Archives mensuelles : juin 2014

Instantané d’un médecin en visite.

Alors voilà, ce matin, il faut lire en écoutant ça : MUSIQUE À ECOUTER IMPÉRATIVEMENT +++
Il est 8h12, première visite.
Il pleut.
Je descends de voiture, tout est gris.
Je suis un peu triste ce matin, sans savoir pourquoi. Ça m’arrive très souvent. La dernière fois, un de mes meilleurs amis m’a dit : “Je te regarde, et pour la première fois je me rends compte que tu ne sais pas sourire autrement qu’en ayant l’air triste”. C’est vrai. Même quand je ris, j’ai l’air triste. Et je ris beaucoup.
Il pleut sur ma petite voiture et je suis triste. J’aime bien cette idée-là : celle d’un monde en cohérence avec mes états d’âme.
Je m’approche de l’entrée. Le portail est en fer forgé, il est peint en blanc.
Je sonne, personne ne répond.
J’entre, les gonds grincent un peu.
Vague inquiétude.
C’est une immense maison, presque un manoir.
J’entends jouer du piano alors je cherche un piano.
Long couloir en bois, murs recouverts de livres, odeurs de cire et de vieille résine, de jasmin et d’un peu de mystère.
Je découvre une Mamie sourde comme un pot.
Dos tourné à l’entrée, elle joue du Bach dans une serre à orchidée, habillée en chemise de nuit rose.

Je m’assois derrière elle.

Ses doigts sur les touches… Elle ne joue pas, elle cueille des fleurs noires et des iris blancs. Elle cueille à toute vitesse.
Bach était jardinier.
Elle ne me voit pas, je reste quelques minutes à l’écouter. Peut-être cinq minutes ? Dix ? Je ne sais plus, mais je reste là, derrière elle. Je l’écoute.
Elle ne sait pas que je suis là et je ne veux pas l’interrompre.
[…MUSIQUE À ÉCOUTER…]
Visite terminée, je ressors, j’ai la conviction que je fais un métier vraiment formidable.
Il a cessé de pleuvoir
Alors je suis un peu moins triste.
Il y a quelque chose à deviner là-dedans, mais je ne sais pas quoi. Il me faudra y réfléchir un peu à tête reposée. Creuser la question… puis planter quelque chose.

J’ai mal à la tête et à l’univers tout entier.

Fernando Pessoa

PS 1 : je suis au salon du livre de Montmorillon ce week-End ! Venez chercher un free-hug. Et bise spéciale à Lily B. qui m’a ému comme personne le week-End dernier au salon de Nice…

PS 2 : les histoires drôles arrivent, mais en ce moment, je suis chagrin, alors le blog est chagrin. C’est cohérent. Baci a tutti !

La femme qui tournait une page.

L’histoire c’est S., L’écriture c’est moi. Juste merci, tu es une chouette nana !

Aujourd’hui, les vétérinaires sont à l’honneur ! Si les véto veulent m’écrire leur histoire : ICI

Alors voilà, la dame avait dans les 40 ans, elle est venue voir S. en consultation pour euthanasier son vieux chat de 18 ans.
L’animal est maigre, déshydraté, à bout de force, en insuffisance rénale terminale (si, si, les chats aussi).
La dame est très belle, très digne.
Moment difficile, ce n’est pas la meilleure partie du métier de S.
Le chat est là, il s’endort, puis il n’est plus là. Et quand il n’est plus là, la dame caresse l’animal et explique à S. :
“Vous voyez docteur, il y a 18 ans, j’ai eu un très grave accident de voiture avec mon mari. Nous étions mariés depuis 2 mois. Il est mort sur le coup. Moi, j’ai fait 3 semaines de coma. Quand je me suis réveillée, j’étais paraplégique, j’avais envie de mourir, et quelqu’un m’a posé un chaton sur les genoux, dans mon fauteuil roulant. Aujourd’hui je suis debout, je remarche normalement, je n’ai plus du tout envie de mourir, et je me marie la semaine prochaine. Excusez-moi de pleurer comme ça. Mon chat est mort. C’est une page qui se tourne…”.

Je sais bien que mon blog n’est pas la chose la plus cynique du monde (et c’est peu de le dire !). Ici, je veux me faire du bien et faire du bien à ceux qui me lisent, ici je veux parler de bienveillance, parler de comment un chat a vraiment aidé une femme à se remettre debout.
Pour le cynisme, il y a le journal télévisé et tout ce que je n’écris pas sur ce blog, mais dans mes carnets (des dizaines de carnets !).

Prenez soin de vous tous,
Baptiste Beaulieu.

