Archives mensuelles : mai 2016

Madame BIM BAM BOUM.

Alors voilà, elle se tient au milieu de la salle d’attente, BIM, BAM, BOUM, le visage tuméfié, multicolore. Le pan gauche de son pantalon est imbibé de sang, ça lui tombe dans le pied, elle a une tennis rouge, l’autre blanche. Elle est complètement ivre, elle se jette à mon cou :- Scusez-moi, ça vous embête si je passe devant ces gens ?

“Ces gens”, les patients en salle d’attente, me fixent, mains resserrées sur leurs effets personnels, hochant leur tête de concert, l’air de dire “prenez la, docteur, on n’en veut pas, on n’en veut plus, c’est sale, ça pue, et c’est dangereux”. 

La Titubante entre. 

– M’suis battue et on m’a donné des coups d’poings et des coups de couteau et des coups d’pieds et je sais même pas pourquoi, et c’est dégueulasse !

Et, disant cela, elle enfonce un doigt noir de crasse dans une des sept plaies béantes de sa fesse. On voit le muscle. CHLAK ! CHLAK ! Tranché sept fois. Le grand glutéal, le rouge et le noir des caillots. Des trous, des trous, des trous ! Mon regard glisse, nauséeux, sur la boite de sushis de midi abandonnée dans la poubelle. 

– C’est une copine, docteur. J’ai pas compris pourquoi elle a fait ça. Au début, elle a voulu m’larder le visage. 

Ce faisant, elle lève ses bras, me montre comment elle s’est protégée. BIM BAM BOUM. Fière, la Titubante. S’est pas laissée faire.

– Kèke vous auriez fait à ma place ?

Je lève les mains, comme elle, mime un boxeur qui esquive : 

– Qu’est-ce que j’aurais fait ? Je me serai protégé, Madame, comme vous.

Mais, dans ma tête “À quel moment, tu t’es retournée pour présenter ton postérieur à l’agresseur ?”

J’appelle les Urgences. Deux heures plus tôt, m’informent-ils, ils ont DÉJÀ envoyé une ambulance, mais elle a refusé de monter dedans. Je proteste :

– Mais elle était ivre ! Là, elle a décuvé un peu. Elle sera d’accord. 

– On envoie une fois, pas deux.

Et ils raccrochent. Et je pense : “Et si c’était votre Fille, mecs ? Ou votre Soeur ou votre Femme ? Et si c’était juste un être humain, hein ? ”

J’appelle une ambulance privée pendant que la patiente fourre ses doigts souillés dans ses muscles, en couinant. Elle n’a pas de carte vitale, pas de CMU, pas d’AME… pas d’Acronyme, pas d’ambulance. OSEF ! (On S’En Fout !).

Je rappelle les Urgences :

– Dites-lui de sortir du cabinet, me disent-ils. Sur sa droite. De prendre la ligne B. Puis de sortir à Vauvegard d’Artois, puis la ligne A et là elle sort à “Hôpital Joseph Pointou”. 

– Vous vous moquez de moi ?!?!? (Là, je me débats avec les mains de madame qui fouillent son muscle de toute la longueur de ses doigts).

– Elle peut marcher ? Oui ? Elle prendra le métro.

Et ils raccrochent. Et la patiente m’explique : “Ce sont les keufs. Quand j’ai pas voulu monter dans l’ambulance -je le regrette hein, m’sieur- quand j’ai pas voulu monter dans l’ambulance, ils m’ont prise et amenée ici.”

Voila. Des flics l’ont jetée dans ma salle d’attente. Sans toquer à ma porte. Sans attendre que je termine ma consultation. Rien. Même pas un post-it :

<< Salut Doc Bibi,

on est pressé, voilà Madame BIM BAM BOUM. On ne sait pas quoi en faire. Soyez gentil avec elle, hein ? XOXO.

Signé : les keufs. >>. 

Ils l’ont prise et l’ont déposée là. Puis ils sont partis. 

En vrai, de bout en bout, cette histoire est celle d’une femme que personne ne voulait. Si vous la croisez dans la rue, vous la reconnaîtrez : elle est chaussée d’une tennis blanche, et d’une tennis rouge. 

Petit cadeau de Juin !

Bonjour !Le premier jour du mois de juin, sortira un recueil de nouvelles écrit en amicale et prestigieuse compagnie (Martin Winckler et Agnès Ledig !). L’intégralité des bénéfices iront à l’EFS (et l’intégralité de mes droits d’auteur seront reversés aux deux orphelinats Pondichériens que vous connaissez déjà). 

