Archives mensuelles : juillet 2016

Le diplômé de la Faculté internationale d’Oesophageologie de Diphtériland

<< Docteur, c’est ma Sonja, ma petite de six ans. Elle ne mange plus depuis une semaine et a perdu deux kilos. Le week-end dernier, elle a avalé de travers. Seulement, y a un an, sa tante, ma soeur, est décédée devant nous d’une fausse route. Alors… Alors…>>

Alors voilà, comme dirait l’autre, viens avec moi, Sonja, je dis en tapant dans mes grosses mains d’adulte et en prenant ma grosse voix de docteur. 

Je fais grimper l’enfant sur la table d’examen. 

– On va regarder si ton œsophage fonctionne bien. Tu vois ce que c’est, l’oesopage ?

– Le chauffage ?

– Non l’oe-so-pha-ge. 

(Que le premier qui a pensé à un jeu de mot avec “l’oesophage central” se dénonce !) Je sors mon stéthoscope, mon otoscope, mon manomètre, tout ce qui, de près ou de loin, est impressionnant pour un enfant de six ans, même les grosses lunettes à sutures (je sens que je regrette déjà la photo…). Le grand jeu, quoi.

Je lui explique ce qu’est l’oesophage. Je teste ses réflexes, lui écoute les poumons, le coeur, lui palpe les ganglions, le bidou. La petite est rigide comme une baguette en bois, très tendue : on sent que le docteur, hein, c’est sérieux.

– Tu vois, là, ta jambe qui saute quand je donne ce petit coup de marteau sur ton genou ? Eh bien c’est un signe qui ne trompe pas : ton œsophage fonctionne parfaitement. Tu ne risques rien si tu mâches et que tu avales lentement. Tu comprends ?

Elle hoche lentement la tête, je retire mes grosses lunettes. 

– Sonja, je suis absolument formel : tout va très bien. Tout. Je suis diplômé de la Faculté internationale d’Oesophageologie de Diphtériland. C’est une Université entre l’Écosse et l’Egypte, quelque part en haut à droite. Tu vois où c’est ?

Elle fait oui de la tête.

– Tu vas manger, maintenant ?

Nouveau hochement de tête. 

– Promis ?

– Oui, monsieur le Docteur.

Ils sont partis. 

J’étais content. Pas content de lui avoir menti, non. D’ailleurs, peut-être que j’aurais pas dû, je ne sais pas. Mais j’étais content du clin d’œil que m’a lancé la maman. En douce. Elle est en plein divorce et c’est un peu difficile pour elle, en ce moment. 

Plus tard, au téléphone, elle me dira : C’est à cause de mon ex-mari, quand la petite a avalé de travers il lui a dit : “Recrache ou tu vas mourir comme ta tante !”

Je comprends pas ce qui peut passer par la tête d’un adulte pour dire une idiotie pareille à une gosse de six ans. Je veux dire, je comprends VRAIMENT pas ce qui peut passer par la tête d’un adulte pour dire une idiotie pareille.

Photo : moi, recevant mon diplôme d’Oesophageologue de la Faculté internationale de Diphtériland. 

Deux fois plus. 

Alors voilà,

Je serai 2x plus dispo ce matin.2x + souriant.

2x + à l’écoute.

Je vais être humain et opposer à toute cette barbarie l’humanité, l’écoute, le sourire, l’empathie, tout. Je vais même essayer de rire avec mes patients les plus chiants, ceux qui ne sourient jamais.

Que faire d’autre contre le terrorisme ? Que faire d’autre pour rapiécer le tissu social en train de se déchirer ?

Ce matin, je vais essayer d’être couturier. La lutte est là, aussi. 

Je vous aime tous et toutes. Voilà. 

Baptiste Beaulieu.

La docteurE.

Légende : “Mon Dieu, Hélène ! Tu ne peux pas aller à la plage ainsi, c’est obscène !!!”

Témoignage de W.

Alors voilà, je cumule plusieurs tares : j’ai été diplômée de la Faculté de médecine à 24 ans, je suis une femme, je suis blonde. À l’époque, j’avais de longs cheveux blonds, des petites jupes, un air candide.

Cerise sur le gâteau, j’ai choisi de faire la gériatrie. Autant d’années pour soigner des personnes âgées ? Oui, autant.

Ma grosse erreur ? Choisir un métier où tu soignes des gens dont les enfants sont plus âgés que tes propres parents. Dans cette société productiviste, soigner des « vieux » est un choix sans prestige. Mais je soigne des « vieux », voire même souvent des « vieux déments”.