PS : je suis au salon du livre de Nice ce week-End ! Free-hug pour tous !

Le (re)retour de Frottis !

Alors voilà le box 3, une femme pleure : Madame C. Elle a HORREUR des aiguilles. Or, on s’apprête à lui faire la pire de toutes les piqures, la gazométrie artérielle. L’infirmière a beau la rassurer, rien n’y fait. Frottis tente sa chance, sans obtenir de meilleurs résultats.
– Je ne veux pas ! Je ne veux pas !
Elle pleure, l’infirmière prépare son matériel. Frottis se sent démunie. Madame C. redouble de larmes.
Frottis, grande fan de Michael Jackson, prise d’une impulsion subite :
– Cause this is thriller, thriller night.
Elle commence la chorégraphie du clip.
– Qu’est-ce qu’elle fait ? s’exclame Madame C. entre deux reniflements.
– Elle danse, répond simplement l’infirmière, et moi je vais piquer.
Frottis, en joie :
– You know it’s thriller, thriller night.
L’infirmière :
– Elle danse ET elle chante.
– Et vous ?
– Je pique ! Je pique ET elle danse. Regardez-la.
Frottis, gesticule et hurle à tue-tête :
– You’r fighting for your life inside a killer, thriller tonight.
– Elle est folle.
– Je danse ! s’exclame Frottis.
– Elle est folle à lier, complète l’infirmière en train de piquer en douce.
Madame C., concentrée sur l’interne :
– Mais elle danse ! s’exclame-t-elle.
– Et elle chante ! répète l’infirmière, en prélevant son sang.
– Et vous ?
– Moi ? J’ai piqué.
– Vous avez piqué ?
– Et oui ! s’exclame l’infirmière.
– J’ai à peine senti la piqûre… C’est magique !
Frottis s’écroule sur une chaise, en sueur :
– Non : c’est Michael ! That is Michael !

On ne peut rien contre le Roi de la pop, je veux dire : on ne peut VRAIMENT rien contre le roi de la pop… (et contre l’hypnose occupationnelle).

Je vais vous raconter une histoire terrible de contraception orale. J’ai demandé à une fille de coucher avec moi et elle m’a dit non !
Woody Allen
(Rien à voir avec l’histoire du jour mais ça m’a fait rire…)

Si vous aimez, partagez sur Facebook/mail/Twitter ou pigeon voyageur !
Je vous souhaite un excellent week-end et prenez soin de vous…
Baptiste Beaulieu

Pourquoi Chef Lion m’écrit son histoire…

L’histoire c’est Chef Lion, l’écriture c’est moi. Merci ! Si vous êtes soignant ou soigné, et que vous voulez parler, c’est ICI.

Alors voilà Chef Lion. Elle a une patiente, née le même mois qu’elle et la même année. Elle ont le même nombre d’enfants, habitent la même ville et connaissent les mêmes restaurants.
Mais Chef Lion n’a pas de cancer pulmonaire métastatique. Sa patiente tient 2 ans à coup de chimiothérapie et de rayons, le temps que ses enfants grandissent un peu…
Un jour son époux l’amène pour la millième fois dans le service. L’équipe fait ce qu’elle peut, mais la patiente part faire du poney multicolore quelques heures après.
Chef Lion est une lionne : “Je ne pleure pas, m’écrit-elle, on débute souvent le deuil de nos patients à l’annonce du diagnostic, alors je pleure rarement, car je suis prête, le plus souvent.”
Une semaine après, un soir, on sonne à la porte de chez elle.
Le mari de sa patiente, avec un énorme bouquet de fleurs :
– Ma femme voulait que je vous remercie après son départ, pour tout ce que vous avez fait…
Et il s’enfuit en courant.
Chef Lion cache son émotion, mais sa fille de 9 ans la voit.
– Qu’est-ce qui se passe, maman ?
Chef Lion explique :
– C’est le mari d’une de mes patientes, elle est morte, il m’apporte des fleurs pour me dire merci de m’être occupée d’elle.
Sa fille :
– Je ne comprends pas… il t’offre des fleurs pour te remercier alors que tu ne l’as même pas guérie ? C’est n’importe quoi ton métier !
Chef Lion n’est pas sûre que sa fille fasse médecine. Mais, elle, la Chef Lion, elle se souvient pourquoi elle fait ce métier, je veux dire : elle se souvient VRAIMENT de pourquoi elle fait ce métier.
Et c’est pour cela qu’elle me l’écrit.

S’il pouvait penser, le coeur s’arrêterait.
Fernando Pessoa