C’est un grand honneur d’écrire aux côtés d’Agnès Ledig et Martin Winckler.

Prenez soin de vous,

Baptiste Beaulieu
PS : pour mon prochain roman (il devrait sortir pour être au pied de vos sapins de Noël ! ), j’ai besoin d’un prénom de femme. Plutôt Anna ou Maria ?

Lettre de Baptiste à Baptiste.

Alors voilà, cher Baptiste, tu te souviens de Octopus Quichotte ? Le médecin généraliste qui n’aimait personne (hormis ses géraniums) ?

Il n’aimait pas les juifs, pas les homos, pas les noirs, les femmes, les vieux, les jeunes, les francs-maçons, le froid, le chaud, Berthe et Henriette, les tantes de sa femme. Je crois que même les ours, il ne les aimait pas. Octopus Quichotte, il aurait sauté à pieds joints sur un chiot en lui tapant dessus à coups de chaton !

Avec lui, tu avais reçu Fanny H. : à 24 ans, elle avait déjà consulté les plus grands neurologues du pays. Aucun n’expliquait pourquoi ses muscles la faisait tant souffrir, l’obligeant même à user de béquille pour se mouvoir. 

Ancienne sportive de haut niveau, les symptômes avaient surgi un jour, après un minuscule accident de deltaplane. 

Rien de grave, mais elle avait eu peur ce jour-là. Peur de mourir. Elle est, de toutes les peurs, la plus simple, la plus pure.

Le bon docteur avait été, comme son nom l’indique, bon avec Fanny.
“Oh ma belle, ça ne va pas mieux, et tes derniers résultats sont normaux, tiens le coup, on trouvera, tu verras, ça s’arrangera… Tiens le coup…”

Et que je te tapote la main, et que je te fasse des yeux doux, des yeux de cocker, et que je te pose mon tentacule sur l’épaule, et que je sois tout miel avec toi, même si le miel, quand on en mange trop, ça écœure.

Comme Fanny quittait le cabinet, il s’était tourné vers toi, cher Baptiste :

<< Complètement frappée celle-là, frappée de chez frappée !…>>
Toi, petit interne, tu n’avais rien osé dire. Il ne t’aimait pas, tu ne l’aimais pas, vous le saviez pertinemment tous les deux.
Cher Baptiste, ne lui reproche rien ! À vrai dire, aujourd’hui, je ne crois pas qu’il était méchant, juste fatigué, usé par l’humanité, et les afflictions des Hommes, toutes les afflictions.
Il y a longtemps que Octopus a pris sa retraite et retrouvé son jardin, son cher jardin dont il a pu s’occuper jusqu’à la fin.

C’est bien, dans ce métier, de laisser les patients aux confrères lorsqu’on ne les aime plus.

Toi, cher Baptiste, tu as gardé précieusement les souvenirs que tu avais sur le bon docteur Octopus. Tu t’étais dit : 

<< Je les raviverai un jour, grâce à ce blog. Dans 30 ans, vieux et gras, usé par le monde, je viendrai sur cette page et je lirai ce post de blog écrit par un autre, le jeune homme de 30 ans, plus jeune, plus aimant et aimable. Je viendrai pour me souvenir qu’une jeune fille blessée, même si cette douleur n’est pas organique, même si elle est “dans sa tête”, cette jeune fille-là mérite mieux que du miel et un sourire hypocrite. >>

Mon cher Baptiste, mon cher moi du passé -ou du futur- si tu ne comprends pas, dans 30 ans, ce que tu as écrit aujourd’hui, alors ferme la porte de ton cabinet, ferme-la pour toujours, et va, cher Baptiste, joyeux et réconcilié, va soigner tes géraniums.

Amicalement, 

Un des nombreux Baptiste de ta vie.
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Merci à tous pour vos gentils mots à propos du prix Méditerrané ! J’en profite pour vous dire

– Mercredi prochain, je déjeune avec Bernard Pivot. Voilà. Fallait que je le dise.

– Je serai le 21 mai à 15 heures, à la librairie Lire aux éclats 26 avenue des Pyrénées 31830 Plaisance du Touch.

PS : vous ai-je parlé de cet étrange moment où tu dis adieu à tes personnages, tu te demandes si les lecteurs vont les accueillir chez eux comme il se doit, tu pleures un peu, parce que la fin est belle, qu’elle est ce que tu aurais voulu qu’elle soit quand cette histoire t’est arrivée cinq ans plus tôt et que tu n’as pas pu changer le cours des choses, alors tu pleures et tu implores l’univers de t’envoyer un signe, car la vie c’est aller de l’avant, tourner des pages, même les plus belles, même les plus symboliques.

