C’est comme ça.

Alors voilà l’autre soir je suis sorti du cabinet et j’ai enfourché mon vélo. Sur la route, une voiture m’a frôlé, j’étais en colère alors j’ai crié au conducteur « Vas-y fais comme si t’étais tout seul, raclure ! ».

Je pédalais, oui, et vite en plus ! J’avais tellement envie de rentrer chez moi ! Un bus a klaxonné : j’étais sur sa voie, oui. J’étais sur sa voie ET j’étais en colère, alors j’ai brandi un doigt, un majeur, j’y peux rien c’est le doigt du milieu, le plus facile à tendre, c’est parti comme ça, et j’ai crié « Va chier ! » 

Je me sentais comme ça :

Plus loin une nana a klaxonné une mamie parce qu’elle ne traversait pas assez vite à son gout.
« Et tu vas faire quoi, imbécile, tu vas l’écraser ?!?!? » j’ai hurlé ça, oui, parce que j’étais en colère, c’est comme ça.

Je suis arrivé chez moi, enfin.
Là, j’ai gueulé sur l’adolescente stupide aux yeux bovins, celle du premier, celle qui fume ses joints dans les parties communes, celle qui laisse les mégots se consumer sur les escaliers en bois de l’immeuble et nous fera tous cramer un jour dans notre sommeil.

J’étais en colère, ce jour-là, je pensais à mon dernier patient. Un type rondouillard, aux joues épaisses et roses, et à l’air gentil, un type qui tenait une petite valise à roulettes et qui sanglotait dans mon bureau. Je pensais à lui et à ce que j’avais noté dans son dossier médical, parce que j’avais résumé « l’irrésumable » dans une seule phrase, parce qu’il y avait tout un roman dans cette phrase, un roman triste, dur, humain, parce que dans un monde juste on ne devrait jamais écrire ça, parce que dans un monde juste les aidants sont aidés, parce que ce soir-là j’ai écrit, oui, j’ai écrit sur un putain d’écran d’ordinateur froid et insensible :

« A quitté le domicile conjugal car ne supporte plus le cancer de sa femme. »


Et la seule chose qui reste, ces soirs-là, ces soirs où l’Amour est défait, où l’espoir fait défaut, la seule chose qui reste c’est rentrer vite chez soi.

Rentrer vite et essayer de faire rire les gens avec mon absence totale de talent graphique.

On n’y peut rien, c’est comme ça.

Le roi de Photoshop.

Alors voilà, mon premier patient vient pour un bouchon de cérumen. Je ne suis pas très réveillé, je fais du mieux que je peux avec la poire, évacuant de son oreille des petits morceaux d’une sorte de craie jaunâtre.À la troisième tentative, je baille, je me demande si j’ai pensé à régler un truc en rapport avec des travaux et une coupure d’eau à la maison (spoiler : la réponse est NON), du coup j’oublie de boucher la sortie d’eau de la poire, je presse et me retapisse la chemise d’une sorte de boue cérumineuse.

 (Vague impression d’être Daryl Hannah dans le film “Splash”). 

 Je suis comme ça : photo 1. 


Dixième patient : un bébé. Je l’examine, on papote avec la mère, ça a dû ennuyer le poupon, qui décide d’uriner sur mon pantalon. Cash.

“Vas-y petit, secoue toi la salade sur Tonton Baptiste, change-toi l’eau des olives sur le Docteur, il ne dira rien, c’est le métier qui rentre !”

 J’essaie de nettoyer ledit pantalon… avec de la solution hydro-alcoolique (mais pourquoi ?) et du septal (?!?!?… je me déteste tellement, parfois).

 Je suis comme ça : photo 2. 


Sortie du cabinet. Flemme de me faire à manger, allons prendre des nouvelles du petit traiteur chinois en bas de ma rue. Dans la queue, le type devant se tourne, se raidit, projette tout le contenu de son jus de lychee sur moi, puis bascule en arrière. Épilepsie. J’attends les pompiers avec lui. 

 Résumons: j’ai sur mes habits, 

 1-Du cérumen

 2-Du pipi de bébé 

 3-Du jus de lychee. 

 Ce ne sont plus des habits, c’est un Jackson Pollock : Photo 3. 


PS 1 : demain, j’amène des habits de rechange. 

