à toutes les victimes de terrorismes, en Belgique et ailleurs.