J’ai eu droit à tout le sexisme du monde :

– de la part des patients : Quand est ce qu’on verra un vrai docteur ? Vous pensez pas qu’on va écouter l’avis d’une gamine ? Vous n’êtes pas un peu trop blonde pour être médecin ? Vous avez couché combien de fois pour réussir ?

– de la pat des soignants : Tu veux bosser ici ? Ok mais tu prends ta pilule, hein. Tu veux le bip de garde, viens le chercher : il est sur moi et je suis nu dans mon lit. Tu viens prendre ta douche avec moi ? Tu laisses la porte de la chambre de garde ouverte ? Ça va c’est de l’humour quoi, merde ! T’es pas rigolote !
Puis j’ai vieilli, j’ai coupé mes cheveux courts.

Je suis toujours femme, je suis toujours gériatre, je suis toujours blonde, mais j’ai 37 ans. J’en ai tellement entendu que je regarde les pauvres stagiaires avec pitié (c’est horrible à dire, mais plus jolies vous êtes, pire ce sera). Blindez-vous, les filles, mais surtout, surtout, ne vous laissez pas marcher dessus.

J’ai dû bosser deux fois plus, élever la voix quatre fois plus, en rabrouer des tas. Je ne suis pas un canon de beauté. Juste une femme qui sait qu’elle fait un métier formidable, qui le fait le mieux possible, et qui aime tellement son travail qu’elle marche au-dessus des abrutis sans se faire chier dans les bottes. 

Mais parfois… Parfois, je rêve que je suis un homme. Que mon avis est entendu en réunion, que je n’ai pas d’emblée à prouver ma compétence, qu’on ne me demande pas de porter une jupe quand je fais un exposé…

Parfois, je rêve qu’on m’écoute simlement comme la professionnelle que je suis.

Une DocteurE en médecine.

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Le 24 août en librairie, vous m’aurez dans la poche.

#livredepoche

#prixméditerranée

#commentvaMorandini? 

#tropdehashtags

L’histoire honteuse arrivée à un mec qu’je connais…

(Photo : ancêtre du radar de recul. Quand ça grouine, t’es trop près du mur. #merciAudi #cestlavie #désolé #jaipastrouvédautresphotos)

Alors voilà, il est possible qu’un jeune médecin (qui n’est pas moi) ait récemment écrit une tribune sur le massacre de Orlando.
Il est possible que ce médecin (qui n’est pas moi) ait reçu suite à cela des menaces de mort, des insultes, et qu’un type chelou se soit renseigné sur son adresse personnelle.

Parce qu’il a beaucoup de gens qui tiennent à lui, ce jeune médecin s’est vu offrir une bombe lacrymogène dernier cri « au cas où » (Notez bien : je ne fais que répéter ce que ce jeune médecin m’a dit…).

Le jeune médecin, un matin, avant d’aller au travail, était tout nu dans son salon. Il tournait la bombe dans tous les sens : « peut-être y-t-il une sécurité à retirer pour que ça marche  ? ». Il se voyait mal découvrir comment fonctionne le truc au dernier moment !

Ni une ni deux, il ouvrit la fenêtre de chez lui, vérifia la bonne orientation de la bombe et la testa. Pshitttttt… Un grand nuage toxique s’élança et se dispersa. Du liquide lui coula sur la main mais, comme il ne sentit rien, le jeune médecin songea « Bof, je pensais que ça serait plus impressionnant… » et fit alors ce que font 90 % des hommes le matin.

Il se gratta les testicules.

((((( ces parenthèses ne sont pas des parenthèses, mais un cri muet de douleur )))))

Le jeune médecin (qui n’est pas moi) écrivit à un ami neurologue pour savoir comment faire passer l’incendie qui s’attaquait à son scrotum (on prend parfois de mauvaises décisions, il avait des amis dermatologues, pourtant ce fut son ami neurologue qu’il appela à l’aide… Les mystères du cerveau, allez savoir…).

Quelques instants plus tard, notre jeune ami (vraiment, mais alors vraiment idiot) bailla.

Oui et alors, me direz vous ?

Eh bien après avoir baillé, il se frotta les yeux.

C’est ainsi qu’il arriva au travail, boitant, les yeux rouges et enflés, à temps pour recevoir un texto de son ami neurologue :

« J’ai demandé à un pote, il est formel. Pour tes testicules : tu dois les rouler dans la farine ».

Ce matin-là, le jeune médecin fut VRAIMENT reconnaissant aux gens qui l’aimaient de ne pas lui avoir offert de taser. 

#mercimaman

#mercipapa