PS 2 : OUI, en rentrant, j’avais une coupure d’eau. J’ai nettoyé mes fringues à la main et à l’eau minérale, en éprouvant TROIS sensations bien distinctes :

1- une certaine reconnaissance pour les machines à laver le linge,

2- une infinie compréhension pour les lavandières des temps jadis,

3- un vague (et très fugace) désir de mourir. 
Mais, maintenant, ça va mieux. 

Je suis comme ça : 

PS 3 : une de ces photos n’est pas Photoshoppée. Vous ne devinerez jamais laquelle !

PS 4 : je remercie Mme Marcellin qui m’a posé un lapin au cabinet, me donnant ainsi l’occasion de vous révéler toute l’étendue de mon talent sur Photoshop…

Petite parenthèse.

Coucou, 

Pas de texte ici cette semaine, car j’ai écrit sur un sujet qui me tient à cœur comme cette jeune femme a à cœur de raper ce parmesan (afin de préparer une délicieuse tartiflette au parmesan à sa cousine). 

C’est :

– ICI (pour le Huffington Post)

Ou :

– ICI (pour ceux qui préfèrent Médiapart, chacun sa crémerie, je ne juge pas )





BISOUS et courage (pour ceux qui en ont besoin). 

Victoria, David et moi.

Alors voilà, je vous raconte ce tragique et inoubliable jour qui marquera à tout jamais ma mémoire au fer rouge de la honte.Une patiente m’avait refilé une gastro (je crois que je vois même qui c’est…).

Pour être clair : je vomissais et chiais partout comme une poule, tentant de me consoler comme je pouvais, voyant là une excellente leçon d’humilité quand on a été l’invité, la veille, des cinq dernières minutes du JT de treize heures de France 2.

Malgré tout, me voilà obligé d’embaucher au cabinet (impossible de trouver un remplaçant, je porte des gants, et me drape dans ma vocation). Les heures et les patients me filent entre les doigts. J’ai des crampes d’estomac inimaginables… et de plus en plus besoin d’aller aux toilettes libérer le Kraken (ou, comme disait mamie, faire fonctionner la guillotine à boudin). 

La salle d’attente commence à se vider : je ne peux décemment pas aller au toilettes tant qu’il y a des gens qui risqueraient de m’entendre (ne mentez pas : on a tous eu ce genre de pensées). 

Soudain, ça y est. Salle d’attente vide. Je n’en peux plus… Ne me dites pas que je suis impudique d’écrire sur ce sujet. La vraie impudeur, c’est de cacher le corps et la réalité de ce qu’il est : l’être humain transpire, pleure, vomit, tousse, sent des pieds, et tombe parfois malade. C’est ça l’être humain, c’est pas David et Victoria Beckham, qui ne sont que des produits markétings destinés à complexer les petits garçons nuls en foot (je te hais, David, tu entends ? Je te HAIS !!!) et affamer les jeunes filles qui se trouveront toujours trop grosses, #photosencartonpâtebotoxéàlasaucehollywoodienne.

Je me glisse aux toilettes et là… festival. Libéré ! Délivré ! Je parachute un, deux, trois gothiques, je suis Louis Armstrong à moi seul, festival de saxophone, j’ai une fucking moto dans les fesses.

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*ici, insérez des prouts*

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(Je suis sûr que vous avez ri. C’est indémodable, les prouts, ça faisait déjà rire l’homo erectus dans sa grotte).

Hélas ! Trois fois hélas ! Le dernier patient avait laissé la porte ouverte…

Du coup, trois personnes attendaient en salle d’attente. 

La honte de ma vie. 

Et comme ces patients ne m’avaient jamais vu, et que je les sentais un peu gênés, un d’entre eux me fait, avec compassion et dans une tentative de briser la glace, “Vous savez si le médecin est déjà arrivé ?”
Je n’ai pas su quoi répondre. Mais je crois qu’il existe une dimension, un monde alternatif, où j’ai dit : “Je ne sais pas” et me suis assis à côté d’eux en salle d’attente.
Attendre.
Ce jour-là, j’aurais eu besoin qu’un médecin vienne s’occuper de moi. 
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Photo : L’hiver est rude ! Vous aussi, aidez ce gentil couple de pauvres hères qui n’ont plus rien à se mettre sur le dos en envoyant vos manteaux de fourrure Chanel, Hermès ou Kenzo à l’adresse suivante : 

Bibi Beaulieu

45 rue de la Guillotine à Boudin

33 666 Smecta-Sur-Saône

Le bâtisseur de cathédrale.

Alors voilà, il a travaillé dans le BTP et il a ses deux ménisques pétés à force de poser des bordures de 120 kg.Il m’écrit « j’ai un corps déglingué ».