Et là… BIMMMMMMM !

Une fiente de pigeon fend le ciel, tel un météore, puis s’écrase sur ta table.

Et toi, tu ris. Tandis que les gens à la terrasse du café se demandent pourquoi, tu ris.

Hey, les gens : 

je ris parce que j’ai demandé un signe et que je l’ai eu.

je ris parce que je n’ai pas demandé que ce signe revête une nature spécifique.

je ris parce que la fiente est tombée en épargnant mon ordinateur, mon eau, mon verre, mon carnet de notes. 

Sans déconner, elle est parfaite cette fiente !

je ris parce que rire est la plus noble forme de courage dans ce foutu bas-monde !

Juste un signe.

Merci l’Univers (si tout va bien, je largue le bébé à Nöel, aux pieds de vos sapins !).

Les femmes qui se levaient la nuit.

Petit hommage aux infirmières (à partager) Merci D.

ALORS VOILÀ, elles me disent qu’elles sont infirmières libérales dans un canton rural. Un cabinet de 7 nanas, de tous les âges. “Nous faisons notre métier avec passion. Mais loin de nous le tralala bisounours qui peut y être associé ( le mythe de la vocation, le plus beau métier du monde, bla-bla-bla…).”

Elles me disent qu’elles savent que l’Humain peut être magnifique ou vil, dans les rapports relationnels comme dans la maladie. Elles voient de tout, de 7 à 77 ans comme dit la chanson, du bon, du mauvais, de la jeunesse et de la vieillesse. Ce sont leurs vies. C’est comme ça.

Il y a 2 jours elles ont enterré une patiente aimée, c’est ça qu’elles disent, “aimée”. 3 ans de soins, 3 fois par jour. Foutu crabe. Le temps passant, elles se sont attachées à la patiente. Elles connaissaient la vie de Mme Bella et Mme Bella connaissait les leurs. Puis Mme Bella est devenu Jacqueline, puis Jacqueline est devenue Jacquie, comme dans la phrase “Alors comment ça va Jacquie, aujourd’hui ?”.

Elles formaient une team, la “team bagarre”.

Elles évoquent les aller-retours nocturnes, parfois -souvent- pour rien : une pompe qui sonne, par exemple, un appareil débranché. Elles me parlent des petits pots pour bébé achetés spécialement pour elle, car Jacquie ne pouvait plus manger. Elles me parlent des cartes postales envoyées durant leurs vacances parce que “on voulait la faire voyager, au moins par procuration”. Elles me disent qu’elles ont fait leur métier. Sans calcul. Avec du coeur, de l’entrain et de l’huile de coude. Sans rechercher de gloire ou de reconnaissance. Mais elles ont été là jusqu’au bout, même quand le poney multicolore est passé. 

Alors quand, à la fin de la cérémonie religieuse, la famille a eu un mot de remerciement pour tout le monde, sauf elles, elles ont eu l’impression de recevoir sept claques. Une chacune.

Elles sont ressorties la tête basse, le coeur en berne. 

“Nous sommes des saint-Bernard, disent-elles. Le chien avec le tonneau de rhum, hein, pas le bonhomme avec une auréole ! Le saint-Bernard fera toujours son travail, vous réchauffera, vous donnera le rhum, et parfois même une léchouille. C’est normal, c’est son boulot. Un boulot de chien.”
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Merci à tous pour vos gentils mots ! J’en profite pour vous dire que je serai le 21 mai à la librairie Lire aux éclats 26 avenue des Pyrénées 31830 Plaisance du Touch. De plus, en attendant que mon futur roman soit dans vos librairies (je lui fais une petite beauté avant de l’envoyer à mon éditrice) je vous réserve une surprise pour début juin. Indice : c’est pour la bonne cause et en prestigieuse compagnie. Vous avez des idées ?

“L’écrivain vivant”.

En deux jours, j’ai rencontré 1300 lycéens qui ont choisi mon second roman -Alors vous ne serez plus jamais triste- pour lui remettre le prestigieux “Prix Méditerranée des lycéens”. Des jeunes géniaux (z’ont voté pour moi ! 😂) qui m’appelaient “Monsieur” et m’ont offert des cigarettes dédicacées (photos) en disant “on est vachement contents de rencontrer un écrivain qui soit vivant !”Mais surtout je retiendrai leurs dizaines de lettres de remerciements, expliquant combien mon livre les a touchés/émus/amusés et fait vagabonder leur imaginaire. 

