L’air de rien.

(Anecdote arrivée lors d’un stage en gériatrie, spécialité qui me réussit plutôt mal depuis la fin de mon histoire d’amour avec “La Mamie qui m’aimait.“)

Alors voilà une garde en gériatrie, on me réveille à 4h du matin.
– C’est Mme F., 98 ans, elle n’a pas l’air bien.

En voilà une description qu’elle est bonne ! C’est court, ça va droit à l’essentiel. En même temps j’aurais été assez mécontent qu’on me réveille pour me dire :
– C’est Mme F., elle s’est réveillée, elle voulait juste que tu saches que tout va bien pour elle, elle remarche, a rajeuni de trente ans et elle va faire un tennis avec son petit-fils.

Donc me vl’à, Superman noctambule dans les couloirs de l’hôpital, la tête encore embrumée, en train de voler au secours de Mme F.

Je fais mon inventaire des maladies dont le symptôme est de “ne pas avoir l’air bien” ainsi que ma liste des différents traitements des Maladies-des-gens-qui-n’ont-pas-l’air-bien.
Ça fait beaucoup.

J’arrive dans la chambre et l’infirmière, monomaniaque, d’aggraver son cas :
– Elle n’a pas l’air bien !
Moi, essayant de lui tirer les vers du nez tout en examinant Mamie :
– C’est-à-dire ?
– Elle ne bouge plus.
Je finis mon examen, me tourne vers l’infirmière :
– Effectivement ! Elle est morte.

Là : fugue psychique. Autrement dit : ce sont des moments de solitude tels que celui-là qui me font réfléchir très vite à toutes les bonnes raisons qui voudraient que nous répondions “OUI” à la question suivante :
“Vivons-nous dans un univers virtuel encodé holographiquement et simulé par un super-ordinateur venant du futur ?”

En attendant d’y répondre nous sommes 3 dans la chambre :

Mme F. 98 ans, morte de ne pas avoir l’air bien.
L’infirmière, 4h du matin, qui n’a plus l’air très bien.
B., interne, 4h du matin, qui se répète “98 ans, 98 ans, 98 ans” pour se rassurer et garder VRAIMENT l’air de rien.

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2 réflexions sur « L’air de rien. »

  1. Iguana

    Ce post fait du bien à la tête (et aux zygomatiques). Les autres aussi, mais celui-ci est pouffant, cyniquement jubilatoire. Merci!
    (Morte de ne pas avoir l’air bien. C’est de la pure poésie. Vous avez avalé Devos?)

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