Il raconte sa sciatique, aussi, et sa capsulite rétractile de l’épaule. 

Sa capsulite ? Le médecin de la sécu estime qu’elle n’est absolument pas liée à toutes ces heures passées à enfoncer 4 000 fiches de 35 cm dans de l’enrobé à coups de masse (3 kg, la masse…).

Il me dit que la seule chose qu’il a réussi à sauver, la seule partie de son corps à ne pas avoir été donnée à la pierre, ce sont ses mains. Il me dit « mes mains ne parlent pas, contrairement aux mains de mes collègues : les coups de marteau, les traces de goudrons… elles crient, leurs mains ».

Il écrit cette phrase exacte : « Ils ont les sacs de ciment qui leur transpirent par la peau ».

Il m’écrit « Moi, ma fierté c’est de pouvoir dire à mes enfants : Tu vois où tu marches sur cette place, j’ai posé le dallage.Tu vois ce bassin d’orage sur l’autoroute, c’est moi qui… »

Parfois, le soir, il leur dit :

« Tu vois la place de la cathédrale de Dax ? J’y ai cassé mon dos deux ans. »

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Il a 43 ans. 

Le compas, le rapporteur, et les prouts. 

Pas de post cette semaine. 

À cause de Facebook (…). 

Pourquoi ? 

Je vois trop d’injustices dans mon métier. Elles me sont insupportables. On me reproche en messages privés d’y parler politique, mais mon métier EST politique. Comment je fais pour m’endormir sans colère devant la violence sociale, la précarité, la détresse morale ou la déchéance des corps ? Comment ? Je ne sais plus m’endormir sans colère…Or, comme je ne sais pas chanter, pas cuisiner, pas monter à cheval, que je n’aime pas le sport, pas les légumes, suis nul en GRS, ne connaît pas mes tables de multiplications et que j’ai un peu de bide, un physique passe-partout, que je danse avec la rigidité géométrique d’un compas et d’un rapporteur, la seule chose qui me reste c’est ma sensibilité, mes romans et mon boulot de médecin où je suis acteur et témoin. 

(bon, je fais aussi très bien les prouts avec la bouche). 

Les temps changent, un vent mauvais se lève et je me refuse à rester spectateur silencieux devant l’effondrement de certaines valeurs que je juge primordiales à mes yeux.

Si je ne ramenais pas ma grande gueule, je me trahirais, et je finirais par devenir une boule de pus avec un stéthoscope qui ne sait pas combien font 7 x 8.

Je tiens à être en accord avec moi-même (en gros, j’écris parce que sinon je suis constipé).
Prenez soin de vous,

Douce et agréable après-midi dominicale.

Une tragédie 2.0

Coucou
Pour les personnes qui ne sont pas sur Facebook et n’ont pas suivi la tempête de merde essuyée ces dernières semaines, j’ai écrit un texte dans le Huffington Post. Il est long, mais il est rédigé avec le coeur et il traite d’un sujet important. 

Je veux bien que vous preniez cinq minutes pour le lire jusqu’au bout et le partager. 

C’est ICI

Je vous souhaite une belle et douce journée.
AUSSI :
J’étais invité de la géniale émission “Grand bien vous fasse” d’Ali Rebeihi sur France Inter. Une heure sur l’écoute médicale.

Ne demandez pas ce que Captain Igloo vient faire ici, je ne sais pas. Je ne sais PAS du tout. 

La femme qui frappait aux portes.

Alors voilà… Madame Martin parle vite, respire vite, existe vite (faut visualiser le lapin blanc d’Alice qui ressasse : “En retard, en retard, je suis en retard !”.) Elle court, avec son caddie vinyl jaune, ses soixante ans et son imperméable à gros imprimés floraux.- J’ai été adoptée. Quand j’avais six ans. Me souviens de rien. C’était l’Algérie, puis c’était la France, puis les années ont passé !
Léger retard cognitif : Madame Martin pense plus jeune que son âge. En elle demeurent le lapin blanc ET Alice.

– Mon père adoptif, Parkinson. Ma mère adoptive, cancer du sein, je crois. Ou alors c’était “un cancer pas du sein, mais un cancer quand même” (sic).

(Là, elle rit très fort).

– Je les ai pas laissés, promis. Jamais. Après tout ce qu’ils avaient fait pour moi… Je me suis bien occupée d’eux. 