Merci à eux. 
PS 1 : je verserai les 3000 € du prix aux deux associations que je soutiens. L’orphelinat Karengal et l’association “Volontariat Pondicherry”. Vous trouverez ICI les infos pour aider ces associations. 
PS 2 : spéciale dédicace à cette jeune lycéenne, émue aux larmes, toute tremblante, qui m’a dit au micro : “Au début, votre héros a envie de mourir, mais reprend peu à peu goût à la vie. Qu’est-ce que vous conseilleriez à une jeune qui pense comme lui ?”

Le président Dalida, Bataille et Marx sont dans un avion…

AVERTISSEMENT : on parle de Georges Bataille (et donc de pratiques sexuelles bizarres).



Alors voila, je suis dans l’avion -un vol de 8 heures- en train de lire COSMOS de Michel Onfray, et je viens de tourner la page 360. Ça parle Droit des animaux, tauromachie, etc, quand je décroche à la description de Georges Bataille se masturbant sur la dépouille de sa mère (vers la page 361, et oui…). Je referme le livre, essaie de dormir, pense à Georges, me réveille, change de position. Pas de bol, je suis tombé sur une voisine pour qui la ligne partant de notre accoudoir au siège devant est une ligne Maginot. Bataille de coudes, je la laisse gagner. Je m’assoupis, pense à Georges, encore lui, à sa maman, pauvre mère. Une hôtesse arrive, allume les lumières : Y aurait-il un médecin, s’il vous plait ? crie-t-elle.

Je me lève, peu sûr de moi (faudra que je vous parle de mon complexe d’imposture, un jour).

« Nous allons garder les plafonniers éteints et faire le moins de bruit possible » , m’avertit l’hôtesse, en écartant les rideaux donnant sur la première classe.

Là, je comprends : pourquoi demander en première classe s’il y a un médecin quand on peut réveiller les 250 gueux de la classe économique ?

<< Il ne faut pas déranger les passagers en classe Madras >> précise-t-elle, et je hoche la tête en songeant combien Marx aurait kiffé cette phrase.

En première, ça roupille sec. Champagne et petits fours. Obscurité et tranquillité. Madame Beauvisage, 82 ans, sur son siège, suante et palpitante. Hyperglycémie. Son mari lui tapote la main en chuchotant « Ça va aller mon amour, ça va aller, mon amour ». J’essaie d’examiner dans le noir et le silence total. Voulant vérifier ses pupilles, je sors mon téléphone sous le regard inquiet de Monsieur Beauvisage, « Ça va aller, mon amour », j’ouvre l’écran, fais glisser le tiret du bas vers le haut, me trompe en voulant appuyer sur l’icône « lampe torche », et là… Parmi TOUTES les musiques, mon iPhone choisit celle-là… il choisit vraiment CELLE-LÀ !

« Ciao amore » , Adieu mon amour.

De Dalida.

Adieu mon amour, quoi !

DALIDA ! (Ne me demandez pas pourquoi j’ai ça dans ma playlist, je ne sais pas – et je nierai tout).

J’essaie d’arrêter la musique, me trompe, verrouille mon écran, refrain, « adieu mon amour » , l’hôtesse sourit comme un robot, les gens se réveillent en maugréant, monsieur Beauvisage tapote et murmure, « Ça va aller mon amour », refrain, « Adieu mon amour », JE souris comme un robot. 

D’habitude, j’aime les synchronicités, elle me font dire que je suis au bon endroit au bon moment de mon existence. Là, j’aurais voulu être partout, mais ailleurs.

Vingt minutes plus tard, je retourne sur mon siège. J’ai laissé Onfray ouvert sur ma tablette, bien en évidence. Georges et l’histoire de sa maman, ça calme.

Je reprends ma lecture « le rapport Kinsey estime à 6 % le nombre d’êtres humains ayant eu un rapport sexuel avec un animal ».

Je lève la tête, regarde les 250 passagers :

Qui ? 

Et avec quoi ?

Sur le coté, ma voisine me sourit et s’écarte : la philosophie est aussi utile qu’un pet dans un ascenseur bondé. 

Le voyage va être long.
PS : en vrai, j’ai peur en avion, et Dalida est le seul truc qui m’apaise. Ça et le lexomil. Surtout le lexomil, d’ailleurs. Dalida le sait bien, elle.