Son débit de parole est rapide : il faut bien caler la fierté entre les mots et l’amour entre les lettres, alors elle tasse !

– Maintenant qu’ils sont partis, et que je suis sûre de ne plus les blesser, je peux me consacrer à mes voyages. 

Ses voyages ? Retrouver sa famille. 

En vérité, elle s’appelait Larbaoui avant d’être adoptée. C’est tout ce qu’elle sait sur ses origines. Elle s’est mise en tête que tous les Larbaoui de France sont potentiellement sa famille d’origine. Alors elle les appelle, les uns après les autres. Elle prend le train avec son caddie, et frappe aux portes. Elle cherche. 

– Y en a quelques-uns à Strasbourg. Je vais aller les voir.

L’année dernière, elle a sillonné Paris et Lyon.

Peut-être, un jour, sonnera-t-elle à votre porte ? Sachez qu’elle a attendu longtemps pour vous rencontrer.

J’espère qu’elle vous trouvera vite.

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Je rappelle (internet, je te connais si bien !) que les noms, sexes, âges et données géographiques sont systématiquement modifiés dans mes post.
Enfin, le très bon magazine CAUSETTE me fait l’honneur d’être leur grand portrait de Janvier. Quatre pages (ICI) pour parler médecine, famille, société, et situation des mères célibataires en situation de soin (rapport à mon dernier roman paru en octobre). 
Bonne soirée à toutes et tous…

L’homme qui était chaud-patate.

Alors voilà : patient, 45 ans, refuse de prendre son traitement. Je bataille vingt minutes, lui sors le grand jeu… Il finit par accepter, puis quitte le cabinet en me serrant fort la main et en disant, avec des intonations de VRP et l’air expert :
– Très belle négociation, Docteur.
Là, je suis chaud patate, je me sens prêt pour gérer le conflit israélo-palestinien. 

En plus, mes patients qui me trouvent trop maigre me ramènent des munitions :

Joyeux Noël à toutes et tous, à vos familles et à ceux que vous aimez…
Baptiste

Les bonnes recettes de tonton Bibi (pour un réveillon P-A-R-F-A-I-T).

Ci-dessus : mon idée cadeau, pour un Noël original et hors des sentiers battus. Plus bas, mon idée recette à ne surtout pas manquer !

Alors voilà parfois, je rentre dans les églises aux heures de moindre affluence. Je m’installe dans le coin le moins fréquenté, puis j’enfile mes écouteurs.La musique vient.

Je cherche des yeux quelque chose. Pas les dorures, pas les sculptures. Plutôt le vide, c’est-à-dire tout ce qui n’est pas ni dorure ni sculpture. L’air aussi, peut-être. 

Je croise les doigts, je serre mes paumes l’une contre l’autre, je les tords vers le bas (je n’ai pas la réponse à ça, mais… peut-on prier vers le bas ?!?!) Je pense à des trucs. Très basique. J’ai tellement envie de Paix, j’ai l’impression d’être Miss France. Je ne suis pas chrétien. J’essaie de ne pas être une trop mauvaise personne. J’essaie d’aider. De comprendre. J’essaie surtout de regarder les visages des gens. De les regarder vraiment. 

Là, un type tend ses mains au-dessus des cierges allumés et s’y réchauffe : peut-être que cela ne sert à rien, les cierges… Que nos vœux ne sont jamais exaucés… Pourtant… Moi, j’ai vu un homme s’y chauffer les mains, alors ça doit valoir le coup d’en allumer de temps en temps.

Au dessus de nos têtes, y a des statues avec les bras écartés. On les regarde aussi, et on se dit que la possibilité d’une rencontre n’est pas à écarter, après tout. Peut-être certains y trouvent-ils même des étreintes. Moi, je cherche le vide, mais y a jamais de réponse dedans. Y a rien. Juste de la musique, et seulement parce que c’est moi qui l’ai mise dans mes oreilles. 

C’est peut-être ça, Dieu : la beauté qu’on a soulevée soi-même dans le tissu du silence.

Dieu, c’est la beauté provoquée. 

C’est ce que je vous souhaite pour les fêtes qui arrivent et cette nouvelle année : de la beauté provoquée et des visages entièrement regardés. 

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Nota, n’oubliez pas ci-dessous mon idée recette pour un réveillon réussi et inoubliable. Elle surprendra vos invités et sera l’occasion d’aborder des sujets de société importants, comme la surconsommation d’antibiotiques et ses conséquences lourdes et tragiques en terme de santé publique :